Chronique

L’argent (comptant) fait le bonheur !

Traitez-moi de vieille croûtonne si vous voulez, mais je pense que l’argent comptant aura encore sa place pour longtemps dans le cœur des consommateurs.

Ce n’est pas que je sois réfractaire au changement, pas du tout. Je préfère payer mon café à l’aide de mon cellulaire plutôt que de chercher de la monnaie dans le fouillis de mon sac à main. Et j’aime cent fois mieux faire un virement Interac que d’utiliser un chèque personnel.

Mais l’argent sonnant et trébuchant n’est pas près de disparaître, même si son utilisation dans la vie de tous les jours ne cesse de fondre. Quelques billets de banque restent utiles quand vient le temps de payer un stationnement ou d’encourager un chanteur dans le métro… quoique l’Australie teste actuellement une application qui permet d’inscrire son numéro de carte de crédit pour offrir 2 à 5 $ aux amuseurs publics.

On n’arrête pas le progrès !

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Il reste qu’il est plus facile de respecter son budget avec de l’argent comptant.

Depuis les années 70, de nombreuses études ont démontré que les consommateurs dépensaient davantage lorsque l’argent est dématérialisé.

Ce comportement a été confirmé, l’an dernier, lorsque Dollarama a commencé à accepter les cartes de crédit. Les clients qui paient avec du plastique dépensent deux fois plus que ceux qui paient comptant.

« Quand on retire un billet de 20 $ et qu’ensuite notre portefeuille est vide, ça fait mal. Alors qu’avec une carte de débit ou de crédit, on ne le voit pas. »

— Jacques St-Amant, analyste-conseil pour la Coalition des associations de consommateurs du Québec

Bref, plus l’argent est concret, plus il est facile à gérer. Plus il est intangible (pensez aux achats intégrés dans les applications), plus on risque de perdre le compte de ses dépenses.

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Autre avantage : l’argent comptant est un mode de paiement moins onéreux que le plastique.

La carte de crédit peut coûter une fortune en intérêts : je vous rappelle que près de 40 % des détenteurs de cartes de crédit ne remettent pas leur solde à zéro tous les mois, ce qui fait en sorte qu’ils paient de 20 à 30 % d’intérêts sur tous leurs achats.

En plus, les cartes de crédit coûtent très cher aux commerçants, qui doivent verser des frais de 1,5 % en moyenne à Visa et à MasterCard. Les deux géants financent ainsi les programmes de fidélisation qu’ils offrent à leurs clients pour les inciter à tout payer à crédit.

Pour absorber ces frais, les détaillants relèvent leurs prix de vente. C’est donc dire que les généreuses récompenses des clients plus fortunés sont « subventionnées » par l’ensemble des clients, y compris les plus pauvres qui n’ont pas les moyens d’obtenir une carte de crédit privilège.

Complètement tordu !

Parlant de gens défavorisés, comment se débrouilleraient-ils dans un monde sans argent comptant ?

Environ 2 % des Canadiens n’ont pas accès à un compte bancaire, évalue la Banque du Canada. La disparition de l’argent comptant marginaliserait encore plus ces milliers de citoyens.

Pour d’autres consommateurs, c’est la technologie qui est un obstacle aux modes de paiement électroniques, soit parce que la connexion internet n’est pas fameuse dans leur région, soit parce qu’ils ne sont pas à l’aise avec un ordinateur.

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Il faut dire que la technologie n’est pas à toute épreuve. « Les risques de panne sont très réels. Les difficultés éprouvées au Royaume-Uni au cours de la dernière année montrent bien la fragilité des infrastructures », note M. St-Amant. Sur le lot de ratés, on a même vu un pont à péage crucial complètement bloqué !

Les problèmes de fraude sont aussi bien présents. La biométrie pose des défis particuliers en cas de vol de données massif. Un NIP, ça se change. Mais une empreinte digitale ou un iris, c’est plus compliqué.

L’argent virtuel laisse aussi des traces. « C’est une arme à double tranchant », estime Marc Lacoursière, professeur de droit de la consommation à l’Université Laval.

D’une part, l’élimination des billets de banque peut être saluée comme une façon de lutter contre le travail au noir, le crime organisé et le terrorisme. L’Europe a d’ailleurs retiré les coupures de 500 euros en réaction à l’attentat du Bataclan à Paris.

D’autre part, l’avènement de l’argent électronique permet aux institutions financières de savoir absolument tout sur les consommateurs… qui sont ensuite la cible de publicité comportementale. Veut-on vraiment vivre dans une société où nos moindres achats seront scrutés à la loupe ?

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Chose certaine, notre système juridique est très mal adapté aux nouveaux modes de paiement. « L’encadrement ne se fait pas de manière globale et neutre pour les différents outils de paiement », déplore M. Lacoursière.

Il y a beaucoup de lacunes et un manque de cohérence. Alors que les chèques sont soumis à une loi en bonne et due forme, d’autres outils sont seulement encadrés par un code volontaire. Si l’industrie ne le respecte pas, personne ne lui tapera sur les doigts.

L’an dernier, Ottawa a soumis un document de consultation pour encadrer les nouveaux acteurs comme PayPal qui échappent pratiquement à toutes les règles et les nouvelles technologies, comme le paiement sans contact, qui flottent dans les limbes juridiques.

Tant mieux. Ce projet de réforme fort important n’a pas fait grand bruit. Il faut dire que la mécanique du système des paiements est un sujet archicomplexe. Mais les consommateurs devront quand même se mettre le nez sous le capot, s’ils veulent que l’argent de l’avenir fasse leur bonheur.

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