CHRONIQUE LYSIANE GAGNON

PROJET DE DÉMÉNAGEMENT DU MUSÉE McCORD
Un petit parc ou un grand musée ?

Valérie Plante réalise-t-elle qu’elle est à la tête d’une métropole, non pas d’un simple arrondissement ? On peut en douter lorsqu’on voit la façon dont la mairesse a écarté sans cérémonie, et avec une stupéfiante désinvolture, l’un des musées les plus importants de Montréal au profit d’un projet de petit parc local.

C’est en lisant son journal du matin que la directrice du musée McCord, Suzanne Sauvage, a appris que l’important projet de déménagement qu’elle et son équipe avaient élaboré pendant cinq ans au coût de 250 000 $, avec l’accord officiel de l’ancien maire Coderre, venait de s’envoler en fumée.

Le site prévu pour la construction du nouveau musée – un terrain de stationnement municipal au cœur du Quartier des spectacles – allait plutôt servir à l’aménagement d’un petit parc de district !

Atterrées, Mme Sauvage et la présidente du conseil du Musée, l’ancienne ministre Monique Jérome-Forget, ont rencontré Luc Ferrandez, le responsable des espaces verts. Sans surprise, il a été courtois, mais inflexible. Les deux femmes ont finalement réussi à obtenir une entrevue avec la mairesse… pour se faire dire que la décision est irrévocable. Cette dernière concède qu’il s’agit d’un « beau projet ». Elle leur enverra un fonctionnaire pour les aider à trouver un autre emplacement…

Pourtant, le Musée a déjà passé des années à chercher où se reloger.

Parmi les très rares sites potentiels, aucun sauf celui-là ne répondait à ses besoins – un emplacement au centre-ville, près des transports publics, et assez grand pour accueillir un édifice intéressant, qui constituerait un apport architectural de qualité à Montréal.

Le musée McCord est un musée d’histoire sociale qui abrite la plus imposante collection d’objets amérindiens, de photographies et de vêtements d’époque au Canada. Depuis sa fusion avec le musée Stewart et le Musée de la mode, le McCord est à l’étroit dans son bâtiment de la rue Sherbrooke Ouest et ne peut exposer qu’une portion infime de sa collection. Sa vocation naturelle est de devenir le musée d’histoire de Montréal, comme en ont toutes les grandes villes.

Sous la direction extraordinairement dynamique de Mme Sauvage, le McCord, auparavant une institution un peu poussiéreuse surtout anglophone, a connu ces dernières années une expansion fulgurante.

Sa clientèle s’est francisée, élargie et rajeunie. Les milléniaux de toutes origines s’y retrouvent en grand nombre. Les Premières Nations s’y sentent chez elles. Plusieurs de ses expositions ont attiré des centaines de milliers de visiteurs, notamment celles consacrées aux vêtements des premiers peuples (Porter son identité), aux superbes photos de la collection Notman, à la mode italienne de 1945 à nos jours ou à la mode d’Expo 67.

Et le musée s’est ancré dans le quartier en aménageant pendant l’été un espace public d’animation dans le tronçon piétonnier de la rue Victoria. Yoga le matin, piano public, cuisine de rue, musique baroque, orchestre klezmer pour accompagner l’exposition Shalom sur la communauté juive de Montréal actuellement en cours…

Mme Sauvage comptait reprendre la même idée dans l’ex-futur site prévu à l’est de la rue De Bleury : des activités culturelles en plein air durant l’été, en concertation avec la Cinémathèque.

Il ne s’agit pas ici de prétendre que Montréal n’a pas besoin d’espaces verts. Au contraire, il n’en a pas assez, le pire étant que ceux qu’il possède ne sont même pas tous entretenus ! Qu’on pense au parc Camille-Laurin, angle Sherbrooke et Saint-Urbain, triste espace laissé à l’abandon et aux pissenlits.

La Ville ne pourrait-elle pas s’occuper des parcs qu’elle possède au lieu de convoiter l’espace promis à un musée en pleine expansion ? Rien ne l’empêche non plus d’en acquérir.

Pourquoi pas un jardin municipal dans l’espace inutilisé derrière la belle église Saint-James, rue Sainte-Catherine ?

Il ne s’agit pas non plus de compromettre la qualité de vie des résidants pour des projets de grandeur fumeux, comme la course de voitures électriques chère à l’ancien maire.

Mais il y a des situations où il faut mettre les choses en perspective et mesurer l’importance d’un parc local par rapport à un plus grand bien, soit la vitalité culturelle de Montréal et son pouvoir d’attraction touristique.

Combien de gens utiliseraient le parc de proximité envisagé par l’administration Plante pour compenser la perte du jardin Domtar ? Certainement pas des masses, car ce n’est pas un quartier résidentiel. Il n’y a tout simplement aucune comparaison entre le bénéfice apporté à, disons, la trentaine de passants qui s’y assiéraient chaque jour pendant 15 minutes, et le bénéfice collectif dont jouirait la métropole avec un beau grand musée d’histoire montréalaise au coeur de l’effervescence culturelle du Quartier des spectacles.

Hélas, la mairesse vient de Projet Montréal. Elle voit petit, tout petit.

Elle pense « convivialité » alors qu’il faudrait penser « développement », « culture », « épanouissement » et « rayonnement ». Elle réagit à la hauteur d’un arrondissement, alors qu’elle est à la tête d’une métropole. Montréal, c’est bien davantage que la somme de ses quartiers !

Montréal a quatre universités. Elle a cinq grands musées, le Musée des beaux-arts, le Musée d’art contemporain, le Centre canadien d’architecture, Pointe-à-Callière et le musée McCord. Ils font partie des atouts exceptionnels qui font de Montréal une ville internationale.

Pour l’instant, l’avenir du musée McCord est en suspens. Perdu, le quart de million dépensé en études techniques et de faisabilité pour le site promis par l’ancienne administration. Compromis, le don de 15 millions offert au futur musée par Emmanuelle Gattuso, l’héritière du fameux fabricant de produits italiens dont la marque est liée à Montréal.

Il n’est pas trop tard pour que la mairesse revienne sur sa décision. Mme Plante – c’est l’ironie de l’affaire – n’a-t-elle pas une maîtrise en muséologie ?

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