Prévention

Des policiers qui font école

Plus de 200 policiers se baladent dans les écoles du Québec, armés non seulement de leur pistolet, mais aussi d’outils de prévention contre la violence sous toutes ses formes. Si les agents en uniforme et le milieu scolaire font généralement bon ménage, certains craignent néanmoins des risques de dérive ou de confusion.

UN DOSSIER DE CHARLES-ÉRIC BLAIS-POULIN

Des élèves, des enseignants...
et des policiers

Journée normale pour Stéphanie Morin, qui se présente à l’école primaire Martin-Bélanger, dans l’arrondissement de Lachine. Après de brèves salutations à la directrice, elle gagne la cafétéria pour retrouver une quarantaine d’élèves. Dès lors, une enfant prend son élan et plonge dans ses bras, tout sourire. Stéphanie Morin, comme les enseignants et le personnel de soutien, fait partie de la rassurante équipe-école. Légers détails : elle est armée et porte l’uniforme du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

La policière est l’un des 88 agents sociocommunautaires à Montréal qui visitent et interviennent régulièrement dans les établissements scolaires du primaire et du secondaire. Ici, la prévention prévaut contre la répression.

En ce début d’après-midi, l’agente Morin explique à deux classes d’accueil et quelques parents sa fonction à l’école et les règles à respecter. « La seule différence entre nous et les patrouilleurs, c’est qu’on prend le temps, nous explique-t-elle avant sa présentation. Le temps de connaître les habitudes des jeunes, leur environnement, leur expérience. Si certains d’entre eux vont dans la mauvaise direction, on est là pour resserrer le filet de sécurité. »

Tous les postes de quartier (PDQ) comptent au moins un policier-école, certains jusqu’à quatre. Les agentes Stéphanie Morin et Carlota Santos, liées au PDQ 8, se partagent une quinzaine d’établissements scolaires à Lachine. Ateliers de prévention, activités sportives ou culturelles, rondes de reconnaissance : tous les moyens sont bons pour tisser des liens avec les élèves. 

Les écoles sont libres de définir leurs objectifs en matière de sécurité selon l’âge des élèves, le contexte socioéconomique et les enjeux propres à leur établissement. Des exercices de confinement et des ateliers contre le sextage, la drogue ou la conduite dangereuse peuvent ainsi s’ajouter à des conférences contre la violence et l’intimidation.

« L’idée est de se coller à la réalité des écoles, explique Nathalie Letendre, agente de concertation communautaire au SPVM. Chaque année, on convient des sujets à aborder avec les directions. »

URGENCES ET ENQUÊTES

Si la prévention reste prioritaire, les agents sociocommunautaires du SPVM, joignables directement par les directions, participent aussi aux interventions d’urgence et aux enquêtes. « Le mot-clé, dans notre fonction, c’est suivi », note Mme Morin.

« Quand un collègue répond à un appel pour un jeune que l’on connaît, on le rencontre et on peut travailler ensuite avec ses parents, la direction, les travailleurs sociaux. On fait partie de l’équipe-école, c’est une collaboration. »

— Stéphanie Morin, agente au SPVM

Depuis 2012, la loi oblige les commissions scolaires à établir un protocole d’enquête et d’intervention avec le corps de police de leur région. Enseignants, directeurs, travailleurs sociaux et agents sont nombreux à se référer au cadre « Présence policière dans les établissements d’enseignement », mis à jour en 2017 sous la responsabilité de la Table provinciale de concertation sur la violence, les jeunes et le milieu scolaire.

« C’est très important que le rôle des policiers et de l’école soit bien défini, surtout en cas d’urgence », dit Me Torben Borgers, président de la Table.

Le document, cosigné par Québec, les syndicats, les directions et les comités de parents, étaie notamment certaines balises légales à respecter entre les murs d’une école. « Par exemple, la Cour suprême a conclu qu’une fouille dans un casier était plus raisonnable en matière d’atteinte à la vie privée qu’une fouille dans un sac à dos, surtout si l’école a pris soin de mentionner que les casiers lui appartenaient », illustre M. Borgers.

Selon Céline Bellot, directrice de l'Observatoire sur les profilages et professeure titulaire à l'École de service social de l'Université de Montréal, les policiers ont un rôle légitime à jouer dans les écoles en matière de « sécurité urbaine », mais elle regrette que des agents se substituent à des professionnels mieux outillés pour aborder certains enjeux sociaux. « Même s’il y a de la bienveillance dans leur démarche, la prévention au primaire, c’est le travail des psychoéducateurs, des travailleurs sociaux, des organismes communautaires. »

Par ailleurs, deux enseignantes, qui ont demandé l'anonymat par crainte de nuire à leur climat de travail, ont plaidé le manque de communication entre le service de police et le personnel enseignant. « Il y a l’école et la police, mais la collaboration entre les deux est presque nulle, selon mon expérience, raconte l’une d’elles. Oui, il y a des agents qui veulent changer les choses, sauf qu’en général, la police fait ses affaires et n’a pas besoin des autres.»

À TEMPS PLEIN

Ni le SPVM ni la Sûreté du Québec, qui compte 81 agents d’intervention en milieu scolaire sur son territoire, n’affecte de policiers à temps plein dans une école particulière. Or, certains établissements secondaires misent sur une présence ininterrompue. C’est le cas de l’école de la Magdeleine, à La Prairie. Ses quelque 2000 élèves occupent amplement l’agente préventionniste Sandra Blouin.

« Mon rôle est vraiment de prévoir et d’organiser les activités de sensibilisation et de faire des rencontres individuelles si les élèves vivent des situations problématiques. Les interventions et les enquêtes sont prises en charge par les autres départements du service de police. »

— L’agente Sandra Blouin

La directrice de l’école de la Magdeleine, Nathalie Bérubé, note que la présence policière fait partie d’autres services permanents offerts dans cette « petite ville », comme l’infirmerie et le Carrefour jeunesse-emploi.

« Il y avait une volonté de part et d’autre de faire rentrer le service de police chez nous dans une vision communautaire, pour se rapprocher de la population et établir un lien positif avec les jeunes, qui sont tout près de devenir des adultes, explique-t-elle. C’est très clair pour nous que l’agente ne doit avoir aucun rôle coercitif. »

« Avant 2012, on avait un policier patrouilleur qui était présent. Ce rôle-là a été modifié », souligne Nathalie Bérubé. En 2011, le policier alors attitré à temps plein à l’école a été passé à tabac par des élèves au cours d’une intervention. Résultat : commotion cérébrale et entorse cervicale. La direction de l’école n’a pas souhaité revenir sur l’agression ni sur ses répercussions sur les élèves.

Que disent les études ?

Les études sur l’impact des interventions policières dans les écoles sont mitigées. L’année dernière, le Conseil scolaire public anglais de Toronto a mis fin à son programme dans les établissements secondaires, sur la base d’un rapport qui jugeait « intimidante » la présence policière pour les élèves. Cette décision faisait notamment suite aux doléances de militants de la cause noire. Ceux-ci arguaient que les enfants « racisés » étaient victimes de discrimination raciale et se sentaient intimidés par la présence des agents en uniforme. Le rapport sibyllin qui a mené à la fin du partenariat semble leur donner raison. Quelques mois plus tard, une étude de l’Université Carleton d’Ottawa soulignait le succès d’une initiative similaire dans la région de Peel. Les chercheurs y notent que le programme doté d’un budget de 9 millions rapporte plus de 10 $ en retombées sociales et économiques pour chaque dollar investi. Au Québec, deux mémoires sur le sujet tendent à montrer une amélioration de la confiance entre les jeunes et le corps policier.

Cinq moyens de tendre la main

Le sport

Le poste de quartier (PDQ) 26, dans Côte-des-Neiges, organise régulièrement des ateliers d’arts martiaux pour prendre à bras-le-corps « le dépassement de soi », « la gestion de la colère » ou encore « la cohésion entre les élèves ». De 2010 à 2017, des policiers-entraîneurs liés à une douzaine de postes de quartier ont en outre chapeauté le Mondial de soccer du SPVM, une façon de stimuler et d’encadrer quelque 200 jeunes pendant les vacances d’été. 

Le divertissement

Cartes à jouer, jeux interactifs pour les enfants, mascotte FliK : les policiers du SPVM rivalisent d’originalité pour sensibiliser les élèves dans un contexte ludique. Des agents sociocommunautaires du PDQ 38 ont même imaginé une pièce de théâtre de marionnettes, Haut comme trois pommes et déjà..., pour aborder l’intimidation dans une école primaire du Plateau.

Les rencontres informelles

Le SPVM multiplie les rencontres informelles avec les élèves et leurs parents avant et après les cours. Par exemple, depuis 2014, les agents sociocommunautaires de Rivière-des-Prairies convient les élèves à une distribution de suçons glacés dans le cadre du projet « POP Glacé », qui vise à prévenir les débordements à la sortie des classes.

Les ateliers et conférences

Alcool au volant, violences amoureuses, cyberintimidation : les séances d’information dans les classes primaires et secondaires restent le principal outil des agents sociocommunautaires. Le programme « Gang de choix », qui vise à prévenir l’adhésion aux gangs chez les jeunes du primaire, prévoit par exemple cinq ateliers de plus d’une heure.

Les technologies

Il faut rejoindre les jeunes avec les outils qu’ils utilisent, s’entendent les intervenants. Dans cette optique, les technologies sont souvent mises au service de la prévention. Dans le lot : le Projet XOX, qui place les élèves devant différentes scènes de violence amoureuse par l’entremise d’une expérience virtuelle interactive.

— Charles-Éric Blais-Poulin, La Presse

Des escouades d’élèves depuis 10 ans

Le programme Unité sans violence, outil de prévention destiné aux élèves de 6e année, fête son 10e anniversaire. Année après année, quelque 1300 jeunes de Montréal s’engagent, par contrat, à devenir des ambassadeurs de la non-violence dans leur école. Les modalités de l’entente sont personnalisées, paraphées puis imprimées sur un t-shirt que chaque élève est invité à enfiler une fois par semaine. Bilan avec l’agente du SPVM Manon Vouligny, qui coordonne le programme dans la métropole depuis ses débuts.

Le programme a été mis au point par des élèves en techniques policières du cégep de Sherbrooke en 2008. Depuis, il s’est étendu à tout le Québec. Quelles améliorations ont pu être observées dans les écoles qui participent à Unité sans violence ?

La première forme de violence qui disparaît, c’est la violence physique. La mobilisation des témoins ne donne plus l’espace nécessaire à des phénomènes qui se produisent sans surveillance, dans les toilettes, dans les recoins de l’école ou dans la cour… Il y a toujours une présence, même s’il ne s’agit pas d’une surveillance formelle. Ça atténue aussi la violence verbale et l’exclusion sociale. Les témoins ne font plus comme s’ils n’avaient rien vu ou ne soutiennent plus les agresseurs pour être cool, de manière passive ou active. Ils changent leurs comportements parce qu’il y a un mécanisme de soutien. Ils savent qu’ils peuvent dénoncer l’agresseur ou soutenir la victime sans risque de représailles.

De nos jours, il est beaucoup question de cyberintimidation ou de sextage. Est-ce qu’il y a une actualisation constante afin d’affronter les nouveaux enjeux ?

La grande force du programme, c’est qu’il est basé sur l’élève. À la première rencontre, on s’entend sur un vocabulaire commun, à commencer par : « C’est quoi, la violence ? » Les élèves réfléchissent à leur contrat. À la deuxième rencontre, ils viennent parler de ce qu’ils ont mis sur leur chandail. Par exemple : « J’ai choisi de ne pas accepter les bagarres, le racisme, le bitchage, etc. » Les policiers sont en retrait, et ils vont interagir avec les élèves selon ce qu’ils ont choisi de combattre, pour voir avec eux quelle pourrait être la bonne réaction à une situation donnée. Il n’y a pas de matériel ou d’ateliers préconçus.

Est-ce que tous les élèves acceptent d’embarquer dans l’aventure ?

Il y a des élèves pour qui ça va mieux, et d’autres pour qui ça va moins bien. Mais c’est un outil qui peut être utilisé à l’école par les éducateurs pour travailler auprès des élèves qui sont réfractaires, parce qu’en signalant leur désintérêt [pour le programme], ils signalent aussi leur intérêt pour l’usage de la violence, sans doute parce que c’est payant dans leur rapport aux autres. Ça nous indique alors qu’il y a un travail à faire.

Le programme Unité sans violence peut-il créer un climat de délation, où chacun peut jouer au shérif ?

Les enfants interviennent directement auprès de leurs pairs, des élèves avec lesquels ils sont souvent en relation de confiance. S’il y a une bagarre ou un affrontement, bien sûr, la seule issue est d’aller chercher un adulte. Mais l’idée est de savoir comment on peut agir pour stopper la violence sans se mettre à risque. Au primaire, ce n’est pas un contexte de délation, mais de gestion de conflits quotidiens. Le professeur n’a pas le temps de régler chaque chicane, de s’occuper de chaque impolitesse, chaque mot pas gentil. On propose un mécanisme d’autorégulation pour aider les jeunes à travailler sur de petits conflits, qui pourraient faire boule de neige et vite devenir de plus grands conflits.

À Montréal, le programme Unité sans violence est financé par le SPVM, Info-Crime et les écoles participantes, à hauteur de 5 $ par élève.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.