États-Unis

Exit Rex

Le président Trump a finalement congédié son secrétaire d’État

Nouveau coup d’éclat à la Maison-Blanche, hier. Mais cette fois, la nouvelle n’a surpris personne : le président Donald Trump a limogé le secrétaire d’État Rex Tillerson, dont les jours étaient comptés à la tête de la diplomatie américaine.

Ce qui a étonné, cependant, c’est de voir Donald Trump annoncer sa décision sur Twitter, son canal de communication préféré depuis qu’il est le locataire de la Maison-Blanche.

« Mike Pompeo, le directeur de la CIA, deviendra notre nouveau secrétaire d’État. Il fera un travail fantastique. Merci à Rex Tillerson pour ses services ! » a gazouillé le président tôt hier matin.

« C’est vraiment hors du commun, on n’a jamais vu ça qu’un membre du cabinet soit congédié comme ça [sur Twitter]. »

— Rafaël Jacob, chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis à la chaire Raoul-Dandurand

Les relations entre le président et son secrétaire d’État étaient très difficiles depuis plusieurs mois. Les experts ne se demandaient plus si Rex Tillerson allait être congédié, mais plutôt quand le président allait finalement passer de la parole aux actes.

Les relations étaient à ce point tendues que Donald Trump n’a même pas cru bon de parler à son secrétaire d’État, la semaine dernière, avant d’accepter l’invitation à rencontrer le leader nord-coréen Kim Jong-un.

La nouvelle n’a donc pas constitué une surprise pour Charles-Philippe David, président de l’Observatoire sur les États-Unis à la chaire Raoul-Dandurand. « Le président avait même déjà annoncé son [candidat] favori pour succéder à Rex Tillerson. Tout le monde savait que ça allait être Mike Pompeo [depuis l’automne dernier]. »

Situation ironique

Pour justifier sa décision, la Maison-Blanche a expliqué qu’elle voulait avoir une nouvelle équipe avant d’aborder d’éventuelles négociations avec la Corée du Nord. Une rencontre est prévue entre les deux dirigeants d’ici la fin du mois de mai pour aborder la question de la dénucléarisation.

Charles-Philippe David signale que la situation est d’autant plus ironique que le président Trump avait rabroué son secrétaire d’État l’été dernier après que celui-ci a affirmé qu’il voulait maintenir les canaux de communication ouverts pour d’éventuelles négociations avec la Corée du Nord.

Dans un de ses gazouillis matinaux, Donald Trump avait affirmé que son secrétaire d’État perdait son temps à négocier. « Conserve ton énergie, Rex, nous ferons ce que nous devons faire », avait-il ajouté.

Un poste affaibli, selon les démocrates

La nouvelle a fait réagir le Parti démocrate, qui a accusé le président Trump d’avoir affaibli la position de secrétaire d’État auprès des dirigeants étrangers. « Quand le successeur du secrétaire Tillerson participera à des réunions avec des dirigeants étrangers, sa crédibilité sera moindre, comme celle de quelqu’un qui peut être là aujourd’hui et congédié demain », a gazouillé la leader démocrate à la Chambre des représentants, Nancy Pelosi.

Selon Rafaël Jacob, il est difficile de prévoir si le mariage Trump-Pompeo connaîtra plus de succès, tellement le président change souvent d’idée. « Tout le monde dit que Trump et Mike Pompeo partagent les mêmes idées. Mais on disait la même chose de Trump et de Jeff Sessions [le ministre de la Justice]. Et aujourd’hui, Jeff Sessions est l’un des prochains qui pourraient être congédiés par le président. S’il veut que son secrétaire d’État fasse son travail, il ne devra pas l’humilier publiquement. »

Au cours d’une rencontre avec des journalistes à la Maison-Blanche, le président a donné peu de détails sur sa décision. « Nous ne pensions pas de la même façon », a-t-il affirmé. Il a aussi précisé qu’ils ne s’entendaient pas au sujet de l’accord sur le dossier nucléaire iranien.

C’était un secret de Polichinelle que les deux hommes ne s’appréciaient guère. Rex Tillerson a déjà qualifié le président d’idiot. Trump avait répliqué en affirmant qu’il remporterait un test de quotient intellectuel face à son secrétaire d’État.

Le principal intéressé a reçu un appel du président un peu après midi hier, soit plus de trois heures après que l’annonce a été faite sur Twitter. Peu de temps après, au cours d’un très bref point de presse, Rex Tillerson a annoncé qu’il quitterait ses fonctions le 31 mars. « Je redeviens maintenant un simple citoyen, un fier Américain, fier d’avoir eu l’occasion de servir mon pays », a-t-il déclaré, refusant par ailleurs de répondre aux questions des journalistes.

Pour plusieurs experts, Rex Tillerson aura été le pire secrétaire d’État de l’histoire américaine. D’autres, cependant, signalent que jamais auparavant un secrétaire d’État n’aura été aussi souvent discrédité par son patron. Même Richard Haas, président du prestigieux Conseil des relations étrangères, a suggéré à M. Tillerson de quitter son poste, l’automne dernier, étant donné le peu d’appui qu’il recevait du président.

Selon Rafaël Jacob, Rex Tillerson est le secrétaire d’État qui sera resté le moins longtemps en poste au début d’un mandat présidentiel, et ce, depuis 1869.

Il n’est pas clair pour l’instant si l’ancien PDG d’ExxonMobil (de 2006 à 2016) peut reprendre du service dans l’industrie pétrolière et gazière, où il a travaillé la majeure partie de sa carrière. Selon le Financial Post, une entente intervenue avec Exxon pour lui permettre de devenir secrétaire d’État l’empêche d’aller travailler pour un compétiteur. Si tel était le cas, Exxon serait en droit d’exiger une compensation de 180 millions de dollars prévue au contrat.

Qui est Gina Haspel ?

Le congédiement de Rex Tillerson a mené à un jeu de chaises musicales dans l’administration américaine. Le président a annoncé que l’actuel patron de la CIA, Mike Pompeo, était désigné comme secrétaire d’État. Le poste vacant à la CIA, lui, sera pourvu par Gina Haspel. Elle sera la toute première femme à la tête de l’agence de renseignement.

La femme de 61 ans a une grande expérience des opérations clandestines et a servi à plusieurs endroits dans le monde. Mais son rôle de responsable des opérations clandestines dans des prisons secrètes pourrait compliquer l’approbation de sa nomination par le Sénat américain. Sa responsabilité dans la mise en place de prisons secrètes à l’étranger après le 11 septembre 2001 pourrait notamment lui nuire. Selon le Washington Post, elle a déjà dirigé une prison secrète en Thaïlande où les détenus étaient soumis à des simulations de noyade.

Rappelons que les nominations de Mike Pompeo et de Gina Haspel devront être approuvées par le Sénat, où les républicains sont cependant majoritaires. — Avec l’Agence France-Presse

Départ de Rex Tillerson

Dans les mots de Pompeo

Ancien militaire devenu représentant du Kansas en 2010, puis chef de la CIA l’an dernier, Mike Pompeo est l’un des conseillers les plus écoutés du président américain. L’homme de 54 ans est également réputé pour ses propos tranchés, voire controversés. Quel ton donnera-t-il à la diplomatie américaine ?

« Le président Trump ne fait pas ça pour le théâtre. Il s’en va régler un problème. »

— Mike Pompeo, en entrevue au réseau Fox dimanche dernier, qui commentait l’annonce d’une rencontre entre Donald Trump et le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un

Ce qui a valu à Mike Pompeo cette promotion à la tête du département d’État américain, c’est d’abord sa loyauté envers le président. Les deux hommes sont connus pour partager les mêmes vues sur la place des États-Unis dans le monde. « Avec cette idée de discuter avec la Corée du Nord, le président voulait probablement avoir quelqu’un qui s’exprimerait dans des termes plus près des siens, ou du moins, envoyer un interlocuteur dont les gens sauraient qu’il parle au nom du président », observe Karine Prémont, professeure à l’Université de Sherbrooke. « Je pense que d’envoyer quelqu’un de plus ferme à l’égard de la Corée du Nord enverra un message qui veut que les Américains ne sont pas là pour badiner. Qu’on soit d’accord ou pas avec cette ligne de discussion, les paramètres seront plus clairs. » Mike Pompeo n’a pas caché, au cours des derniers mois, son antipathie pour le leader nord-coréen, et il a ouvertement souhaité son départ.

« J’ai l’intention d’annuler cet accord désastreux avec le plus grand parrain du terrorisme au monde. »

— Mike Pompeo, à propos de l’accord sur le nucléaire iranien, dans une déclaration sur Twitter en novembre 2016

Mike Pompeo n’est certainement pas un diplomate classique… « Oh, non ! », s’exclame en riant Karine Prémont. « Il a soutenu des programmes de torture, s’est opposé à la fermeture du camp de Guantánamo, était en faveur des programmes étendus de surveillance de la NSA. » Sa nomination est une nouvelle particulièrement mauvaise pour l’Iran, qui comptait Tillerson comme un partisan de l’accord sur le nucléaire conclu en 2015. Hier, un haut responsable du Pentagone a ajouté sa voix à celles du ministre de la Défense Jim Mattis et du chef d’état-major Joe Dunford, qui considèrent qu’il est dans l’intérêt des États-Unis de conserver cet accord. « Si l’accord disparaît, nous devrons trouver une autre façon de nous occuper du programme d’armement nucléaire » de l’Iran, a déclaré le commandant des Forces américaines au Moyen-Orient, le général Joseph Votel.

« Pour que la CIA connaisse le succès, elle doit être agressive, brutale, implacable et impitoyable. »

— Mike Pompeo, après sa nomination à la tête de la CIA, il y a un an

Le bilan de son passage d’une année à la CIA est encore incertain. Mais sa réputation de faucon, elle, l’a précédée au département d’État. L’automne dernier, alors que les rumeurs de sa nomination imminente commençaient à circuler, des employés du secrétariat d’État disaient craindre une « militarisation » de leur département. Un employé cité dans le magazine Vanity Fair disait craindre que Pompeo « soit un secrétaire de guerre, pas un secrétaire d’État ». Karine Prémont rappelle que ce département a été saigné depuis un an. Plus d’une centaine de diplomates de carrière ont quitté le service en 2017, et le nombre de candidatures pour pourvoir les postes a chuté de moitié, ont dénoncé des élus en novembre dernier. « Son premier défi sera de revitaliser le département. Il y manque beaucoup de personnel – au Yémen, par exemple, il n’y a toujours pas d’ambassadeur. Il devra réussir à mobiliser ses troupes, à donner une cohérence à la politique. S’il réussit à mettre un plan en œuvre, peut-être réussira-t-il à mobiliser le personnel du département d’État. »

Départ de Rex Tillerson

Des réactions de partout

Au Canada 

« Nous avons eu une excellente relation de travail avec plusieurs personnes [de l’administration de Donald Trump], dont Rex Tillerson, mais je peux aussi dire que nous avons une excellente relation de travail avec son successeur, le secrétaire d’État désigné Pompeo. Nous allons continuer à construire une relation forte et constructive. »

— Justin Trudeau, premier ministre du Canada

Aux États-Unis

Chez les démocrates

« Chaque fois que le successeur du secrétaire Tillerson entrera dans une réunion avec des leaders étrangers, sa crédibilité va être diminuée parce qu’on le verra comme quelqu’un qui est là aujourd’hui, mais parti demain. »

— Nancy Pelosi, leader de la minorité démocrate à la Chambre des représentants

« L’instabilité de cette administration affaiblit les États-Unis dans presque tous les domaines. S’il est confirmé, nous espérons que M. Pompeo va pouvoir tourner une nouvelle page et va renforcer nos politiques à l’égard de la Russie et de Poutine. »

— Chuck Schumer, leader de la minorité démocrate au Sénat

Chez les républicains 

« Félicitations à mon ami qui sera bientôt secrétaire d’État Mike Pompeo ! Excellente décision du président. »

— Nikki Haley, ambassadrice des États-Unis aux Nations unies

« Mike Pompeo est un excellent choix pour diriger le département d’État et représenter les États-Unis à travers le monde. Il comprend très bien les défis mondiaux et les occasions qui s’offrent aux États-Unis au XXIe siècle. »

— Marco Rubio, sénateur républicain de Floride

En Russie

« Est-ce que les Américains ont commencé à blâmer la Russie pour le remaniement à Washington ? »

— Maria Zakharova, porte-parole du ministère des Affaires étrangères de la Russie

En Allemagne

« Le renvoi de M. Tillerson ne va pas améliorer les choses. »

— Michael Roth, sous-ministre des Affaires étrangères d’Allemagne

En Italie

« [La décision de renvoyer Tillerson] va faire rire beaucoup de monde, comme c’est souvent le cas avec Trump. Moi, il me fait de plus en plus peur. »

— Enrico Letta, ancien premier ministre italien

Propos recueillis par Éric-Pierre Champagne, La Presse

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