Idées d’ailleurs  Comment ils se sont attaqués au problème

Divulguer les salaires des collègues pour atteindre l’équité

Si l’on connaissait le salaire de nos collègues, y gagnerait-on au change ? Y aurait-il moins de discrimination ? L’Allemagne a décidé de tenter le coup.

Le problème

En 2016, les Allemandes ont gagné 21 % de moins que les Allemands, sur une base horaire, rapportait l’Agence France-Presse (AFP) il y a quelques jours.

La solution

Une nouvelle loi permet aux femmes de demander le salaire moyen de six hommes occupant le même poste.

L’Allemagne a choisi de prendre les grands moyens. Depuis le 6 janvier, une nouvelle loi autorise un employé qui se croit victime de discrimination à demander par écrit le salaire moyen de six personnes du sexe opposé occupant le même poste.

Cette disposition, précise l’AFP, ne s’applique qu’aux entreprises comptant plus de 200 salariés. Celles de plus de 500 salariés sont pour leur part obligées de faire le point régulièrement sur leur politique contre les discriminations salariales.

Dans la dépêche de presse, la sociale-démocrate Katarina Barley a souligné qu’il était temps de lever le voile sur les salaires, « un sujet tabou en Allemagne ».

Pour sa part, Uta Zech, présidente de la division allemande du réseau de femmes Business and Professional Women, a qualifié l’initiative de « fusée éclairante ».

En 2014, un tribunal a donné raison à 103 ouvrières du grand fabricant de sandales Birkenstock : oui, elles avaient été victimes de discrimination salariale et l’employeur devait corriger la situation.

En 2016, une journaliste d’enquête allemande a rendu publique sa plainte contre son employeur : « son salaire brut était inférieur au salaire net de son binôme masculin à l’écran », écrit l’AFP.

Le problème n’est évidemment pas propre à l’Allemagne.

Au Royaume-Uni, depuis l’an dernier, une loi oblige les entreprises de plus de 250 employés à publier des données sur les écarts de salaires entre hommes et femmes.

C’est ainsi qu’en juillet, pour la première fois, la BBC a dû révéler les salaires annuels de ses dirigeants et de ses présentateurs vedettes.

La rédactrice en chef de la BBC en Chine, une journaliste vedette au parcours prodigieux, a eu une si désagréable surprise qu’elle a démissionné, accusant la télévision publique britannique de violer la loi sur l’égalité.

Ce cas n’est pas sans rappeler cette question de discrimination salariale aussi soulevée à Radio-Canada lors du lock-out de 2002.

Le syndicat avait alors découvert que le salaire des journalistes féminines était en gros de 17 % inférieur à celui de leurs confrères, qui n’hésitaient pas à aller négocier des primes en dehors de la convention collective et les obtenaient.

Après le lock-out, l’affaire s’est déplacée devant le Tribunal du travail. Une entente à l’amiable est finalement intervenue pour les journalistes de Zone libre et d’Enjeux.

Dans le cadre de cette entente, Radio-Canada a dû s’engager à revoir ses pratiques et a été tenue de mettre sur pied un comité pour corriger la situation.

Au québec, cette idée devrait être...

La réponse de Julie Cloutier, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et spécialiste des questions d’équité salariale et de justice dans la gestion des ressources humaines, suscite l’étonnement au premier abord.

« Il est judicieux de divulguer les informations sur les salaires uniquement s’ils sont équitables », dit-elle.

Quand les salaires sont équitables, explique-t-elle, une telle loi a l’intérêt « de réduire les perceptions d’injustice ».

Les études sur le sujet, dit Mme Cloutier, concluent en effet que, « de façon générale, lorsque le montant des salaires est tenu secret dans une entreprise, les employés ont tendance à surestimer le salaire que gagnent leurs collègues ».

Quand les salaires sont établis de façon équitable et que les règles qui les déterminent sont connues (la reconnaissance d’années de service, par exemple), « les employés ne se sentent plus victimes d’injustice parce qu’ils comparent leur salaire avec des salaires réels “équitables” (et non des salaires surestimés) ».

À l’inverse, quand les salaires sont réellement inéquitables, « les employés se sentent encore plus victimes d’injustice, car ils ont la preuve qu’ils sont sous-payés par rapport aux autres ».

Une telle loi a pour grand inconvénient, fait observer Mme Cloutier, « de personnaliser le débat et de montrer du doigt des employés qui sont surpayés par rapport aux autres (si tel est le cas), comme s’ils étaient complices de la discrimination systémique ».

Autrement dit, avec une telle loi, bonjour l’ambiance au bureau.

Que faire, alors ? Mme Cloutier croit que ce qu’il faut, c’est agir en amont et inciter les employeurs à revoir l’égalité des salaires avant de les divulguer.

Mme Cloutier rappelle qu’au Québec, en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, la discrimination salariale est interdite. Un homme et une femme qui occupent le même emploi et qui ont le même profil doivent donc obtenir le même salaire.

Nous avons aussi une loi sur l’équité salariale qui, elle, compare des catégories d’emplois afin d’offrir aux titulaires d’emplois à prédominance féminine (hommes ou femmes) un salaire qui correspond aux exigences de leur emploi à partir d’une comparaison avec des emplois à prédominance masculine (des commis comptables avec des secrétaires, par exemple).

Pour en arriver à l’égalité salariale, on pourrait s’inspirer de cette loi sur l’équité salariale qui oblige les entreprises de 100 employés ou plus à mettre en place un comité au sein duquel les employés sont représentés. « Le comité doit divulguer aux employés les informations concernant la manière dont les nouveaux salaires (plus précisément, les ajustements salariaux) ont été déterminés. Je pense que ce comité pourrait également être responsable de l’égalité salariale. Il pourrait ainsi vérifier que le salaire versé aux employés (hommes et femmes) correspond à leur profil et, le cas échéant, corriger les salaires », dit Julie Cloutier.

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