Opinion : Santé mentale

Ressentir ce qui compte vraiment

« Parler pour vrai », c’est le thème de cette semaine de la santé mentale, organisée jusqu’au 11 mai par l’Association canadienne de la santé mentale. Du côté du Mouvement santé mentale Québec, on lance également la campagne « Ressentir, c’est recevoir un message ». Ces deux campagnes tombent à point : nous n’avons peut-être jamais, collectivement, ressenti autant ce manque, ce creux : celui du contact humain. 

En ce début mai, nous entamons une huitième semaine de distanciation physique lors de laquelle plusieurs d’entre nous auront dû se priver de la présence de leurs parents, de leurs collègues, de leurs amis, de leurs enfants, et ce, pour sauver des vies.

Pour d’autres, c’est aussi la précarité économique qui s’est ajoutée au tableau : perte d’emploi ou mise au chômage temporaire, inquiétude quant à la reprise normale des activités de notre employeur… Alors que l’endettement des ménages était déjà préoccupant, alors qu’une crise du logement inédite nous pendait au bout du nez, ce maudit virus est venu semer la pagaille dans une situation financière déjà difficile pour plusieurs.

Dans cette crise, nous sommes nombreux à « ressentir » beaucoup : du stress, de l’anxiété, de l’inquiétude, comme en a témoigné un sondage Angus Reid publié la semaine dernière. Mais on ressent aussi une infinie gratitude à l’égard des soignants qui sont là à risquer leur santé dans des conditions de travail particulièrement indignes.

Apprivoiser la solitude

Nous ressentons également de la solitude, parfois un sentiment d’être à l’écart du monde, d’être inutiles. Ces émotions, dans les ressources alternatives en santé mentale, on connaît. Plusieurs personnes qui fréquentent nos groupes, peinant à s’insérer dans le marché de l’emploi, se retrouvent à recevoir des prestations d’aide sociale. Parlons vrai : apprivoiser la solitude et la pauvreté, elles en sont expertes. La gestion du frigo vide à partir du 15 du mois aussi, elles connaissent. La résilience, elles pourraient l’enseigner à l’université. Ressentir un stress élevé, vivre avec un syndrome de stress post-traumatique : c’est parfois leur lot depuis l’enfance. Et ces personnes qui, normalement, fréquentaient ce lieu accueillant que sont les ressources alternatives, n’y ont plus accès depuis le 13 mars.

Mais bon, heureusement qu’il y a les moyens de communication, qu’il y a l’internet ! C’est vrai qu’il y a foison d’ateliers virtuels de toutes sortes : yoga, cohérence cardiaque, groupes de parole et d’entraide, dont les groupes d’entendeurs de voix. Mais parlons vrai : de nombreuses personnes n’y ont pas accès.

Quand on (sur)vit avec la prestation d’aide sociale, la facture pour le téléphone ou l’internet, on oublie.

Et c’est sans compter les difficultés d’utilisation d’un téléphone intelligent quand on est atteint de tremblements (effet secondaire de plusieurs psychotropes). Heureusement, les intervenants qui œuvrent dans les ressources alternatives déploient des formes d’accompagnement par téléphone (ou parfois à la porte ou par courrier) pour rejoindre tous leurs membres et n’abandonner personne à la solitude. Parce que la solidarité et l’entraide font partie des valeurs centrales du mouvement communautaire.

Cette crise de la COVID-19 nous donne l’occasion, actuellement, de mieux comprendre et de ressentir l’importance de certaines choses en nos vies, de choses qui nous manquent cruellement : la présence d’un être cher, la douceur de la peau d’une personne aimée, les réunions entre amis, le partage, l’entraide vécue quotidiennement. Pour les parents qui travaillent, coincés entre délais professionnels et besoins des enfants, c’est le village qui fait défaut, ces personnes sur qui on pouvait compter pour éduquer, soigner, accompagner nos tout-petits et nos plus grands. Dans certains endroits du Québec où l’accès aux espaces verts est désormais limité ou interdit, on ressent également le manque de la verdure, de l’humidité fraîche des bois, des chants d’oiseaux et du parfum de la terre.

Et encore plus fortement, nous ressentons, pour parler vrai, de la colère à l’égard de ce monde politique qui a, pendant des années, négligé ce qui comptait vraiment : des soins respectueux et accessibles pour tous, une vie digne pour les personnes vieillissantes, des logements de qualité et des quartiers verts pour y vivre pleinement, des conditions de travail permettant (notamment aux soignants) de conserver la santé, de la sécurité face aux aléas de l’économie.

Ces déterminants sociaux de la santé mentale, essentiels pour une société en santé, ont été trop longtemps négligés. 

Parlons vrai : nous espérons que cette crise nous permettra, collectivement, de nous serrer davantage les coudes, de réfléchir aux inégalités sociales de santé et de réinvestir (parce que c’est là que se situe l’essentiel) dans ce que nous ressentons et considérons comme étant le plus important. Et d’infléchir, durablement, la courbe de la souffrance psychologique qui, ces temps-ci, monte en flèche.

* RRASMQ : Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec

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