Opinion : Les 50 ans du rapport Rioux

L'art et ses vertus « émancipatoires »

L’année 2019 marque le 50e anniversaire de la Commission d’enquête sur l’enseignement des arts au Québec. La faculté des arts de l’UQAM, appuyée par la faculté des sciences de l’éducation, vient d’organiser avec le Musée des beaux-arts de Montréal et Bibliothèque et archives nationales du Québec un grand colloque qui a mis en lumière la grande actualité du rapport issu de cette commission qu’on appelle le rapport Rioux, du nom du président de la commission, le sociologue Marcel Rioux, né en 1919.

Marcel Rioux, une vision

Lors de sa nomination comme président d’une commission royale d’enquête par un gouvernement libéral dirigé par Jean Lesage, Marcel Rioux incarnait l’intellectuel critique des pouvoirs du capitalisme et de l’impérialisme culturel américain, tout en défendant la laïcité et en appelant à la créativité et à l’émancipation. Professeur de sociologie à l’Université de Montréal, M. Rioux était aussi bien connu par ses études ethnologiques sur l’île Verte et Belle-Anse et son essai Le Québec en question. Très attentif au conflit des générations, il met en évidence le rôle de plus en plus actif de la jeunesse. La présidence de la commission sur l’enseignement des arts donne à M. Rioux l’occasion de développer une forte vision de la question.

Le rapport Rioux formule en effet plus de 360 recommandations. Certaines sont générales : ainsi, il faut que l’éducation artistique soit assurée à tous les enfants et adolescents comme composante incontournable d’une éducation de base prioritaire à toute spécialisation. D’autres sont plus spécifiques : une formation spécialisée pour les enseignants en arts, l’intégration des arts à l’institution universitaire.

Au moment du dépôt du rapport de la Commission d’enquête sur l’enseignement des arts au Québec, plusieurs craignaient qu’il ne fût mis sur les tablettes en raison de sa rigueur intellectuelle et de sa vision jugée utopiste.

À la relecture 50 plus tard, le rapport Rioux offre encore une réflexion d’une grande originalité, au carrefour de la philosophie, de l’anthropologie et de la sociologie, qui nous interpelle toujours.

Très critique à l’égard d’une vision utilitaire ou économiste de l’éducation, elle met les arts sur le même pied que la langue et les mathématiques parmi les matières scolaires de base, leur accordant un rôle central dans l’apprentissage de la créativité dans toute société, et en particulier dans les sociétés contemporaines dites post-industrielles.

Les « possibles », aujourd’hui

Pourtant, la situation actuelle est paradoxale. D’un côté, il y a marginalisation et manque de ressources pour l’enseignement des arts dans les écoles, disparition ou fragilisation d’institutions artistiques, abandon ou démolition de bâtiments patrimoniaux. La défense publique même des arts et de la culture est moins visible, moins coordonnée et moins vigoureuse. Les voix les plus audacieuses sont remplacées par un discours qui promeut des dossiers particuliers plutôt qu’une promotion globale de la culture.

D’un autre côté, l’on parle plus que jamais d’innovation, surtout dans le domaine des nouvelles technologies.

Et, comme le proclame la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, la créativité devient un enjeu central dans nos sociétés contemporaines.

Mais de quelle créativité s’agit-il ? Quel rôle pour les arts dans l’apprentissage de cette créativité ? 

Avec le développement des technologies de l’information et de la numérisation, les frontières entre arts, sciences et technologies et les accès à la culture se multiplient : téléphones mobiles, tablettes, Netflix. En plus, ces technologies sont affamées de contenus culturels. Aussi, la formation de créateurs et d’interprètes est-elle le point de départ du développement des industries culturelles qui représentent des milliards de dollars et des centaines de milliers, voire des millions d’emplois à l’échelle mondiale. Et faut-il ajouter que la richesse de la vie et des institutions culturelles d’une nation est une des bases essentielles de l’industrie du tourisme.

Aujourd’hui, les nouvelles compétences cognitives et socio-émotionnelles – la curiosité, la créativité, l’imagination, l’empathie, le leadership – sont et seront hautement recherchées.

C’est, pour le monde des arts et de la culture, un moment stratégique pour faire valoir davantage l’importance à accorder à l’art comme « grand éducateur », comme disait Marcel Rioux.

En général plutôt optimiste, M. Rioux invitait à se fixer des objectifs – des « possibles » – et à se donner des moyens ou des voies pour y parvenir. Il aimait bien parler de « pratiques émancipatoires ». Mais lesquelles aujourd’hui ?

M. Rioux avait un parti pris pour les petites gens et une confiance dans le pouvoir de l’imagination et d’innovation des individus et des collectivités. Les témoignages livrés à l’occasion du cinquantenaire du rapport Rioux révèlent ici et là, à Montréal, à Québec et en région, dans les écoles et dans les quartiers, des expériences de médiation culturelle et d’animation artistique tout aussi innovantes les unes que les autres. Plus l’éducation artistique de base est réussie, plus ces expériences ont de chances de réussir. M. Rioux nous inviterait à privilégier ces actions et ces pratiques émancipatoires en arts avec la mise en place de lieux collectifs, interdisciplinaires et interculturels, de formation, de création et de diffusion.

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