Noms autochtones des équipes sportives

Redmen, Indiens, faut-il changer votre nom ?

Dénoncés par les représentants des Premières Nations, les noms autochtones d'équipes sportives ont été graduellement abandonnés, mais certaines organisations s’y accrochent. Au Québec, les équipes de deux établissements, le collège Ahuntsic et l’Université McGill, s’appellent encore les Indiens et les Redmen. Mais pour combien de temps ?

Un dossier de Michel Marois

Collège Ahuntsic

Une démarche qui dépasse le volet sportif

Le cégep et l’arrondissement d’Ahuntsic doivent leur nom à un Français « huronisé », compagnon du père Nicolas Viel, qui aurait perdu la vie avec le missionnaire en 1625 quand leur canot a chaviré dans des rapides de la rivière des Prairies.

Est-ce une raison pour justifier que les équipes sportives de l’établissement portent encore aujourd’hui le nom « Indiens » ? Le collège Ahuntsic a amorcé récemment un processus d’« autochtonisation » pour non seulement étudier la question du nom des équipes, mais aussi réfléchir à l’ensemble des rapports entre l’établissement et les communautés autochtones.

Ce n’est rien de moins qu’une « déconstruction du regard réducteur et colonialiste encore trop souvent porté sur les Premières Nations » que le cégep espère amorcer avec cette démarche. La directrice générale, Nathalie Vallée, reconnaît en entrevue qu’elle entend aussi de cette façon aller au-devant d’éventuelles controverses autour du nom des équipes sportives.

« Notre établissement est riche en diversité, il suffit de se promener dans les corridors pour le réaliser. Nous sommes aussi très proactifs dans nos efforts pour établir des ponts avec les communautés autochtones. »

— Nathalie Vallée, directrice générale du collège Ahuntsic

« Le projet Rencontres autochtones, créé il y a près de 10 ans par Julie Gauthier, une enseignante en anthropologie, s’est traduit par plusieurs activités culturelles ou sociales. Et nous organisons chaque année des visites d’étudiants dans la communauté d’Opitciwan », explique-t-elle.

Mme Gauthier, qui s’est toujours intéressée aux problématiques autochtones, souligne l’importance de traiter de ces enjeux dans des consultations en dépassant les questions de censure ou de « politiquement correct ».

« Il sera notamment question de l’utilisation des noms et des logos des équipes sportives et d’improvisation de l’établissement, les Indiens du collège Ahuntsic », précise-t-elle.

« Ces consultations seront menées dans le respect de toute la communauté, des employés et des étudiants, en gardant l’objectif de susciter une réflexion et une conscientisation de la part de tous. »

— Julie Gauthier, enseignante en anthropologie au collège Ahuntsic

La direction du cégep s’est engagée dans cette démarche qu’elle entend mener de façon progressive, intelligente et surtout respectueuse de toutes les parties concernées. Comme l’a expliqué Mme Vallée, « une volonté d’autochtonisation doit passer par une réflexion sur ses propres réflexes coloniaux et sur les façons de les corriger. »

« Le Collège s’engagera ainsi dans un processus de reconnaissance officielle des territoires autochtones sur lesquels il est construit. Éventuellement, on pourrait aussi adapter les critères d’admission et mettre en place des mesures de soutien aux étudiants et étudiantes autochtones ».

Des questions essentielles

Mené conjointement avec l’organisme de sensibilisation et d’éducation autochtone Mikana, ce projet d’autochtonisation déborde largement des débats sur le nom ou l’emblème des équipes sportives, on vient de le voir. Ceux-ci restent néanmoins importants, ne serait-ce que sur un plan symbolique.

Dans un document expliquant sa démarche, Mme Gauthier soulève un ensemble de questions fondamentales : « Qui sont, par exemple, ces “Indiens” dont on porte le visage et les couleurs sur les uniformes des équipes sportives et sur les vêtements promotionnels vendus à la Coop du collège ? Quelle est l’origine de l’actuel logo [et des précédents] ? »

Les Kanien’kehá:ka (Mohawks), gardiens ancestraux de Tiohtiá:ke (Montréal), ont-ils été partie prenante de la décision d’utiliser ce nom et ce symbole ? Leur a-t-on déjà demandé ce qu’ils en pensaient ?

« A-t-on déjà questionné les étudiants athlètes qui portent ce nom et cette représentation autour desquels ils construisent la solidarité et l’esprit d’équipe nécessaires à leur victoire ? Quel est leur rapport identitaire à ce logo et à cette dénomination ? À la justification souvent évoquée de la volonté de rendre hommage à la force et au courage des guerriers “indiens” sur le “champ de bataille” d’un terrain de football, de soccer ou de basketball, a-t-on déjà demandé aux autochtones de ce territoire s’ils souhaitaient qu’on leur rende hommage de cette façon ? »

Noms autochtones d’équipes sportives

Des progrès au Canada

À la suite de la publication du rapport définitif de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada, en 2015, de nombreuses organisations sportives de partout au pays ont abandonné des noms comme Redmen ou Indians. À Arnprior, en Ontario, les équipes sportives du high school local s’appellent désormais les Rapids, et plusieurs autres institutions scolaires les ont imitées dans la province, en Alberta et en Colombie-Britannique.

Des appuis commerciaux

Les deux mandats de Barack Obama ont permis aux Premières Nations américaines d’effectuer des progrès importants dans leur lutte pour l’abandon de noms, de logos et de mascottes offensants dans le réseau du sport scolaire. L’engagement du président sur ces questions a suscité d’autres appuis. Le manufacturier d’équipements Adidas s’est ainsi engagé à offrir une aide financière et matérielle aux institutions qui procéderaient à des changements de noms. En 2015, on estimait que les équipes sportives d’environ 2000 des 27 000 high schools américains portaient encore des noms susceptibles d’offenser les Premières Nations.

Des changements chez les Indians de Cleveland

Le nom et le logo des Indians de Cleveland avaient été vivement critiqués, il y a deux ans, lors de la série de championnat de la Ligue américaine de baseball qui opposait l’équipe aux Blue Jays de Toronto. Deux ans plus tard, les Indians ont confirmé qu’ils abandonneraient le logo représentant une caricature d’un autochtone surnommé Chief Wahoo à compter de la saison prochaine. Et ils avaient déjà modifié leur uniforme, il y a quelques semaines, lors de la dernière visite de l’équipe à Toronto en saison.

Les Redskins, champions de la résistance

Les Redskins de Washington s’accrochent depuis plus de 50 ans à leur nom, malgré de vives protestations et de nombreuses actions en justice. Le propriétaire actuel Daniel Snyder a juré qu’il ne changerait jamais le nom de l’équipe, même si ses opposants réussissent à faire annuler ses droits sur ce nom, sur le logo de l’équipe et sur les importants revenus qu’il touche de leur commercialisation, comme ils tentent de le faire depuis des années.

Université McGill

Des étudiants en ont assez

Le nom de « Redmen » est associé aux équipes sportives de l’Université McGill depuis près de 100 ans et certains estiment qu’il est maintenant indissociable de l’histoire de l’établissement. Ce n’est pas l’opinion d’un grand nombre d’étudiants, qu’ils soient d’origine autochtone ou non.

Mercredi dernier, malgré la pluie et le froid, plusieurs centaines d’entre eux ont pris part à une manifestation sur le campus de pour réclamer un abandon immédiat de ce nom jugé « offensant » et « raciste ».

Tomas Jirousek, commissaire aux affaires autochtones de la Société des étudiants de McGill et président du comité de l’université sur ces questions, s’est réjoui de la solidarité démontrée par des étudiants, professeurs et membres du personnel de toutes les origines. 

« La direction est interpellée depuis plusieurs années pour changer ce nom offensant », a expliqué l’étudiant originaire de la nation Kainai, en Alberta, qui est aussi membre de l’équipe d’aviron de McGill.

« Le processus est toujours prolongé, toujours remis à plus tard. Cette fois, nous croyons qu’il faut agir. Le nom doit changer maintenant ! » 

— Tomas Jirousek, commissaire aux affaires autochtones de la Société des étudiants de McGill

Au service des sports, on explique que le nom de « Redmen » était originalement associé à la couleur des chandails portés par les étudiants-athlètes au début du XXe siècle. L’association avec les « peaux rouges » a toutefois vite été faite et des références aux « Indians » ou aux « Squaws » ont été utilisées par les équipes, les spectateurs ou les médias. Une imagerie autochtone est même apparue sur les chandails et les casques des athlètes dans les années 80.

Décriée par les étudiants et les représentants des communautés autochtones, cette appropriation culturelle du nom « Redmen » perpétue selon eux des stéréotypes dépassés et racistes. Invitée à prendre la parole, Nakuset, directrice du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, a souligné que la réalité des autochtones, marquée notamment par l’itinérance, la violence et le ciblage policier, est bien éloignée de l’image idéalisée que certains prétendent honorer.

« Notre réalité et les combats que nous devons livrer ne sont pas ce que cette université veut vraiment comme nom pour ses équipes. Nous souffrons et vous portez notre nom comme un écusson, alors qu’il ne vous appartient pas ! »

— Nakuset, directrice du Foyer pour femmes autochtones de Montréal

Un processus qui s’éternise

Plusieurs étudiants d’origine autochtone ont pris la parole pour raconter comment le maintien du nom de « Redmen » était offensant pour eux. Denzel Sutherland-Wilson, étudiant de la communauté Gitxsan, en Colombie-Britannique, terminera bientôt ses études à McGill.

Très impliqué dans les affaires autochtones sur le campus, il a rappelé : « L’année dernière, je me suis présenté à une rencontre portes ouvertes du comité de l’université chargé d’étudier la question. Quand j’ai dit que ce nom était une insulte pour moi, quelqu’un m’a répondu que je n’avais pas à me sentir offensé. »

« L’Université refuse d’agir de peur d’offenser quelques anciens qui sont attachés à “leurs” Redmen et qui donnent beaucoup d’argent chaque année. »

— Denzel Sutherland-Wilson, étudiant

Formé à la suite de la Commission de vérité et de réconciliation du gouvernement fédéral en 2016, un groupe de travail de l’Université McGill a remis son rapport l’année dernière. L’une des recommandations était le changement du nom des équipes sportives dans un délai d’un à deux ans.

Le professeur Hudson Meadwell, l’un des trois codirecteurs de ce groupe de travail, a souligné cette semaine en entrevue à CBC : « Il n’y a pas d’équivalence morale entre corriger une offense historique envers les peuples autochtones en renommant des équipes sportives et conserver ce nom par déférence envers des anciens de l’université, aussi influents, puissants et riches soient-ils, parce qu’ils ne peuvent imaginer le souvenir de “leur” McGill sans le nom de “Redmen”. »

La direction de l’Université a préféré ne pas commenter la situation pour l’instant. On nous a toutefois indiqué que le rapport d’un autre groupe de travail formé l’an dernier pour étudier les changements de nom d’immeubles, de distinctions et d’équipes sportives devait être rendu en décembre et que ses recommandations serviraient de base à tout changement futur.

Une question de valeur

Plusieurs étudiants-athlètes de l’Université McGill ont pris part à la manifestation de mercredi dernier pour réclamer le changement du nom des équipes sportives masculines.

Joshua Archibald, membre du Réseau des étudiants noirs de l’université et joueur avec l’équipe de football, a pris la parole : « J’ai eu la chance de jouer pour des équipes championnes avant d’arriver ici et elles avaient toutes un trait commun : elles étaient inclusives.

« Tous les joueurs étaient égaux et nous formions une seule et grande équipe. Le nom actuel de nos équipes exclut, ne serait-ce qu’émotivement, une grande partie de la population étudiante. Il est temps de changer ce nom. »

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