Gonfler les notes pour prévenir le décrochage

La Coalition avenir Québec (CAQ) est revenue à la charge cette semaine pour dénoncer le phénomène des notes gonflées. Pour les examens ministériels de juin 2017, 5312 élèves ont obtenu la note de 60 %, alors qu’un enseignant correcteur leur avait dans les faits attribué 58 ou 59 %. Or, cette façon de procéder pourrait également favoriser la persévérance scolaire, croient des experts. Tour d’horizon d’une question qui divise l’Assemblée nationale.

Un débat qui perdure

Ce n’est pas la première fois que la question des notes gonflées est débattue à l’Assemblée nationale. Au printemps 2017, la Fédération autonome de l’enseignement (FAE) dénonçait que des enseignants étaient mis sous pression par leur direction d’établissement ou leur commission scolaire pour majorer certaines notes. Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, avait envoyé à l’époque une directive affirmant que la modification des notes ne serait plus tolérée.

Le Ministère arrondit toujours

Or, le ministère de l’Éducation n’est pas touché par cette directive. Selon des statistiques obtenues par la CAQ grâce à la loi sur l’accès à l’information, publiées cette semaine par Radio-Canada, 5312 élèves qui ont obtenu 58 ou 59 % à leurs examens ministériels, en juin dernier, se sont vus octroyer la note de passage. En 2016, ils étaient 4823 dans cette situation. « La note de passage, au Québec, c’est 60 %. La personne qui porte un jugement sur les apprentissages des élèves, c’est l’enseignant et personne d’autre. […] En bonifiant les notes, on bafoue l’autonomie professionnelle des enseignants et on fait du nivellement par le bas », dénonce Jean-François Roberge, porte-parole caquiste en éducation.

Pas question de changer, dit Proulx

Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, n’entend toutefois pas mettre fin à cette majoration des notes pour ceux qui frôlent 60 %. Cela permet, dit-il, de ne pas pénaliser les élèves qui, avec un correcteur différent, auraient obtenu la note de passage. De plus, « un examen du Ministère, ce n’est pas la note finale. […] C’est une condition préalable à ton diplôme qui s’ajoute à la pondération des notes », ajoute-t-il. Du côté de Québec solidaire, on croit qu’il ne faut pas « passer par-dessus la tête des professeurs, qui sont les gens les mieux placés pour évaluer les enfants », affirme Gabriel Nadeau-Dubois.

Et si le coup de pouce valait la peine ?

Or, donner la note de passage à un élève qui a obtenu 58 ou 59 % à un examen ministériel peut également favoriser la persévérance scolaire, croit Égide Royer, professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval. « Si un élève en difficulté finit avec 58 % en français et en mathématique, parce qu’on applique de façon très stricte la règle du 60 %, ça m’apparaît évident que ça devient susceptible de le mener à repenser sa carrière scolaire », affirme l’expert en réussite scolaire. « Pour les jeunes qui sont vulnérables, échouer à un cours ou deux en raison de deux points seulement, ça peut [mener au décrochage] », ajoute-t-il. Mélanie Marsolais, directrice du Regroupement des organismes communautaires québécois de lutte au décrochage scolaire, croit pour sa part que la question des notes « est un faux débat ». « Ce n’est pas sur [la majoration des notes] que le débat politique et social doit se faire. C’est sur les réelles possibilités d’avancement que l’école offre aux jeunes. […] Que fait-on pour les jeunes en difficulté ? Quelles possibilités leur offre le système scolaire ? », questionne-t-elle.

Une question d’autonomie professionnelle

L’enjeu de l’autonomie professionnelle des enseignants est un dossier chaud pour les professeurs et leurs syndicats. « Un prof qui arrive à la conclusion que l’élève obtient 58 %, on devrait saluer son intégrité plutôt que [d’émettre l’hypothèse] qu’il y a eu un problème de correction ou de distorsion des résultats », affirme Sylvain Mallette, président de la FAE. « Si un élève a 58 % sur son bulletin, c’est qu’un enseignant a utilisé de son jugement et pense qu’il n’a pas atteint les standards », soutient Éric Dion, professeur au département d’éducation de l’UQAM. « [Changer la note], c’est remettre en question son jugement professionnel et son pouvoir discrétionnaire de juger l’élève. C’est un gros enjeu », ajoute-t-il.

Le PQ demande une commission parlementaire

Contrairement à la CAQ, Carole Poirier, porte-parole du Parti québécois en matière d’éducation, ne croit pas que Québec doit cesser d’effectuer un traitement statistique avec les examens ministériels. « On doit faire une commission parlementaire pour aborder cette question-là de façon non partisane, sans débattre de tout ça sur le dos des enfants. Appelons ceux qui connaissent ça à venir nous expliquer pourquoi on fait [ce traitement statistique], autant les enseignants que les gens du Ministère. Un débat public avec des experts est nécessaire », ajoute-t-elle.

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