Chirurgie

Québec sous-estime l’attente

Québec — Les statistiques présentées par Québec sur le temps d’attente pour une opération « ne sont pas fiables », conclut le Vérificateur général (VG). Un patient attend plus longtemps pour être servi que ne le laisse croire le ministère de la Santé.

Même sous-estimée, l’attente dépasse dans bien des cas la cible que s’est fixée le gouvernement.

Déposé à l’Assemblée nationale hier, le rapport de la vérificatrice générale Guylaine Leclerc est limpide : les Québécois n’ont pas l’heure juste sur le temps d’attente avant d’obtenir une opération.

« La statistique sur le délai d’attente […] qui est suivie par le Ministère constitue une partie importante, mais incomplète, de l’ensemble du temps d’attente d’un patient », peut-on lire dans son rapport.

Le Ministère ne comptabilise l’attente qu’à partir du moment où le chirurgien prend la décision d’opérer le patient. Il néglige ainsi tout le chemin parcouru par le patient avant d’arriver à cette étape, déplore le VG. Il s’agit par exemple de la consultation auprès d’un médecin omnipraticien, de la réalisation d’examens et de tests de laboratoire, de la consultation d’un spécialiste qui doit faire, lui aussi, un diagnostic.

Des jours, des semaines, voire des mois peuvent ainsi s’ajouter au délai d’attente que diffuse Québec en raison des étapes dont il ne tient pas compte. Par exemple, un peu plus de 36 % des patients attendent plus de 90 jours pour une imagerie par résonance magnétique.

Mais ce n’est pas tout : le temps d’attente comptabilisé par Québec repose sur des données qui « ne sont pas fiables », dit le VG. « La date de début du calcul du délai d’attente varie en fonction de la chirurgie. » Autre exemple : « Il y a des inexactitudes ou des incohérences » dans les données inscrites dans le système informatique – sur la date d’inscription du patient à la liste d’attente ou celle de la demande d’opération. La façon de calculer l’attente varie d’un établissement à l’autre.

L’intégrité du système mise en doute

Le VG révèle des faits qui mettent en doute l’intégrité du système. « Pour respecter les délais d’attente exigés, l’Hôpital général juif et l’Hôpital régional de Saint-Jérôme privilégient de limiter le nombre de patients inscrits sur la liste d’attente s’ils ne pensent pas être en mesure de les opérer dans le temps opératoire alloué aux chirurgiens. Pour ce faire, ces derniers sont invités à contrôler le nombre de nouveaux patients », indique-t-il.

Même si les données ne sont pas fiables, mais aussi parce que « les cibles nationales n’ont pas été définies en fonction de l’urgence de réaliser la chirurgie », il devient moins pertinent d’évaluer si le gouvernement respecte ses objectifs, selon le VG. Il le fait tout de même afin de comprendre la situation.

Ainsi, selon le calcul décrié par le VG, le délai d’attente moyen présenté par Québec se décline ainsi pour les opérations en oncologie en 2015-2016 : 

Moins de 28 jours : 61 % des cas

De 29 à 56 jours : 27 %

Plus de 56 jours : 12 %

Or, la cible fixée par le gouvernement est que 90 % des opérations soient réalisées à l’intérieur d’un délai de 28 jours et 100 % dans les 56 jours. Il n’y a pas eu d’amélioration depuis 2013-2014.

Le délai d’attente moyen pour une opération non oncologique, tel que rapporté par Québec, donc sous-estimé, est le suivant : 

Moins de 6 mois : 92 % des cas

De 6 à 12 mois : 6 %

Plus d’un an : 2 %

Selon la cible du gouvernement, 90 % de ces opérations doivent se faire dans un délai de moins de six mois.

Le VG relève ainsi que 39 % des opérations oncologiques dépassent la cible de 26 jours et que 8 % des opérations non oncologiques dépassent la cible de six mois. Mais comme les données sont incomplètes et de mauvaise qualité, l’attente est plus longue en réalité, selon le VG.

Il recommande ainsi que Québec revoie sa méthode de calcul des délais d’attente et ses cibles, tout en contrôlant la qualité des données utilisées.

La facture augmente

Sur une période de six ans, le nombre d’opérations a augmenté de 5,5 %. Or les dépenses directes d’établissement pour les opérations ont crû de 17,9 %. Et la rémunération des chirurgiens et des anesthésiologistes a bondi de 35,2 % au cours de la même période, révèle le VG.

Par ailleurs, il soutient que « le financement des services chirurgicaux ne considère pas suffisamment les besoins de la population et les soins à lui prodiguer ». Il est plutôt établi sur une base historique, ce qui est critiqué depuis de nombreuses années. Le Ministère « n’a pas de vision globale de la répartition optimale des services chirurgicaux ».

De plus, « les blocs opératoires sont vétustes dans deux des trois centres hospitaliers audités. Des équipements de chirurgie et de stérilisation ayant atteint leur durée de vie utile sont encore utilisés ». Au surplus, « le matériel stérilisé croise le matériel non stérilisé, et c’est certain qu’il y a des risques d’infection », a noté Guylaine Leclerc en conférence de presse.

Son rapport ajoute que les hôpitaux audités (général juif, Saint-Jérôme et Chicoutimi) pourraient améliorer la gestion de la préadmission des patients et le fonctionnement journalier au bloc opératoire. Leurs salles d’opération ne sont pas assez utilisées. Les coûts de fonctionnement seraient réduits par une meilleure gestion des fournitures et des instruments du bloc opératoire, précise-t-il.

— Avec la collaboration de Martin Croteau, La Presse

1,9 MILLIARD

Coût des 635 000 opérations réalisées dans les blocs opératoires du Québec en 2015-2016, dont 847 millions en dépenses d’établissement et un peu plus de 1 milliard pour la rémunération des médecins

Ils ont dit…

« Le rapport de la VG, il se termine en 2016. Et en 2016, on avait commencé à mettre en place nos mesures correctives, nos améliorations. En 2019, faites la même analyse et tout ce qu’il y a là va être corrigé. »

— Gaétan Barrette, ministre de la Santé et des Services sociaux

« C’est un rapport dévastateur sur la gestion libérale des chirurgies. La doctrine libérale, depuis 2003, c’est garantir des augmentations de rémunération aux médecins, sans jamais garantir une augmentation des services aux patients. C’est un échec lamentable. L’attente est toujours aussi catastrophique. »

— Diane Lamarre, porte-parole du Parti québécois en matière de santé

Rapport du vérificateur général

Éolien

Facture de 2,5 milliards refilée aux contribuables

Les décisions du gouvernement visant à utiliser en priorité l’électricité provenant de l’éolien et d’autres sources d’énergie alternatives ont coûté 2,5 milliards de dollars en huit ans aux contribuables, conclut le VG. Les gouvernements Charest et Marois ont adopté des décrets obligeant Hydro-Québec à acheter des blocs d’électricité provenant notamment des parcs éoliens, et ce, avant d’utiliser l’énergie provenant de ses barrages, dont le coût est plus faible. — Tommy Chouinard, La Presse

Finances publiques

La dette sous-estimée

Le gouvernement du Québec sous-estime de près de 10 milliards la dette publique, relève la vérificatrice générale Guylaine Leclerc. Quant au surplus budgétaire, il est surévalué d’au moins 215 millions. Ces dérapages pourraient bien être plus élevés, observe-t-elle. La vérificatrice n’a pas accès à 3,2 milliards d’engagements du gouvernement du Québec. « La pratique comptable du gouvernement concernant la comptabilisation des paiements de transferts n’est pas appropriée et ne donne pas un portrait juste de la situation financière », observe Mme Leclerc. — Denis Lessard, La Presse

Informatique

Lacunes dans l’attribution des contrats

La vérificatrice a fait le suivi de ses observations de 2016, sur les failles dans l’attribution des contrats en technologies de l’information. Deux ans plus tard, plusieurs organismes et ministères ont encore des pratiques « insatisfaisantes » en matière d’impartialité, de transparence et d’imputabilité dans l’attribution de ces contrats. Les ministères de la Santé, de la Sécurité publique, de l’Éducation et de l’Énergie de même que Revenu Québec présentent des lacunes sous un ou plusieurs aspects. Le Centre de service partagé a eu une réponse insatisfaisante sur toute la ligne. 

— Denis Lessard, La Presse

Prochain rapport

Le REM sous la loupe

Attendu en juin, le prochain rapport de la vérificatrice Guylaine Leclerc portera entre autres sur le Réseau express métropolitain (REM) de la Caisse de dépôt. Ce projet a soulevé des critiques dans les dernières semaines, au moment même où le chantier s’est mis en branle. Un chapitre du rapport fera la lumière sur les allégations d’Annie Trudel mettant en cause l’UPAC et l’Autorité des marchés financiers. Un autre sera le résultat de l’analyse des contrats conclus entre l’État et l’ancien collecteur du fonds du Parti libéral Marc Bibeau. Il s’agit notamment de baux signés par des organismes publics avec des entreprises de M. Bibeau. — Tommy Chouinard, La Presse

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