MBA zé bobards

Devant moi, la femme ne niait rien.

Bien sûr qu’elle avait parlé à ses étudiants – en classe ou en petits groupes – des chemtrails toxiques disséminés par les avions, de la Terre qui ne serait pas sphérique mais plutôt plate, de l’Homme qui n’aurait en fait jamais posé le pied sur la Lune…

Mais elle soutenait avoir dit à ses étudiants du programme de MBA de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), au campus de la Vallée-du-Haut-Saint-Laurent à Vaudreuil, qu’elle ne croyait pas à tout ça : « Je dis juste : “Faites vos recherches. J’ai fait les miennes…” »

Elle a fait beaucoup de recherches, m’a-t-elle expliqué. Notamment sur YouTube…

Là où la chargée du cours de leadership ne pose pas de questions, c’est quand il est question de Dieu et de Satan.

« Tout vient de deux sources, me dit-elle.

– Deux sources ?

– Dieu et Satan. »

Elle était assise devant moi à La Presse, ni jeune ni vieille, d’une gentillesse et d’une douceur exemplaires et m’expliquait que oui, tout est lié…

Tout ?

Les Chinois qui attribuent un score social à leurs citoyens, la série The Simpsons qui a rigolé avec l’idée de Donald Trump à la Maison-Blanche en 2000, l’aide médicale à mourir, une décision de la Cour suprême du Canada sur la bestialité, la prolifération des t-shirts de la NASA dans les magasins et celle des licornes dans la culture populaire…

Tout fait partie d’« un plan », m’a-t-elle assuré, où il n’y a pas de hasard.

« Selon les recherches, le travail est en cours.

– Le « travail » ?

– Si on croit qu’il y a un plan, il y a un travail. Mais je ne suis pas allée là en classe. Faut se questionner. »

Elle dit ne pas être allée « là » en classe, mais elle y est suffisamment allée pour qu’un étudiant du trimestre de l’automne 2018 s’en plaigne à la direction de l’UQTR.

Ce même étudiant a manifesté à la prof son profond malaise à la voir parler d’idées « complotistes et religieuses » (en vain, elle a continué) et il m’a envoyé la liste des idées délirantes qu’elle a effleurées avec les étudiants, que ce soit en classe ou dans des discussions en marge de la classe…

Je cite : la Terre est plate, les vaccins sont là pour nous contrôler, Buzz Aldrin (deuxième homme à poser le pied sur la Lune) a avoué que l’Homme n’y est jamais allé, les OGM et le cellulaire ont été créés pour contrôler les naissances, faites vos recherches sur les licornes, Darwin avait tout faux, Einstein n’est pas celui que vous croyez et le signe de Satan se cache dans le logo des cafés Starbucks (entre autres)…

Bref, un concentré de ces théories du complot qui gagnent des millions d’adeptes en ligne, abordées dans un cours de MBA sous le couvert de « Posez des questions », de « Faites vos recherches » et d’« Ils nous gouvernent ». Ça recoupe ce dont elle m’a entretenu, en entrevue.

***

Vous aurez remarqué, rendu à ce point de la chronique, que je ne nomme pas la chargée de cours.

Elle n’a commis aucun geste immoral ou potentiellement illégal. Elle n’est pas dans le prosélytisme des enfants. Elle enseigne à des adultes.

Je trouve consternant qu’elle aborde ces théories farfelues avec des étudiants dans un cours chapeauté par l’École de gestion de l’UQTR, je trouve consternant que l’UQTR tolère ce genre de discours qui pollue la pensée – une autre plainte, en 2016, n’a débouché sur rien, dixit la chargée de cours –, mais le journalisme est un métier de cas par cas…

Et dans ce cas, je sais que si je la nomme, la chargée de cours sera livrée en pâture au tribunal numérique.

Souvent, il faut nommer. Dans ce cas, La Presse a jugé que non.

Fin de la parenthèse.

***

J’étais bien surpris de voir qu’une chargée de cours dérive vers les rivages vaseux des théories du complot. Mais en même temps, il y a tellement de gens qui croient à ces folies qu’il n’est pas étonnant que dans le lot, on trouve même des profs éduqués (elle a fait des études doctorales) pour y croire.

Autre truc surprenant : un programme de MBA à… Vaudreuil ?

Oui, car à peu près toutes les universités québécoises ouvrent des « satellites » hors campus et se font ainsi concurrence comme des épiceries, parce qu’elles sont financées par tête de pipe et qu’ouvrir des campus hors campus, c’est payant. L’Université Laval de Québec offre par exemple des cours à Montréal, où on compte pas moins de quatre universités. La pratique a été dénoncée par le Conseil supérieur de l’éducation.

Pour l’UQTR et son MBA à l’antenne vaudreuilloise du « campus de la Vallée-du-Haut-Saint-Laurent », c’est simple, selon Christophe Bredillet, directeur de l’École de gestion de l’UQTR : « La Formation continue y avait décelé des opportunités de développement. »

Question plate : à force d’ouvrir des cours et des programmes et des campus partout, est-il possible qu’on en vienne à diluer la qualité de l’enseignement ?

(M. Bredillet m’a par ailleurs dit que l’enseignement des théories du complot ne fait partie ni du programme, ni des cours, ni des objectifs du MBA de l’UQTR. L’Université ne veut pas commenter « un dossier de ressources humaines » en commentant directement le cas de la chargée de cours.)

Autre question plate : pourquoi cette chargée de cours qui aborde des théories délirantes avec ses étudiants n’a-t-elle fait l’objet que de deux plaintes, en 2016 et en 2018 ?

Des dizaines d’étudiants ont entendu la prof jaser sur les chemtrails, la fausse conquête de la Lune, « ils » nous gouvernent, Satan caché dans un logo de Starbucks…

Et ils n’ont rien dit. Juste deux plaintes.

Pourquoi ?

Je ne sais pas, je ne fais pas partie des leaders de la société qui détiennent un MBA.

Mais je note que selon l’étudiant qui m’a contacté pour dénoncer cette prof, le contenu du cours de leadership était par ailleurs « beaucoup trop léger » et « digne d’un cours de cégep », avec examen à faire avec les notes de cours et un seul livre à lire dans le trimestre. À l’examen, « il a suffi de recopier ce qu’il y avait dans le livre… »

Ceci expliquant cela : pourquoi des étudiants se plaindraient-ils d’une enseignante qui donne un cours facile auprès d’une université qui, de toute façon, n’est pas dans la business de bousiller ses « opportunités de développement » en compliquant la vie de ses clients ?

Tout le monde est content, amen et ne faites confiance aux licornes sous aucun prétexte.