Téléphones intelligents

Populaires, pratiques... et polluants

Une donnée cruciale a été négligée jusqu’ici lorsqu’on s’intéressait à l’environnement et au téléphone intelligent, selon des chercheurs canadiens : l’empreinte écologique de l’utilisation de ces appareils. Elle contribue à plomber le bilan énergétique d’un appareil dont on se débarrasse en général en moins de deux ans. Nos explications.

Des milliards de téléphones

Plus de 8,5 milliards de téléphones intelligents ont été vendus à travers le monde entre 2007 et 2017, selon Statista. Cette révolution technologique est généralement vue d’un bon œil du point de vue environnemental, a constaté Lotfi Belkhir, professeur à la School of Engineering Practice and Technology de l’Université McMaster, en Ontario, puisque ces petits appareils sont capables d’accomplir des tâches autrefois réservées à des ordinateurs plus imposants et plus énergivores. 

« Ce qu’on a découvert, c’est que ces technologies n’aident pas, elles augmentent notre empreinte environnementale. Ça passe inaperçu. »

— Lotfi Belkhir, professeur à la School of Engineering Practice and Technology de l’Université McMaster

D’ici 2020, les émissions de gaz à effet de serre (GES) causées par l’utilisation des téléphones intelligents feront en sorte qu’ils surpasseront celles émises par le recours aux ordinateurs de bureau et portables, préviennent son collègue Ahmed Elmeligi et lui dans une étude publiée récemment dans le Journal of Cleaner Production.

Une utilisation sous-estimée

« Si on ne regarde que la consommation énergétique de nos téléphones, on se dit : “D’accord, c’est une bonne chose” », expose M. Belkhir. Leur bilan énergétique est toutefois bien plus lourd si on observe l’infrastructure nécessaire à leur utilisation. « Pour chaque message texte, chaque coup de fil, chaque vidéo téléversée ou téléchargée, il y a un centre de données qui rend la chose possible, écrivent les chercheurs. Les réseaux de télécommunication et les centres de données consomment beaucoup d’énergie et la plupart des centres de données fonctionnent grâce à de l’électricité produite par des combustibles fossiles. » 

« C’est la consommation énergétique qu’on ne voit pas. »

— Lotfi Belkhir, professeur à la School of Engineering Practice and Technology de l’Université McMaster

L’enjeu, c’est l’énergie nécessaire au fonctionnement – à leur refroidissement, surtout – de ces centres de données en activité 24 heures par jour et sept jours par semaine. « La croissance de ces centres de données est largement stimulée par l’explosion des communications mobiles », affirme M. Belkhir. La consommation énergétique des centres de données qui servent à faire fonctionner nos téléphones intelligents augmente de 112 % les émissions de GES de nos appareils. Si rien ne change, en 2040, les émissions de nos téléphones pourraient générer 14 % des émissions globales de GES, soit l’équivalent de l’empreinte écologique du secteur des transports en entier à l’heure actuelle. 

Tenir compte de la consommation énergétique des centres de données n’est pas un détail, selon les chercheurs. En plus des communications mobiles, qui vont continuer de se développer, ce genre d’infrastructure est nécessaire à deux autres secteurs en croissance : les objets connectés et le minage de cryptomonnaies. « Tous ces centres de données doivent passer à une énergie 100 % renouvelable », dit M. Belkhir, lorsqu’il envisage le futur.

Le poids de la fabrication

L’impact écologique du téléphone intelligent tient surtout à sa fabrication, qui nécessite l’extraction de métaux qui entrent, entre autres, dans la composition des écrans tactiles, des piles et des dispositifs de vibration. « Le pourcentage de ces matériaux [dans les téléphones] est très bas, mais l’extraction du minerai n’est pas un procédé très favorable pour la planète », résume Ainissa Ramirez, communicatrice scientifique et ex-professeure à l’Université Yale, en évoquant notamment l’utilisation de produits chimiques et la destruction de l’environnement.

« La grande majorité des téléphones sont faits en Chine ou en Inde, des pays qui utilisent de l’énergie à base de charbon. C’est clair que les impacts sont plus grands que si l’énergie provenait de l’hydroélectricité, par exemple. » 

— Pierre-Olivier Roy, du Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services

Ces éléments pèseraient aussi un peu moins lourd dans le bilan écologique s’ils pouvaient être amortis sur une longue période d’utilisation. Ce qui est loin d’être le cas pour les téléphones intelligents.

Une vie trop courte

On garde un téléphone en moyenne 21 mois, alors que les ordinateurs (portables ou de bureau) sont utilisés de trois à sept ans, selon M. Belkhir. «  On s’en débarrasse parce qu’un nouveau modèle est sorti, parce que l’internet est plus rapide sur un nouvel appareil ou que notre forfait est arrivé à échéance », énumère M. Roy, qui parle plutôt d’une durée de vie de seulement 18 mois.

« Le modèle d’affaires selon lequel on remplace un téléphone tous les deux ans est tout simplement insoutenable. Ces appareils pourraient fonctionner pendant six ou sept ans sans problème, comme les tablettes », signale M. Belkhir. 

« Il y a un problème. Il faut évidemment favoriser l’environnement plutôt que les actionnaires des entreprises [qui fabriquent les téléphones]. »

— Lotfi Belkhir, professeur à la School of Engineering Practice and Technology de l’Université McMaster

L’attrait de la nouveauté est fort, fait valoir Ainissa Ramirez, qui croit toutefois que les gens agiraient différemment « s’ils savaient qu’ils peuvent aider l’environnement en changeant moins souvent d’appareil ». Les fabricants ont aussi leur responsabilité : la durée de vie des piles des téléphones intelligents est l’un des éléments qui ont été négligés, selon elle. 

Opération récupération

« C’est fantastique d’avoir accès à cette technologie, mais assurez-vous de recycler vos appareils », insiste Mme Ramirez. Très peu de gens le font à l’heure actuelle. Moins de 1 % des appareils sont recyclés, selon Pierre-Olivier Roy et Lotfi Belkhir. « Tous les matériaux – métaux et plastiques – se retrouvent la plupart du temps dans des sites d’enfouissement », dit encore M. Roy.

L’autre raison expliquant ce faible taux de récupération est la difficulté de séparer les différents éléments. « Tout est fusionné, alors il est extrêmement difficile de recycler les cellulaires à bon marché. » Lotfi Belkhir estime qu’il faut mieux encadrer ce recyclage et qu’il est de la responsabilité des fabricants de revoir le design de leurs appareils pour en favoriser la récupération. 

Pollution

Ne pas le changer

Garder son téléphone plus longtemps a un impact direct sur la diminution de son empreinte écologique, ne coûte rien et ne demande aucun effort. Par ailleurs, sur le strict plan matériel, ces appareils peuvent durer jusqu’à quatre ou cinq ans, selon Pierre-Olivier Roy, du CIRAIG, et même jusqu’à sept ans, selon le professeur Lotfi Belkhir. Un peu de patience sera sans doute nécessaire en cours de route, puisqu’ils tendent à se décharger plus vite et à être moins performants.

Si on le change… le recycler

Une infime partie des milliards de téléphones intelligents produits depuis l’introduction de l’iPhone en 2007 est recyclée. Les laisser croupir au fond d’un tiroir n’est pas une solution viable à long terme sur le plan environnemental. Mieux vaut les apporter dans un centre de récupération (un écocentre, par exemple) ou les déposer dans un des Électrobac disposés dans des écoles, des bureaux, des centres commerciaux, des épiceries et d’autres lieux publics un peu partout au Québec.

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