Hommage

Raymond Laurent, la voix de la perle des Antilles

La radio est mon média préféré. Moi, aficionado de télévision... À la radio, on retrouve une intimité facilement perdue à la télévision. Mais l’image marque différemment que la voix et il n’y a donc pas de comparaison à faire entre les deux.

Pour les exilés, les immigrés, les déracinés, la radio communautaire demeure le cordon ombilical à la mère patrie, quelles que soient leurs origines. C’est là qu’on entend les vraies nouvelles du pays : celles qui souvent expliquent pourquoi ils sont ici et pas là-bas. Celles qui rappellent pourquoi malgré tout, ils l’aimeront toujours. 

Pour les gens d’origine haïtienne, cette essentielle connexion est assurée par Raymond Laurent, à Montréal. En novembre, cela fera 30 ans que l’homme à l’inimitable voix est au micro de CKUT, la radio de l’Université McGill, tous les samedis. 

L’émission Samedi midi Inter est incontournable. L’ancien premier ministre Paul Martin le sait. Aux débuts des années 2000, il est passé au micro de Raymond. Tout comme pratiquement tous les politiciens depuis, de divers ordres gouvernementaux, en campagne dans des arrondissements à importante concentration de citoyens d’origine haïtienne. 

Les interviews faites en duplex, avec des intervenants en Haïti, font aussi partie du manifeste de l’émission de Raymond Laurent. Les ministres, les présidents et les représentants diplomatiques savent que pour passer un message à la diaspora, l’émission de Raymond est un must.

Raymond Laurent donne une plateforme non seulement aux politiciens, mais aussi aux activistes, aux artistes, aux promoteurs, aux entrepreneurs et à au moins une attachée de presse. Et ce, en français et en créole. 

À l’occasion, l’animateur se rend en Haïti pour diffuser en direct de ce qui demeure la perle des Antilles. Il s’y est notamment rendu peu après le tremblement de terre de 2011. Une source de chez nous, ici, qui savait nous donner certaines recommandations, trop peu entendues ailleurs. Deux exemples : « attendez avant d’envoyer des conteneurs » et « ce ne sont pas toutes les ONG qui sont conformes ». 

Un leader important

Raymond Laurent est aussi un leader de cette diaspora haïtienne qui est maintenant indissociable de la société québécoise. En 2013, tout juste après la tragédie de Lac-Mégantic, il a orchestré une importante collecte de fonds pour les habitants affectés, rappelant que deux ans plus tôt, les Québécois l’avaient fait pour Haïti, généreusement et sans hésitation. 

Et en cette ère où on consomme souvent les médias en rattrapage sur le web, l’émission de Raymond Laurent se démarque, puisqu’à part la diffusion en direct sur l’internet, ses archives sont presque inexistantes. Ce que Raymond Laurent crée est un inéluctable rendez-vous, le samedi de 10 h 30 à 14 h. « Restez branchés », comme il dit. 

Est-ce que Raymond Laurent pourrait avoir un micro à la radio commerciale ? Évidemment. Est-ce là qu’on a besoin de lui ? Pas vraiment. Son rôle dépasse celui d’animateur. Il agit aussi à titre de médiateur et d’arbitre, lorsqu’il ouvre les lignes aux auditeurs, et d’éditorialiste en chef, lorsqu’il explique aux auditeurs certains défis complexes de la politique haïtienne. Mais la politique haïtienne ne détient pas le monopole de l’enchevêtrement.

L’année dernière, lorsque des centaines d’Haïtiens traversaient nos frontières à pied, à la recherche d’une nouvelle vie et guidés par un seul tweet, Raymond Laurent a joué un rôle primordial : celui d’expliquer la réalité moins romantique que celle imaginée par ces braves migrants. Chose qu’il a faite avec fermeté et sensibilité. 

Et tout comme ses confrères et consœurs des autres médias, impossible de savoir de quel côté politique Raymond Laurent penche, même si dans son CV, on notera une brève tentative de saut en politique sous la bannière du NPD, à une époque pré-laytonienne. 

Rigueur et loyauté

Raymond Laurent doit sa longévité à sa rigueur et à la loyauté de ses auditeurs. Nous sommes plusieurs. 

En 2011, la Ville de Montréal estimait que 111 000 de ses habitants étaient d’origine haïtienne. Et chaque Montréalais, toutes origines confondues, a une connexion haïtienne : un collègue, une amie, le professeur du petit, la médecin de maman, l’infirmier de grand-père, la chanteuse de son groupe préféré, l’auteur dont on ne peut se passer, le député de la circonscription. Cette liaison forte, cette molécule essentielle de l’ADN de la ville fait de Raymond Laurent l’animateur indispensable de non seulement une communauté, mais aussi de toute la métropole dont elle fait partie. 

Bonne continuation, M. Laurent, et merci !

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