Critique

Le cinéma de l’esprit

Le reste vous le connaissez par le cinéma
Texte de Martin Crimp (d’après Les Phéniciennes d’Euripide).
Traduction et mise en scène de Christian Lapointe

Un texte touffu et dense. Une mise en scène explosive. Des interprètes fous comme des balais. Le reste vous le connaissez par le cinéma est un spectacle à voir et à revoir à Espace Go.

Ça déborde, ça exulte, ça fait mal par où ça passe. Christian Lapointe a conçu un objet théâtral inventif et foisonnant à partir de son auteur fétiche, le Britannique Martin Crimp, dramaturge néo-absurde, drôle mais profond, qui pourfend intensément l’idée même du pouvoir et l’humanité de consommation.

Ici, le personnage d’Œdipe, ô combien tragique, est ramené à ce qui ressemblerait probablement davantage à la réalité : celle d’un agresseur sexuel lâche et stupide (magnifique Éric Robidoux). Le personnage principal, Jocaste, autre figure tragique par excellence, est magnifiquement interprété par la toujours juste Nathalie Mallette. D’un clin d’œil, elle sait faire rire, d’un ton grave et définitif, elle nous émeut.

Résumons vite l’affaire puisque ce feu roulant théâtral est beaucoup plus.

Jocaste, mère incestueuse, tente de faire la paix entre ses fils Étéocle (hilarant Gabriel Szabo qui fait penser à un politicien du style Denis Coderre) et Polynice (le jeune et surprenant Jules Ronfard), qui aspirent tous les deux au trône délaissé par leur père-frère, Œdipe. Orgueil, violence et sang émergeront de leur bêtise à tous.

« Où est le monde ? », demanderont à juste titre les Phéniciennes, chœur d’élèves rebelles et exaltées dans cette école de la vie où le désespoir guette. Elles exposeront tout au long du spectacle les questions que se posent Lapointe, Crimp et tout artiste qui se respecte. Or, ces questions virent à l’absurde.

Depuis plus de 2000 ans, les réponses n’existent probablement plus. Toutes les guerres sont les mêmes, soulignent les femmes en chœur. 

Mêler le rire aux larmes tragiques

Christian Lapointe fait donc le pari d’en rire le plus souvent possible en insérant des références au temps présent. On peut rire et pleurer. Parfois dans la même réplique. Dans tous les cas, on le fera superbement avec les vidéos de Lionel Arnould, les costumes  d’Elen Ewing et la musique  de Nicolas Basque.

« Pourquoi on a inventé la balance ? », demande Jocaste. Pour que les riches calculent leur richesse ou pour que chacun ait sa juste part. « Comment on va vivre ? », conclut Antigone. Les hommes négocient, transigent et tuent. Les femmes ne pleurent même plus. Tout est dit, mais puisque tout est mensonge et cinéma, rien ne l’est vraiment. 

Et on n’a pas parlé des acteurs suaves que sont Marc Béland et Paul Savoie. Des cris et des rires des femmes. Des accessoires en carton-pâte amusants et de la diversité sur scène, du quotidien futile contaminant les dialogues et des réflexions désespérées du dramaturge et du metteur en scène. L’un, acerbe et poétique, l’autre à l’imagination joyeusement, totalement débridée.

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