Opinion Jeter, transformer, conserver et ajouter

Se donner les moyens de nos ambitions

Nous avons demandé à cinq spécialistes ce qu’ils souhaitaient jeter, transformer, conserver et ajouter dans leur secteur d’activité pour la nouvelle année. Aujourd’hui, Luc Godbout aborde le secteur des finances publiques et de la fiscalité.

Transformer la fiscalité en outil de transition environnementale

Bien que certains critiquent le nouveau gouvernement en matière environnementale, Québec n’entend pas, contrairement à l’Ontario, faire de gestes néfastes comme abolir la taxe sur le carbone. En outre, le pacte de transition a réussi à attirer l’attention citoyenne face aux réels enjeux des changements climatiques. Tablons sur ces jalons pour aller plus loin.

On sait déjà qu’une des meilleures manières de réduire les émissions de GES consiste à mettre un prix à la pollution. Sachant que la fiscalité est un outil permettant d’orienter les comportements, le gouvernement se doit de l’utiliser pour aider la transition environnementale. Par exemple, utiliser le signal-prix en augmentant la taxe sur les carburants.

L’effet direct serait alors un prix à la pompe augmenté. Comme dans tout, un prix plus élevé freine la quantité consommée. Dans le cas présent, on s’attaque directement aux émissions de GES.

Doit-on craindre la réaction des contribuables, comme la crise des gilets jaunes en France ? Contrairement à là-bas, l’argent serait entièrement remis aux citoyens. Pour créer une situation gagnante, à la fois pour les contribuables et pour le gouvernement, qui a promis de ne pas augmenter les taxes, ce dernier doit d’entrée de jeu exposer que cette réforme serait fiscalement neutre : l’objectif n’étant pas d’accroître les revenus, mais de modifier les comportements. Il pourrait même faire voter une loi précisant que chaque dollar additionnel de la taxe sur les carburants réduirait d’autant l’impôt sur le revenu. S’il le souhaite, il pourrait même mandater le Vérificateur général pour suivre cet engagement.

En augmentant la fiscalité sur des éléments polluants, le Québec obtiendrait un premier dividende environnemental ; un deuxième dividende apparaîtrait en réduisant l’importance de l’impôt sur le revenu avec les sommes dégagées. En deux mots, il s’agit d’augmenter la fiscalité sur la pollution et de la réduire sur l’effort de travail.

Conserver l’aide aux travailleurs âgés

Comme le souligne l’OCDE, la fiscalité a un effet important sur les décisions de travail des personnes âgées.

Depuis 2012, le gouvernement du Québec a progressivement mis en place un crédit d’impôt pour les travailleurs expérimentés ayant pour effet d’éliminer l’impôt à payer sur une partie de leur revenu de travail afin de les inciter à demeurer ou à retourner sur le marché du travail.

Au Québec, les taux d’emploi des personnes âgées de 60 ans et plus sont plus faibles que dans le reste du Canada. Une recommandation encore pertinente de la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise en 2015 était d’instaurer une généreuse prime aux travailleurs d’expérience. Même si le crédit actuel a été bonifié au fil des années, il est possible de faire plus. La mise en place des paramètres de la prime aux travailleurs d’expérience alors proposée offrirait une récompense pouvant aller jusqu’à 2500 $ pour un travailleur de 65 ans et plus. En outre, il serait même possible d’accorder 1500 $ aux travailleurs âgés de 60 à 64 ans.

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et sachant que dans certaines situations, il existe des irritants financiers et non financiers à poursuivre la vie active, permettre aux travailleurs d’expérience de la prolonger, s’ils le souhaitent, est non seulement possible, mais souhaitable.

Jeter l’utilisation floue de la réserve de stabilisation

Il faut mieux comprendre et revoir le rôle de la réserve de stabilisation. D’abord, cette réserve n’existe pas au sens strict du terme, il n’y a pas de cagnotte placée à la Caisse de dépôt. Par contre, si on revient à l’esprit de la loi, cette réserve n’est rien d’autre que la comptabilisation des surplus des années passées afin d’atteindre, au sens de la Loi sur l’équilibre budgétaire, ledit équilibre lors de déficits futurs.

Or, il y a un an, le gouvernement du Québec, lors de la mise à jour économique, a volontairement utilisé une partie de la réserve de stabilisation pour instaurer des réductions d’impôt, dont une portion était même rétroactive.

Le gouvernement peut-il volontairement se placer en situation déficitaire et utiliser la réserve pour lancer de nouvelles initiatives ?

Rappelons qu’avant la récession de 2008, seulement 2,6 milliards y avaient été accumulés alors que l’histoire indique que les déficits causés par cette récession ont finalement totalisé 16,4 milliards.

Pendant que l’économie du Québec va bien, que les surplus sont là et qu’un nouveau gouvernement arrive en poste, voilà un bon moment pour discuter en commission parlementaire, en toute transparence, de la valeur souhaitée de cette réserve de stabilisation et des paramètres entourant son éventuelle utilisation.

Ajouter des prévisions budgétaires à long terme

Dans un contexte de vieillissement de la population, une question légitime et relativement simple est de savoir si, dans l’état actuel des choses, le gouvernement du Québec est en mesure de garantir l’équité intergénérationnelle. Sommairement, peut-on assurer le bien-être des générations d’aujourd’hui sans compromettre celui des générations de demain ?

À cet égard, pour une plus grande transparence des finances publiques, l’OCDE incite les gouvernements à procéder à une évaluation des perspectives budgétaires sur un horizon de 10 à 40 ans. Par l’intermédiaire du directeur parlementaire du budget, le gouvernement fédéral reçoit une telle prévision depuis 2010. Au Québec, la Chaire en fiscalité et en finances publiques a réalisé un tel exercice trois fois déjà en 2007, 2014 et 2018. Pour le moment, le Québec n’a pas d’équivalent au directeur parlementaire du budget et le ministère des Finances ne publie pas de projections de perspectives budgétaires à long terme montrant les pressions potentielles du vieillissement sur les finances publiques du Québec.

Voilà un ajout souhaitable pour assurer une meilleure transparence budgétaire.

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