Francophonie canadienne

Un nouveau cycle autonomiste s’ouvre pour le Québec

Une nouvelle avenue politique s’ouvre pour le Québec : s’affirmer comme foyer national de la Francophonie au pays. Bien menée, cette démarche lui permettrait de s’élever au-delà de son statut de province. Et de renforcer la position autonomiste du gouvernement Legault. Entrevue avec le sociologue Joseph Yvon Thériault, professeur à l’UQAM.

Le refus du gouvernement Ford de financer l’Université de l’Ontario français a soulevé un tollé au Québec. Même le premier ministre François Legault a réagi. Mais au-delà de ce sursaut de solidarité, il y a quand même eu une grande rupture parmi les francophones du Canada dans les années 60. Pourquoi ?

Cette rupture est survenue lors des États généraux du Canada français [assises tenues de 1966 à 1969]. Ça correspond à la montée du sentiment souverainiste au Québec. À l’époque, ce projet politique reposait, en partie, sur l’idée que le Canada protégeait mal les Canadiens français. Donc, il n’était pas fondé si les francophones hors Québec prospéraient. En même temps, en se modernisant et en appelant la souveraineté, les francophones du Québec, qui s’appelaient des Canadiens français, ont changé d’identité. Ils sont devenus des Québécois. Un tel changement identitaire s’est rarement vu ailleurs. Les Irlandais, quand ils revendiquent leur nationalisme, ils revendiquent leur passé historique d’Irlandais. Les Écossais et les Occitans aussi.

Comment expliquer cette réaction ?

Dans certains milieux, c’était presque devenu une insulte de dire à quelqu’un qu’il était Canadien français. Pour eux, ça représentait le vieux nationalisme pleurnichard de la survivance. Donc, un Québec moderne, ouvert, territorial, ce n’était pas le Canada français. Pourtant, dans les faits, ce lien n’a pas disparu. Au fédéral, les Québécois ont toujours voté pour des représentants francophones, comme Trudeau père et fils. Et j’irais même plus loin. En refusant, par deux fois, de voter Oui à l’indépendance du Québec, des Québécois ont affirmé qu’ils restaient des francophones du Canada. Qu’ils restaient des Canadiens français. Pour eux, ce n’est pas uniquement une représentation identitaire. C’est un statut.

Justement, après avoir perdu deux référendums, quelle force politique reste-t-il au Québec pour promouvoir sa différence francophone en Amérique ?

Avec l’élection de la Coalition avenir Québec, on entre dans une autre conjoncture politique. On parle d’autonomisme par opposition à l’indépendance. D’une certaine façon, c’était ça, le Canada français. C’est affirmer sa différence et défendre sa culture sans aller jusqu’à revendiquer la pleine souveraineté. Est-ce que quelqu’un va utiliser cette réalité-là pour en faire une proposition politique ? Ça reste à définir. Mais, après l’échec des référendums, le Québec doit reconquérir un poids politique dans le Canada. Et il sera plus fort s’il le fait comme Canadien français plutôt que comme Québécois. Car, au lieu de représenter une province, il représentera une des nations fondatrices du pays [les deux autres sont les autochtones et les anglophones]. En incluant le million de francophones à l’extérieur de ses frontières, ça lui donne une autre dimension.

Quelles mesures devrait prendre le Québec pour se rapprocher des francophones du reste du Canada ?

C’est d’abord une question d’attitude politique. Il faut vouloir développer une forme d’alliance avec les francophones hors Québec. Et il faut aussi qu’à leur tour, ils acceptent de faire partie du même univers politico-culturel. Dans ces conditions, le Québec pourrait, avec les outils qu’il possède, se présenter comme le foyer national de la Francophonie au Canada. Et assumer une certaine puissance qui dépasse son cadre actuel pour protéger et promouvoir le fait français au pays. C’est un projet qu’on pourrait dire de noblesse d’État. Ce n’est pas du provincialisme ni du repli sur soi. On agit comme un État. Et un État francophone.

Comment voyez-vous le rôle du Québec ?

L’idée, c’est de dire : le Québec ne réaffirme pas sa présence politique dans le Canada comme une simple province. Il la réaffirme comme l’épicentre de l’une des nations fondatrices du pays. Comme une entité politique qui dépasse sa réalité actuelle. Ce n’est pas parce qu’il n’a pas fait la souveraineté – ou qu’elle ne se réalisera pas dans un horizon prévisible – que le Québec doit être réduit à l’impuissance politique. Pour ce nouveau cycle qui débute, il ne faut pas ramener le Québec dans le Canada. Il faut réintégrer le Canada français dans le Québec. Le gouvernement Legault a-t-il la grandeur nécessaire pour assumer ce destin ?

Joseph Yvon Thériault

Sociologue réputé, il enseigne à l’UQAM où il est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie. Il est aussi professeur émérite de l’Université d’Ottawa, où il a enseigné durant 30 ans. M. Thériault est né à Caraquet, au Nouveau-Brunswick. Ses recherches portent, notamment, sur la société québécoise, l’Acadie et les francophonies minoritaires au Canada. Il a obtenu de nombreuses distinctions, dont le Prix de la présidence de l’Assemblée nationale du Québec pour son ouvrage Critique de l’américanité et le prix Jean-Éthier-Blais pour Évangéline : Contes d’Amérique.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.