Claire Chazal

À la croisée de sa vie

La mer est d’huile, mais Claire Chazal sait mieux que personne que dans les eaux limpides sommeillent des tempêtes. À 62 ans, l’ancienne présentatrice a appris à affronter grains et avaries. Journaliste exigeante, amoureuse ardente, amie d’airain, mère vigilante : elle a empoigné ce que lui offrait la vie avec fougue et appétit. L’adversité ne lui fait plus peur ; le temps qui passe, si. « Dans l’âge, ce qui me hante, c’est que l’horizon se rétrécit. Tout se contracte. » 

Quarante-deux degrés à l’ombre, à Paris, le jeudi 25 juillet dernier. Un temps à annuler tous les rendez-vous. Surtout celui de la visite du chantier de la bibliothèque Richelieu. En pleine fournaise, il faut mettre des bottes et porter un casque. De quoi faire un arrêt cardiaque. N’importe quel individu normalement constitué aurait décalé à la semaine suivante. Pas Claire Chazal. « J’avais promis. » Son sens du devoir peut parfois virer à la suffocation. « Oui », admet-elle sobrement. Claire a réussi sa carrière grâce à ce sérieux absolu. Une intégriste de l’effort.

Elle débarque à l’hôtel Meurice après l’épreuve Richelieu fraîche comme une rose, en impeccable robe-chemisier de coton blanc craquant comme du papier, même pas empoussiérée. Mission accomplie. Brushing souple, peau bronzée, elle commande un Perrier menthe qui lui va bien au teint. Madame Parfaite. On est en juillet, mais elle prépare sa rentrée : Passage des arts, la même émission quotidienne culturelle sur France 5, mais moins chère ; davantage de plateau et moins de sujets filmés, trop coûteux. Elle s’adapte.

Battante

On a prétendu que l’impitoyable présidente de France Télévisions (Delphine Ernotte) voulait virer l’émission de la grille. Claire s’est bagarrée pour la garder. Elle sait qu’on ne va rien lui passer. Ne compte pas ses heures. Elle gagne « quatre fois moins que sur TF1 », mais elle se décarcasse encore plus. Dans quelques jours, trêve de l’été oblige, elle embarque sur un bateau avec son fils et des amis pour les îles Éoliennes. Lipari, Vulcano, Stromboli… merveilleux atolls aux panoramas spectaculaires entre terre et ciel. Ça fait rêver ! Pas Claire.

« Un paysage ne me suffit pas. Je ne suis pas du tout contemplative, mais alors pas du tout ! J’ai besoin de faire, de marcher, de… travailler. » Elle fera tanguer le vaisseau avec ses sacs de livres « de la rentrée ». S’il ne tenait qu’à elle, elle ne bougerait pas de son appartement parisien. 

« Les vacances m’angoissent totalement. Je pourrais faire un burn-out estival ! Je déteste ce départ au loin, ce manque de repères. Je me dis : mais pourquoi je pars ? C’est absurde ! Bon, j’y vais parce que j’aime partager des choses avec mon fils. » — Claire Chazal

François, étudiant, est son soleil. Le garçon qui ne la décevra jamais.

Ses amours

Les hommes de sa vie, en revanche, c’est une autre histoire. Pendant près de trente ans, ses amours ont fait la une plus que son « JT ». D’abord avec Patrick Poivre d’Arvor, le père de son fils né en 1995, PPDA, l’empereur des journaux. « Une relation chaotique mais tellement enrichissante ! Il m’a aidée, il m’a appris beaucoup de choses. C’était pour moi un modèle. Professionnellement, on était en totale harmonie. […] Pour moi, il a dominé cette profession. »

Ce qui ne l’a pas empêchée de craquer pour un autre, dans la même chaîne de télé, au bout de quelques années de romance. Xavier Couture était alors directeur général adjoint de TF1. Plus sanguin, nettement moins subtil que Patrick, « il était plus moderne, plus rock’n’roll », le qualifie Claire. Certains ajouteraient : fanfaron et brutal. Son franc-parler, parfois très vert, n’a d’égal que sa flamboyance. La légende raconte que, apprenant l’idylle, Patrick, jaloux, en serait venu aux mains avec Xavier ! Claire rectifie énergiquement : « Ah non, pas du tout ! Patrick n’est pas du genre à faire le coup de poing. Mais… oui, ils ont eu une discussion très, très tendue. »

Pour liquider le duel, Claire a épousé Xavier. Son premier mariage. Le seul. Celui qu’elle a cru éternel. Comme elle l’écrit dans son livre, Puisque tout passe : « On s’était promis de se fermer les yeux, on n’a pas tenu cette promesse. » Il fut son plus grand chagrin d’amour, celui dont elle semble ne pas se relever malgré les amants qui ont suivi. « Xavier m’a apporté sa légèreté, sa désinvolture, ses curiosités modernes, sa drôlerie… »

Quand elle égrène leurs souvenirs de vacances, la Provence, la Corse, la Californie, on éprouve avec elle ses frissons de sensualité : « Je n’aimais rien tant que le retrouver de retour d’un après-midi en mer, la peau salée, assoiffé. Nous courions l’un vers l’autre. […] Puis nous rentrions en nous agrippant l’un à l’autre, il enserrait ma taille. […] Il ne reste aujourd’hui plus rien. »

Séducteurs

La journaliste semble invariablement attirée par des séducteurs. Elle l’admet, songeuse : « Oui, c’est vrai, souvent. » Après Xavier, la voilà qui craque à nouveau pour un homme dont la séduction est le métier : l’acteur Philippe Torreton a une dizaine d’années de moins qu’elle, une mère institutrice lui aussi et des goûts qu’elle partage. Elle adore le théâtre, l’opéra, le spectacle, il met ses tripes dans ses rôles. Cet interprète a le talent de la réconforter après son chagrin d’amour, jusqu’en 2007.

Avec Arnaud Lemaire, l’histoire reste son plus doux souvenir. On s’est étonné de la voir avec ce beau mannequin aux yeux bleus, de vingt ans son cadet. Au-delà de sa beauté, qu’est-ce qu’elle lui trouvait ? Leur romance a duré presque huit ans, entre 2007 et 2015. Adorable chevalier servant, il a trouvé en elle une femme cultivée, élégante, qui savait partager son expérience de la vie, du milieu. Et lui, subjugué et plein d’attentions, n’allait au moins pas la faire souffrir. Aujourd’hui encore, elle en parle avec tendresse.

« Arnaud, c’était vraiment le contraire d’un séducteur. Il possède une séduction innée mais il n’en joue jamais. Un être pur, candide, d’une sincérité totale. Il a une âme d’enfant. » Elle ajoute, diplomate, comme à regret : « Il a manqué une dimension dans notre relation… » Admet, navrée, l’avoir « peut-être » fait souffrir en le quittant. « Mais notre lien demeure. »

On la sent aujourd’hui un peu désenchantée. Habitée par l’angoisse de la mort. « Le mystère de la fin, ça m’obsède… » Quand on lui rétorque qu’elle a peut-être encore vingt ou trente ans devant elle, cette esthète ne voit que le déclin physique.

Passion

Par moments, elle semble résignée à peut-être finir dans « une solitude poisseuse ». Elle admire (beaucoup), rêve (un peu) de « ces couples au long cours, tendres et complices ». Elle se décrit à l’opposé : 

« Je suis entière, absolue, passionnée, j’ai besoin d’une constante intensité. Je ne suis pas capable de vivre autre chose dans le couple. Au bout de quelque temps, je nous vois sombrer dans la lassitude, la médiocrité, la routine, ça m’est insupportable ! Je ne veux pas de tiède. Un couple, ça doit être fusionnel. Mais ces choses-là s’épuisent, inéluctablement. » — Claire Chazal

On a beaucoup glosé sur ses déclarations à son ami Marc-Olivier Fogiel, qui l’interviewait pour Paris Match en 2017 : « J’ai plus de plaisir à me priver qu’à être rassasiée, il y a comme une joie de l’ascèse. » Elle persiste et signe : « Oui, j’aime l’ascèse, le corps asséché, l’effort sur soi, la maîtrise. Le contrôle de l’appétit, des envies. » 

Sur ses îles Éoliennes, entre un vino frizzante et trois copeaux de parmesan, il ne lui manque qu’une sérénade romantique au coucher du soleil sur la lagune.

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