CHRONIQUE

Le fisc impose des amendes record aux fraudeurs

Les communiqués de Revenu Québec ont vraiment piqué ma curiosité. Est-ce que je rêve ou le fisc a été nettement plus actif ces derniers mois ?

Vérification faite, les fraudeurs punis par Revenu Québec atteignent effectivement un record cette année. Plus précisément, les amendes pour fraude fiscale ou contrebande de tabac ont atteint 206 millions au cours des six premiers mois de l’exercice financier 2018-2019 (d’avril à septembre 2018). Ce niveau est près de deux fois supérieur aux 127 millions de l’ensemble de l’année dernière et six fois plus que les 38 millions de l’année précédente. Wow !

Les peines d’emprisonnement pour fraude sont aussi en hausse, quoique de façon moindre. Les 39 peines de prison de la mi-année se comparent à une moyenne annuelle de 34 au cours des trois années précédentes entières.

Précisons qu’il est ici question de fraudes et non de cas de vérification fiscale, d’avis de nouvelle cotisation ou de mauvaises déclarations. Les cas mentionnés sont liés à des stratagèmes visant à extirper au fisc des sommes indues, notamment dans des cas de crédits de TPS et de TVQ. Bref, on a affaire à des voleurs !

La collecte des amendes est d’ailleurs confiée au ministère de la Justice et une déclaration de faillite d’un contribuable ne le dispense pas de payer son dû dans un tel cas.

Diverses raisons expliquent cette recrudescence des dossiers pénaux du fisc.

D’abord, deux éléments techniques sont au menu. D’une part, la grève des juristes, qui a pris fin au début de 2017, avait eu pour effet de dégonfler le nombre de dossiers en 2016-2017 et de rehausser ceux de 2017-2018. D’autre part, l’arrêt Jordan, en juillet 2016, a forcé Revenu Québec à embaucher une vingtaine de nouveaux procureurs afin d’accélérer les choses et d’éviter des arrêts du processus judiciaire pour délais déraisonnables.

Par ailleurs, à lui seul, le projet Carat, dans le secteur de l’orfèvrerie, a dopé le montant des amendes, m’indique Revenu Québec. Ainsi, quelque 169 des 206 millions des six premiers mois de 2018-2019 ont été imposés dans ce seul dossier !

Essentiellement, 11 sociétés et 8 administrateurs ont été reconnus coupables de 350 chefs d’accusation dans cette affaire, écopant non seulement de 169 millions d’amendes, mais également de peines d’emprisonnement.

Il s’agissait d’un des plus gros dossiers de l’histoire de Revenu Québec, qui impliquait des stratagèmes de fausses facturations dans le domaine des rebuts de l’or. Le vendeur d’or Kitco, au centre des accusations à l’origine, s’en est tiré sans infraction pénale.

Malgré ces éléments, la dernière année a été féconde, et les peines d’emprisonnement plus nombreuses sont là pour en témoigner. « C’est une grosse année, effectivement. Oui, il y a eu Jordan et le projet Carat, mais ça demeure tout de même une grosse année. Et nos enquêteurs continuent à être très actifs », explique le porte-parole de Revenu Québec, Stéphane Dion.

Selon lui, Revenu Québec reçoit des commentaires de citoyens qui se disent heureux que le fisc ait épinglé des fraudeurs fiscaux, « car c’est notre argent à tous qui a été volé dans ces cas », dit-il.

Outre ces volets, et si l’on exclut les dossiers de contrebande de tabac, deux secteurs sortent du lot : la construction et la restauration.

Des exemples ? Le 6 décembre, Revenu Québec a annoncé avoir imposé des amendes totalisant 2,8 millions à deux individus actifs dans l’industrie de la construction, soit Rocco et Sandro Carbone, de même qu’à leurs entreprises, notamment Construction Expert R.C. et Rénov-Bâtime.

Rocco Carbone a faussement réclamé des remboursements de TPS et TVQ à l’aide de déclarations bidon. Le fisc exige qu’il rembourse personnellement 1,38 million d’ici 12 mois, en plus de lui imposer 18 mois de prison. Ouch !

Ce dossier est lié au travail de l’UPAC dans le contexte de l’enquête sur des contrats d’entretien du Centre universitaire de santé McGill (CUSM).

Autre exemple : la peine d’emprisonnement avec sursis de 15 mois et l’amende de 625 000 $ imposées à David Martineau, annoncées en juin dernier. Dans ce cas, l’homme d’affaires de Repentigny et ses entreprises avaient volontairement omis de remettre les montants de TPS et TVQ, ce qui a été admis en cour. Et encore une fois, le dossier est l’œuvre d’une collaboration avec des policiers, dans ce cas la Sûreté du Québec (projet Hantise).

Dans le secteur de la restauration, un des dossiers marquants est celui annoncé le 20 novembre concernant le couple Ahmet Sabir et Mumine Sabir qui exploitaient le restaurant Pizzeria 2 pour 1, rue Dorchester, à Québec. Le couple a perçu de la TPS et de la TVQ à sa clientèle entre 2011 et 2015, mais ne les a pas entièrement remises au fisc. Amende : 206 000 $, en plus de huit mois de prison pour Ahmet Sabir. Le restaurant a changé de propriétaire depuis.

Enfin, le fisc et la SQ épinglent très souvent des contrebandiers de tabac, à qui ils imposent plusieurs amendes et parfois des peines d’emprisonnement. Tout récemment, le 17 décembre, 12 personnes ont été reconnues coupables, écopant d’amendes totalisant 1,8 million.

Il est à prévoir que des contrebandiers de cannabis se verront aussi frappés par les enquêtes du fisc prochainement. Québec a en effet créé le programme ACCES cannabis, doté d’un budget de 10,7 millions cette année. À suivre…

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