Football universitaire

De néophyte à joueur étoile

À son arrivée au Québec, Maurice Simba ne savait même pas ce qu’était le football. Six ans plus tard, il cogne à la porte des équipes professionnelles.

Maurice Simba est l’un des meilleurs espoirs du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ) pour les prochains repêchages professionnels. Sélectionné dans l’équipe d’étoiles la saison dernière, invité au défi Est-Ouest au mois de mai, il a connu une progression fabuleuse et les recruteurs, même ceux de la NFL, sont intrigués par son potentiel.

Pourtant, à son arrivée au Québec en 2012 en provenance de Kinshasa, en République démocratique du Congo, il n’avait jamais vu le moindre match de football de sa vie. Mais il avait un atout : il mesurait 6 pi 8 po !

« C’est certain qu’ils [les recruteurs] regardent tout le chemin que j’ai parcouru depuis quatre ans et qu’ils se disent que je serai vraiment bon, dans quatre autres années, si je continue à ce rythme », résume Simba, joueur de ligne offensive avec les Stingers de Concordia, sans la moindre prétention.

Lui-même s’interroge sur ce qui l’attend dans la vie, mais il préfère y aller un jour à la fois, une leçon qu’il a retenue de ses grands-parents.

« Ce sont eux qui m’ont élevé, à Kinshasa, raconte-t-il. C’est une longue histoire, mais disons que je n’avais pas beaucoup connu mes parents. Mon père est mort en 2006 et ma mère a immigré au Québec à cause de la guerre civile dans notre pays. Elle espérait me faire venir rapidement, mais ç’a été plus compliqué et, avec tous les papiers, je ne l’ai retrouvée qu’en 2012. »

Leurs retrouvailles n’ont pas été évidentes. Sa mère avait refait sa vie avec un nouveau conjoint et Simba découvrait en même temps quatre demi-frères et demi-sœurs, tous un peu étonnés face à un tel géant. Il vit toujours avec eux, à Laval, et parle avec beaucoup de franchise des sentiments qu’il a éprouvés.

« J’en ai un peu voulu à ma mère d’être partie de cette façon, reconnaît-il. Mais aujourd’hui, à 24 ans, je comprends qu’elle a fait ça pour me permettre d’avoir une meilleure vie et qu’elle a dû faire plusieurs sacrifices pour y arriver. »

Les avantages du poids

Et le football, demandez-vous ?

C’est un oncle qui l’a présenté à Paul-Eddy Saint-Vilien, alors entraîneur-chef au cégep Montmorency. « Dans ma culture, quand un oncle te dit qu’il va te présenter quelqu’un, tu y vas, raconte-t-il. Mais quand j’ai vu ces gars avec des casques se cogner dessus, j’ai pensé que ce n’était pas pour moi.

« Au Congo, notre idole est Dikembe Mutombo, une légende du basketball, et c’est ce sport que je voulais pratiquer. Mais j’étais probablement le gars le moins en forme au monde, une vraie poche de patates. »

« Je mesurais 6 pi 8 po, mais je pesais 320 lb, alors le basketball, ce n’était pas pour moi. »

— Maurice Simba

Saint-Vilien a donc convaincu Simba de tenter sa chance au football. « J’ai détesté ma première saison, avoue-t-il. Je ne comprenais ni les règles ni les techniques, je ne jouais pas, je trouvais que les entraîneurs étaient durs envers moi… Ce n’est qu’au dernier match de la saison que j’ai eu droit à quelques minutes sur le terrain. Et c’est là que j’ai compris que je pourrais aimer ça. »

Quelques mois après son arrivée à Montréal, Simba a aussi compris les avantages que sa taille lui procurait au football : « Personne n’était allé à l’université dans ma famille. Quand je suis arrivé ici, ma mère pensait que je devrais suivre une formation pour devenir plombier, un métier payant.

« Au cégep, Paulo [Saint-Vilien] m’a expliqué que j’avais le physique pour attirer l’attention d’une équipe universitaire et peut-être obtenir une bourse pour mes études. Il m’a dit qu’il avait des contacts, mais que c’était avant tout à moi d’aborder les équipes. C’est sûr que si j’avais mesuré 5 pi 10 po, personne ne se serait intéressé à moi. »

Une rencontre décisive

Refusé à Laval et à Montréal en raison de son dossier scolaire, Simba a atterri à Concordia où l’entraîneur de la ligne offensive Ted Karabatsos l’a pris sous son aile. « Au cégep, j’ai beaucoup appris, mais il n’y avait qu’un entraîneur à temps plein et les entraînements restaient peu nombreux.

« Tout a changé quand je suis arrivé à Concordia. Ils croyaient en moi, m’offraient une bourse complète et coach Ted m’a dit qu’il s’engageait personnellement à travailler avec moi afin que je devienne le meilleur joueur de ligne que je puisse être. »

« [Ted Karabatsos] a été un véritable mentor et je lui dois beaucoup. »

— Maurice Simba

Simba reconnaît aussi une dette envers Matt Halbgewachs, le centre des Stingers, qui est arrivé dans l’équipe la même année que lui. Déjà étiqueté « espoir professionnel », l’étudiant athlète de la Saskatchewan n’a jamais hésité à lui faire partager ses trucs et son amitié : « C’est un joueur de ligne exceptionnel, déjà au niveau des professionnels. Jouer à ses côtés m’a permis de progresser beaucoup plus rapidement.

« Matt voit des choses sur le terrain que personne d’autre ne peut deviner. Et il reste toujours très calme, toujours en contrôle de ses émotions, quelles que soient les situations. Il y a beaucoup de provocation sur la ligne, tout le monde veut entrer dans la tête du gars en face de lui. Mais Matt m’a appris à ne pas tomber là-dedans. Je n’y arrive pas toujours, mais ça s’en vient ! »

Fier et ambitieux

À sa quatrième saison avec les Stingers, Simba sera admissible aux repêchages de la LCF et de la NFL le printemps prochain. Il se retrouve parmi les meilleurs espoirs et ne cache pas la fierté que cela lui procure.

Pendant l’été, quand Brad Collinson a été nommé entraîneur-chef à Concordia, son joueur de ligne étoile n’a pas manqué de lui rappeler que c’est lui qui l’avait refusé à Laval, où il était responsable de l’encadrement scolaire à l’époque.

Il y a quelques semaines, c’est Glen Constantin lui-même qui lui a exprimé ses regrets lors de la visite des Stingers à Québec.

« Après notre match, nous nous sommes croisés et il s’est excusé de ne pas avoir cru en moi. Ça m’a vraiment impressionné venant d’un homme comme lui. »

— Maurice Simba

« Il m’a même dit qu’il s’était promis de ne jamais répéter cette erreur ; tant mieux si ça peut permettre à d’autres joueurs comme moi d’avoir une chance de jouer avec le Rouge et Or. »

Simba n’a aucun regret d’avoir saisi sa chance ailleurs. Le football et les Stingers lui ont ouvert bien des portes et il entend en profiter au maximum. Jouer chez les professionnels l’intéresse, mais il n’en fait pas sa priorité, comme le lui a conseillé Sasha Ghavami, agent de Laurent Duvernay-Tardif, qu’il a contacté.

« Il sera là pour m’aider après la saison, mais pour l’instant, je consacre toutes mes énergies aux Stingers. Nous voulons aller le plus loin possible, et pour ça, il faut jouer un match à la fois. Là, on se prépare à affronter les Carabins [aujourd’hui] et c’est tout ce qui compte. Le football professionnel, ce sera pour plus tard. Je ne suis même pas encore certain de pouvoir faire carrière dans ce sport. Tant de choses peuvent arriver. »

À force de travail

Simba, qui ne parlait pas anglais en arrivant à Concordia, a fait preuve d’une grande persévérance dans ses études. Il espère obtenir bientôt un diplôme et prépare déjà l’après-football.

« En fait, mon rêve serait de me retrouver un jour à la tête du service des sports d’une université comme Concordia, avoue-t-il. C’est ambitieux, je sais, et ça n’arrivera pas avant plusieurs années, mais c’est quelque chose qui me paraît fascinant. J’étudie présentement en Leisure Studies et j’espère continuer dans cette voie.

« Personne n’aurait pu prédire mon parcours, il y a six ans, quand je suis débarqué au Canada, rappelle-t-il. Je me suis rendu jusqu’ici à force de travail, un jour à la fois. Qui sait jusqu’où je pourrai aller si je continue à m’améliorer un peu, chaque jour ? »

Garde du corps pour Eugenie Bouchard et Rafael Nadal

Curieusement, ce n’est pas sur un terrain de football que nous avons croisé Maurice Simba la première fois. Il y a trois ans, à la Coupe Rogers, c’est lui qui était le garde du corps d’Eugenie Bouchard ! Un entraîneur des Stingers l’avait recommandé à une agence de sécurité où il travaille encore, habituellement dans le cadre d’évènements sportifs. C’est au tennis qu’il estime avoir fait plusieurs de ses plus belles rencontres. « La première année, j’avais accompagné Roger Federer et Rafael Nadal au Stade olympique pour une activité promotionnelle et j’avais eu l’occasion de discuter avec eux, raconte Simba. Nadal s’était montré très gentil. Nous nous sommes retrouvés il y a deux ans quand les hommes sont revenus à Montréal et je l’ai suivi pendant tout le tournoi. Cet été, on m’a assigné à Maria Sharapova, qui est vraiment grande [6 pi 2 po] ! Habituellement, elle a deux gardes du corps, mais quand son entraîneur et elle m’ont vu, ils ont dit à notre superviseur que je ferais très bien l’affaire seul ! »

— Michel Marois, La Presse

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.