théâtre

Compassion !

CRITIQUE
L’idiot
D’après Dostoïevski, texte d’Étienne Lepage
Mise en scène de Catherine Vidal
Au TNM jusqu’au 14 avril
3 étoiles et demie

Très beau et bon spectacle que cet Idiot d’Étienne Lepage et de Catherine Vidal au TNM, même si les contours des personnages principaux sont flous.

L’idiot du TNM présente de nombreuses et très belles qualités. D’abord, comme c’est sa marque de commerce, les dialogues et les monologues d’Étienne Lepage sont précis dans leurs intentions, clairs dans leur énonciation et d’un rythme bien soutenu, nous faisant presque oublier que la matière première est un roman d’au moins 800 pages, selon l’édition consultée.

Même si les personnages conservent leur nom russe, il s’agit d’une vraie adaptation, c’est-à-dire que le texte est rendu en français contemporain et joué avec l’accent québécois.

En outre, Étienne Lepage a su saisir l’essentiel des tourments de l’âme dostoïevskienne – sur le pouvoir, l’argent, l’hypocrisie et la perfidie des hommes, la bonté, les blessures de l’esprit et du corps, etc. – pour le rendre, dans la première partie, façon humour à la Molière et, dans la deuxième, façon drame shakespearien, tel que mis en scène.

Le très beau monologue de l’idiot Mychkine (Renaud Lacelle-Bourdon), vers la fin, résume bien le message des auteurs sur la souffrance et la nécessaire transcendance, le pardon et « la compassion, loi universelle de l’homme ».

Deux rôles principaux flous

L’action se passe en Russie. Naïf et sans le sou, Mychkine revient de Suisse pour retrouver sa lointaine cousine Lizaveta. Elle et les autres voudront « l’aider », pourvu que le geste leur rapporte. Tous et toutes, sauf une.

Qu’ils l’avouent ou non, tous les hommes sont amoureux de cette femme blessée, Nastassia (Evelyne Brochu), à divers degrés. Mais seuls Mychkine – dit l’idiot – et son « ami » Parfione (Francis Ducharme) iront jusqu’au bout, pour elle, envers et contre tous.

L’adaptation est résolument moderne ici aussi : Mychkine, c’est l’homme rose et Parfione, le bad boy, pourrait-on dire. Même s’il s’agit des deux faces d’une même médaille, les intentions de ces personnages ne sont pas toujours claires.

Ce sont, en fait, les personnages les moins bien définis dans cette proposition. Les deux acteurs très physiques (Lacelle-Bourdon et Ducharme) semblent limités à quelques gestuelles, des mains ou de la tête, qui n’aident en rien à rendre compte de la profondeur psychologique de leur personnage. À notre avis, il y aurait eu encore du travail à faire de ce côté de la part de la metteure en scène Catherine Vidal.

Ici, maintenant

Cette remarque ne saurait décrire l’excellence des autres interprètes dans des rôles, il faut le dire, plus unidimensionnels. Nommons la lumineuse Evelyne Brochu qui apparaît telle une icône ou madone fragile. Muni d’une perruque mi-Nestor mi-La Poune, Paul Ahmarani est hilarant. Simon Lacroix est un parfait Gania hystérique et Macha Limonchik, une Lizaveta tout aussi folle.

Les nombreux apartés au public, les plafonds à nu, les éclairages omniprésents et les magnifiques costumes colorés d’Elen Ewing font éclater le quatrième mur. Le texte peut ainsi aborder des questions existentielles importantes sans ennuyer. Au contraire, il les rend actuelles, touchantes. L’amour ou le manque d’amour. Toutes les sortes d’amour. Ici, maintenant.

Voilà un spectacle qui devrait attirer un public plus jeune. Qui fait rire, pleurer et réfléchir. Cette adaptation représente un travail colossal, admirable. Sans doute le spectacle le plus emballant du TNM cette année.

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