Hockey

Fort d’une nouvelle stabilité à la ligne bleue – grâce au retour de Shea Weber –, le Canadien débarque à Chicago pour y affronter une équipe en déroute, dirigée par un jeunot de 33 ans.

Blackhawks de Chicago

L’inhabituel parcours d’un entraîneur-chef de 33 ans

Chicago — Le parcours du nouvel entraîneur-chef des Blackhawks de Chicago Jeremy Colliton est exceptionnel.

Ce joueur intelligent, fougueux, responsable défensivement, n’a pourtant jamais su s’établir dans la LNH. Il n’y a joué que 57 matchs, espacés sur cinq saisons. Les symptômes liés aux commotions cérébrales ont gâché une carrière de plus.

Tout de même, à l’été 2013, après une année complète à peu près sans avoir joué, il s’est trouvé un contrat avec le Mora IK en deuxième division suédoise. Il n’y a joué que trois matchs avant de se résigner : il ne pourrait plus jamais jouer au hockey. La tête, encore… Il avait 29 ans.

À un moment où plusieurs anciens joueurs auraient pu sombrer dans la déprime, Colliton, lui, a découvert sa véritable vocation. Défiant toute logique, le Mora IK l’a immédiatement nommé entraîneur-chef.

Dans ses nouvelles responsabilités, qu’il a occupées durant quatre saisons, Colliton a permis au Mora IK de monter en première division suédoise. À sa dernière campagne, sa fiche de 35-4-13 l’a révélé aux yeux du monde. La saison suivante, il devenait entraîneur-chef des IceHogs de Rockford dans la Ligue américaine, où il a présenté une fiche de 40-28-4-4. Et le voici maintenant entraîneur des Blackhawks. À 33 ans. En remplacement d’une légende congédiée, Joel Quenneville.

Bruno Gervais connaît bien Colliton. L’ancien défenseur devenu analyste à RDS a joué à ses côtés à Bridgeport dans la Ligue américaine, puis chez les Islanders de New York. Il a développé une grande proximité avec Colliton, et a même assisté à son mariage.

« C’était le gars mature dans le groupe. On avait l’impression que s’il disait que ça allait être correct, ça allait être correct. C’était un peu la référence. »

— Bruno Gervais, ancien coéquipier de Jeremy Colliton

« L’âge me surprend parce que c’est hors de l’ordinaire. En Suède, il a arrêté de jouer et l’équipe lui a tout de suite offert un job de coach. C’est hors du commun. Ça démontre à quel point c’est ce qu’il dégage. Puis il s’est retrouvé responsable de développer les jeunes des Blackhawks. C’est un autre grand signe de confiance, mais pour ceux qui le connaissent, on dirait que tu n’en mets jamais assez dans sa cour. Il est capable de tout prendre ça. »

Gervais ne tarit pas d’éloges à son endroit. Il décrit un joueur réfléchi, travaillant, discipliné. Il va plus loin : les entraîneurs savaient que Colliton n’était pas le plus bavard, mais qu’il voyait lucidement certains aspects clés du jeu. Ils l’invitaient donc souvent à donner son avis. C’est de ce côté cérébral que se souvient Scott Gordon, même s’il n’a été son entraîneur que durant six matchs chez les Islanders.

« Certains jouent sans vraiment réfléchir à ce qu’ils font ou pourquoi ils le font. De ce que je me souviens, on avait eu une conversation à propos d’où il devait être, quel était le système. Il posait plein de questions. Certains laissent beaucoup de place au hasard, mais lui essayait de s’améliorer et ne voulait pas laisser trop de place à la chance. »

Joël Bouchard a vu la même chose que Bruno Gervais. Bouchard jouait un rôle de vétéran chez les Islanders quand Colliton est arrivé dans la LNH. Les deux hommes se sont rapidement liés d’amitié et ont effectué de longs voyages d’autocar côte à côte. Ils communiquent encore, par textos, ou lors de séminaires d’entraîneurs. Bouchard a même recommandé un joueur à Colliton lorsque celui-ci était en Suède.

« Il voyait clair. Dans les discussions entre joueurs, on le voyait. Ce n’était pas un nono. Il était capable de voir qui tirait la charrette et qui ne la tirait pas. Il avait une bonne évaluation des joueurs. »

— Joël Bouchard, ancien coéquipier de Jeremy Colliton

« On voyait beaucoup la même chose. Il était allumé à un jeune âge. Quand tu vois un jeune joueur, tu ne penses pas nécessairement à son après-carrière, mais après coup, tu te dis que c’est un choix logique. »

Difficile de remplacer Quenneville

Reste que l’arrivée de Colliton chez les Blackhawks n’a pas été de tout repos. Sur la glace, c’est une catastrophe. Depuis qu’il est en poste, l’équipe présente une fiche de 3-10-2, la pire de la LNH. Sous Colliton, les Blackhawks sont 24es pour les buts marqués, 28es pour les buts accordés, et 29es pour l’avantage numérique et le désavantage numérique…

Hors glace, il y a aussi le défi de remplacer un entraîneur très populaire et qui a quand même mené l’équipe à trois Coupes Stanley. Et de le faire à 33 ans. Avec une équipe qui ne traverse clairement pas ses plus belles années.

« C’était dur de voir Quenneville partir, a reconnu le gardien Corey Crawford. Le même système, la même routine pendant 10 ans… C’est difficile de changer, mais c’est ce qui arrive quand ça ne va pas bien. Le coach part. »

« Ça fait 15 matchs que le nouveau coach est arrivé, ce n’est pas le système, le problème. Il faut trouver une solution. Il ne reste pas beaucoup de temps pour renverser la vapeur. »

— Corey Crawford

« En même temps, on ne doit pas penser à dans deux mois, c’est vraiment le prochain match qui compte le plus. »

« Jeremy est arrivé prêt, a ajouté Alexandre Fortin, qui avait déjà appris à connaître Colliton dans la Ligue américaine. C’est dur pour lui aussi d’arriver dans une organisation où tous les joueurs aimaient l’ancien entraîneur. Tu ne veux pas trop tout leur donner, ou changer le système du tout au tout. Ç’a été un peu plus long, je dirais, mais il a bien fait ça. Les gars ont embarqué, ils ont vu de quoi il était capable. »

Quand on lui demande comment c’est de remplacer Quenneville dans une ville où il était adulé, Colliton répond avec philosophie : il doit être lui-même, pas une pâle imitation de son prédécesseur. Il aura des relations différentes avec ses joueurs, il apportera quelques changements à la routine, au système de jeu. Il y aura une période d’ajustement nécessaire. A-t-il tout de même senti une résistance quand il s’est retrouvé pour la première fois devant ses nouveaux joueurs ?

« Je ne crois pas que ce soit une résistance. C’est un choc. Le même homme a fait le même boulot pendant 10 ans et il a connu beaucoup de succès. C’est un choc pour les joueurs, mais ils ont été excellents et ils ont travaillé fort. Notre jeu ou nos résultats ne sont pas parfaits, mais je sens que les joueurs sont engagés. C’est ce qui fait que je me sens bien. »

Le Canadien

Le bon numéro et la bonne chaise

Chicago — Il y a quelques semaines, Claude Julien avait commencé les expérimentations à la défense. Il y avait huit défenseurs en santé, en plus de Shea Weber dont le retour approchait. C’était le début de la bonne vieille compétition à l’interne, les joueurs laissés de côté à tour de rôle, la chaise musicale dans sa plus pure tradition.

Mais ça ne pouvait pas continuer ainsi très longtemps, pour les joueurs impliqués et pour l’équipe. Des décisions s’imposaient.

La musique s’est arrêtée avec le retour au jeu de Weber. Tout le monde a trouvé sa chaise, même si pour certains, ce n’est pas celle qu’ils avaient en tête. Victor Mete et Karl Alzner se sont retrouvés avec le Rocket de Laval, Xavier Ouellet est allé les y rejoindre hier après avoir été ignoré au ballottage. Et celui qui a pigé le numéro gagnant en devenant le partenaire de Weber n’était sur aucun des écrans radars : Brett Kulak.

Parlons un peu de ce Brett Kulak. Le jeune homme de 24 ans a grandi dans une ferme près de Stony Plain, en Alberta. Il était le plus jeune de trois frères, mais le seul qui voulait vraiment jouer au hockey. Il a eu un bâton dans les mains la minute où il a pu se tenir debout. Son parcours n’est pas une succession de succès, il a été repêché tard au niveau junior, puis au quatrième tour par les Flames dans la LNH. Il a été laissé de côté souvent, a fait la navette entre la LNH et la Ligue américaine, avant d’enfin devenir défenseur régulier la saison dernière.

Puis, cette saison, il a dû recommencer à zéro. Il est passé au Rocket de Laval en échange de Matt Taormina et de Rinat Valiev. À ce moment, il était loin de se douter de ce qui l’attendait.

« J’essayais de le visualiser, j’avais de l’espoir, mais quand je jouais à Laval, il y avait neuf défenseurs avec le Canadien. […] J’ai connu quelques bons matchs de suite et je suis heureux de jouer avec Shea Weber. Il a beaucoup de choses à me dire. C’est facile de jouer avec lui. »

« Je me disais que mon occasion pourrait arriver, mais je n’ai jamais pensé que ce serait si tôt. »

— Brett Kulak

C’est sûr que Weber a un certain talent pour bien faire paraître ses partenaires. À ses côtés, Kulak a quand même dépassé les attentes, malgré un dernier match plus boiteux contre les Sénateurs d’Ottawa. Il s’est fait prendre quelques fois pour excès de zèle offensif, et il admet lui-même qu’il a encore beaucoup à apprendre en faisant face soir après soir aux meilleurs joueurs adverses. Après tout, confirme-t-il, c’est la première fois que ça lui arrive dans la LNH.

Reste que Kulak n’était pas le premier choix de Claude Julien. C’était David Schlemko. Et il était à un certain moment derrière les Mike Reilly, Victor Mete, même Xavier Ouellet dans la liste des partenaires potentiels de Shea Weber. Il a persisté, un trait tiré d’une enfance où l’effort était valorisé.

« Mon père est mon exemple. Il travaille du lever au coucher du soleil [à la ferme]. Il a dû travailler pour chaque petite chose et il travaille beaucoup plus fort qu’il ne le devrait. Je le regarde aller et ça m’aide parce que tout ne va pas toujours comme tu veux dans la vie. Il m’a toujours dit de travailler fort pour me rendre où je voulais. J’ai la chance de le faire maintenant. Mais une fois que tu y es arrivé, c’est un autre défi d’y rester. Tu dois te battre tous les jours parce qu’il y a plein d’autres joueurs qui veulent une place comme la mienne. »

Le bon coup de Bergevin

Marc Bergevin a rencontré les médias hier, pour donner une journée de congé à Claude Julien. Il a parlé d’une variété de sujets, dont évidemment l’éclosion de Kulak. Doit-on rappeler que Bergevin a relativement peu donné pour celui qui est devenu le partenaire de Weber ? Le directeur général est le premier à admettre qu’il est surpris de la tournure des événements.

« Oui, honnêtement. Il a passé du bon temps à Laval. Mais de ce que nous voyons de lui cette année comparativement à l’an dernier à Calgary, nous découvrons un joueur différent. Il a une belle progression et il nous aide énormément. »

« [Selon le plan], je voulais le monter à Montréal. [Brett] a eu sa chance en raison des blessures. Depuis qu’il est ici, il est à sa place. Il mérite son poste dans la formation. »

— Marc Bergevin

Bergevin a ensuite rappelé à quel point le retour de Weber changeait la donne. Il permet à Jeff Petry de jouer à la hauteur de ses capacités, pas au-dessus, en plus de donner une nouvelle confiance à Carey Price. En fait, depuis le retour de Weber, le gardien a accordé 11 buts en cinq matchs.

« Même moi, je ne me souvenais plus à quoi ça ressemblait d’avoir Shea Weber au sein de la formation, a reconnu Bergevin, fort souriant pour son retour à Chicago. Ça fait du bien de le voir. Nous avons joué pratiquement un an sans lui. Mais quand tu analyses un peu plus, il faut se rappeler qu’il s’était blessé dès le premier match de l’année, à Buffalo. Il avait joué jusqu’à la mi-décembre en cachant une blessure. Ce n’était pas le même Shea Weber. Avec Shea en santé, nous replaçons un peu tout le monde sur la bonne chaise. »

Le choix de mots n’est pas innocent. La bonne chaise… Le Canadien faisait face il y a quelques semaines à plusieurs choix difficiles à la ligne bleue. Claude Julien a tranché, pour le meilleur et pour le pire. Brett Kulak a pigé le bon numéro, le reste est entre ses mains.

Le Canadien

En bref

Ouellet n’est pas réclamé

Xavier Ouellet ira gonfler les rangs du Rocket de Laval, comme Victor Mete, Karl Alzner et Simon Després avant lui. Le défenseur québécois a été ignoré au ballottage hier. Après un début de saison impressionnant, Ouellet a beaucoup ralenti, jusqu’à se retrouver coincé dans la rotation de défenseurs. Il a fini par en être exclu complètement, et il a été laissé de côté les sept derniers matchs. À Laval, Ouellet retrouvera Joël Bouchard, qui a été son entraîneur dans la LHJMQ, avec le Junior de Montréal puis l’Armada de Blainville-Boisbriand. Marc Bergevin s’est réjoui que Ouellet ne soit pas réclamé au ballottage, après avoir perdu Jacob De La Rose et Nikita Scherbak plus tôt cette saison. « Oui, c’est un soulagement. C’est important d’avoir de la profondeur, surtout avec les défenseurs. Pour lui, c’est un peu malheureux. » Bergevin a aussi admis avoir tenté de conclure des échanges pour désengorger sa formation et éviter de perdre des joueurs au ballottage.

Le sourire de Domi

Marc Bergevin a admis avoir été surpris de l’ampleur de l’impact de Max Domi avec le Canadien. « Mais moins que vous autres, a-t-il lancé aux journalistes en riant. Est-ce que je pensais qu’il serait là aujourd’hui ? Non. J’étais sûr qu’il pouvait faire le travail, mais pas autant qu’il le fait en ce moment. C’est vraiment un gros atout pour notre équipe. » Domi compte 13 buts et 17 aides en 29 matchs cette saison. Bergevin a fait la liste de ses attributs : sa passion, son patin, son énergie. Surtout, il s’est réjoui de voir que la chimie opère avec Jonathan Drouin, après les essais ratés avec Max Pacioretty l’an passé. Il a aussi parlé de sa « bonne arrogance ». Référence directe à l’image que l’on a vue un peu partout de Domi qui rappelle amicalement à Zack Smith des Sénateurs qu’il a été ignoré au ballottage… Sourire narquois à l’appui, évidemment.

Kotkaniemi, c’est non

À l’approche du Championnat du monde junior, on se demandait si le Canadien laisserait Jesperi Kotkaniemi aller représenter la Finlande. La réponse est non « à 95 % », parole de Marc Bergevin. « L’an passé, à son année de repêchage, après Noël, il a vraiment progressé, et là, tu vois qu’il progresse encore. S’il a une petite baisse, le lendemain ou le match d’après, il revient. C’est un bon signe, et encore, il a juste 18 ans. L’avenir est bon pour lui. Il joue sur notre avantage numérique. C’est un centre. Tranquillement pas vite, sur les mises en jeu, il s’améliore, il gagne de la maturité. Il mérite d’être ici. Ce n’est pas vraiment qu’on a une lacune au centre, c’est qu’il mérite sa place dans la formation. Jusqu’à maintenant, il fait de l’excellent boulot. […] Il est évalué quotidiennement. Son sens du hockey est vraiment élevé. On voit toutes les passes qu’il fait, et des fois, et on est impressionnés. Même moi, sur la galerie de presse, je n’ai même pas vu le gars à qui il a passé la rondelle. » Quant au scénario qui pousserait Bergevin à laisser Kotkaniemi partir, il a mentionné à la blague « des joueurs de centre qui tombent du ciel ».

Le dossier Alzner

De l’avis général, le contrat de cinq ans et plus de 23 millions offert à Karl Alzner est l’une des pires décisions de Marc Bergevin. C’était visible l’an dernier, c’est devenu encore plus concret cette saison, quand Alzner a finalement été cédé au Rocket de Laval. Il est devenu alors le joueur le mieux payé de la Ligue américaine… « Le plan n’était pas qu’il joue dans la Ligue américaine à sa deuxième année à Montréal. En ce moment, on met les meilleurs joueurs possible sur la patinoire. Des jeunes comme Brett Kulak ou Mike Reilly sont passés devant lui. Ce n’est pas fini, mais en ce moment, les joueurs vont bien. Est-ce qu’il y a une possibilité qu’il revienne à Montréal ? Oui. Mais en ce moment, on est contents de la formation qu’on a en défense. C’est certain qu’il est déçu, mais il se comporte très bien à Laval, il a une bonne attitude. Je ne te dis pas que c’est fini, mais en ce moment, les sept défenseurs méritent d’être ici. »

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