Témoignage

Une grand-mère universelle

C’est une journée chaude et humide de juillet. C’est le calme plat, il fait si chaud que même le vent et le soleil semblent faire l’école buissonnière. Monique Desrochers-Gaumond lit doucement dans son fauteuil.

Devant elle, le lac Sergent, comme une flaque d’huile. Ce même lac qui en 1940 accueillait ses premiers jeux de gamines et un peu plus tard ses premières amours. Ce même lac qui aura vu grandir ses cinq enfants, leurs enfants et les enfants de leurs enfants.

– Allo grand-maman !

Monique n’est pas prise dans une quelconque rêverie d’un passé révolu. Au contraire, cinq jeunes enfants entrent effectivement dans la maison en babillant avec enthousiasme. Le calme laisse place à l’agitation.

C’est l’heure du dîner. À table, quatre générations siègent. La magie opère.

Monique, grand-mère universelle, que brus, fils et arrière-petits-enfants se surprennent à appeler grand-maman, pousse tranquillement sa marchette vers sa chaise de matriarche.

Ses enfants chapeautent la marche générale des choses, ils sont chefs d’orchestre. Ils organisent les repas, les rendez-vous chez le médecin, ils donnent les bains aussi.

Ses petites-filles quant à elles, respectivement chargée de projets, étudiante-chercheuse en droit et monitrice de camp de jour, se relaient pour jouer aux gardes-malades sous les conseils d’experts de l’autre cousine qui est une vraie infirmière. Avant le repas, piqûres, pharmacologie et injections sont au menu.

Enfin, les arrière-petits-enfants quant à eux prennent une petite pause entre deux entraînements de canoë-kayak, un sport qui se pratique dans la famille depuis quatre générations. Ce sera d’ailleurs le principal sujet de conversation lors de ce repas animé.

L’un se prépare pour les championnats canadiens, l’autre revient des championnats du monde et d’autres se préparent pour les championnats provinciaux. Tout le monde a son mot à dire.

Commune intergénérationnelle

Pour chacun d’entre nous qui prend part à cette commune intergénérationnelle, cette situation n’a rien de véritablement exceptionnel. Un peu de stress et d’appréhension en début de chaque saison avant d’entrer dans ce grand cirque. Mais nous avons toujours été accueillis au chalet familial par grand-maman et ce n’est que suite logique de maintenant l’accueillir dans cette maison qui demeure la sienne.

Certes, cela ne se fait pas sans heurts, chacun doit faire preuve de résilience et d’abnégation, mais les retombées sont beaucoup plus importantes que les quelques sacrifices auxquels on consent.

Il s’agit d’une histoire du quotidien comme mille autres. Or parfois, le privé devient politique.

Le triste sort de nos aînées est actuellement mis en lumière par une action collective qui dénonce les conditions « honteuses et déplorables » qui sont offertes aux résidants des CHSLD. Il s’agit fort probablement d’un symptôme qui témoigne d’un mal plus large qui touche l’ensemble de la population vieillissante.

Il est de bon ton de dénoncer le gouvernement pour son inaction à ce sujet. Souhaitons que les élections prochaines permettent de discuter de cet enjeu.

Cependant, avant d’être membres d’un État ou d’une nation, nous sommes bien souvent membres d’une famille. La portée de nos actions à ce titre est probablement plus grande que celles que l’on pose en tant qu’électeurs.

Ma grand-mère, comme bien d’autres, ne se sent pas chez elle à la résidence. Sa vraie maison est ici, au chalet. Si quelques chutes et fractures passées ont prouvé qu’elle ne pouvait plus y demeurer à l’année, ce séjour estival lui permet, selon ses dires, de recharger ses batteries.

Évidemment, tous ne peuvent pas aspirer à prendre soin des personnes âgées de leurs familles pendant un été entier. Nous sommes choyés par un heureux concours de circonstances, les vacances de tout un chacun s’entrecoupent et quelques-uns d’entre nous ont la chance de travailler de la maison.

Il ne s’agit pas d’une solution universelle, il n’en existe probablement pas. Toutefois, j’espère mettre une brique dans l’édifice de notre réflexion sociétale, un joli conte en contrepoids de toutes les histoires d’horreur que l’on entend.

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