« Je ne suis pas misogyne. » Robin D’Angelo, 32 ans, se dit même « pro-féministe ». « Cela dit, je jouis devant des vidéos où des hommes surjouent leur domination sur les femmes. » Le ton franc, cru, mais intelligent, est donné.
Ainsi commence Judy, Lola, Sofia et moi, un ouvrage qui fait déjà beaucoup jaser en France, publié ici début décembre, aux Éditions Goutte d’Or.
Parce que manifestement, Robin D’Angelo est loin d’être seul. D’après les statistiques, des millions d’hommes et de femmes font comme lui. D’où le défi que l’homme-consommateur-journaliste s’est ici donné : passer de l’« autre côté de l’écran », pour dévoiler ce qui s’y passe vraiment. Pourquoi. Et surtout : comment. Cinq choses à retenir. Avertissement : âmes sensibles, s’abstenir.
Oubliez la vidéo « amateur »
Pour son immersion, le journaliste, que l’on peut lire dans Libération, Society ou Playboy, a choisi le porno dit « amateur », secteur où se concentre la majorité de la production française en matière de volume aujourd’hui. Ce sont ces vidéos qui ont inondé les YouPorn, Pornhub ou xHamster de l’internet.
Comme beaucoup de gens, le journaliste croyait y voir « des couples libertins qui se filmaient pour le fun ». Erreur. Derrière ce filtre « amateur » se cache en fait très souvent une grosse industrie. Avec des acteurs, des producteurs et des diffuseurs. Les rois du genre en France sont Jacquie et Michel. En deux clics, vous trouverez leurs films : pensez scénario misogyne, domination/soumission au cube, imaginaire voyeur, dans un appartement style « d’à côté », petit budget (même si, en réalité, la boîte fait plus de 15 millions d’euros par année, signale l’auteur). Vulgarité en prime.
Pour les infiltrer, entre janvier 2017 et mars 2018, Robin D’Angelo ne le cache pas : il a dû « ruser ». Faisant fi du code d’éthique des journalistes, il a publié des articles complaisants dans Playboy, joué un mari cocu dans une scène, tenu la caméra dans une autre, même participé au tournage d’un bukkake (littéralement : douche de sperme) avec une trentaine d’hommes, sur une seule femme. Fait vécu. Raconté. Publié.
Pour l’argent
C’est LA question qui saute évidemment à l’esprit. Pourquoi des femmes consentent-elles à se faire éjaculer ainsi sur le visage ? Pourquoi se soumettent-elles à une industrie où la sodomie (double, voire triple) est un devoir professionnel, apprend-on ? Où le consentement s’achète, se monnaye, souvent a posteriori (apprend-on encore) ?
Dans une scène très crue, où une actrice refuse, parce que ça la « brûle », de poursuivre une pénétration anale, un producteur lui répond froidement ces quelques mots qui en disent long : « Tu crois qu’une patineuse artistique elle a pas mal aux pieds ? »
Pour Robin D’Angelo, qui a fini par connaître assez intimement plusieurs de ces filles (les Judy, Sofia et Lola du titre), cela ne fait aucun doute : elles le font bien évidemment pour l’argent (c’est la « motivation principale »), mais aussi pour la « reconnaissance » et le « statut » (« le porno, ça donne confiance en soi », dira l’une d’elles). « Parce que le statut peut être valorisant, quoi qu’on en pense », confirme-t-il en entrevue. Il sait de quoi il parle, ayant accompagné plusieurs d’entre elles à des rencontres devant leurs « fans » : ces derniers sont comme des enfants, éblouis devant le père Noël. « Ils les mettent sur un piédestal, résume-t-il. J’ai été saisi… »
Beaucoup d’argent
Le saviez-vous ? Le porno est l’une des rares industries où les femmes gagnent plus que les hommes. Des centaines d’euros la scène, contre de 50 à 150 pour un homme, confirme l’auteur en entrevue. Pourquoi ? « Les acteurs trouvent leur compensation avec le plaisir, alors que les femmes contreviennent à leur plaisir. »
Dans les premières pages du livre, afin de nous mettre dans l’esprit, il décrit un tournage, réalisé en plein après-midi. Débarque un « acteur ». Il s’est extirpé d’un dîner de famille. Pour quoi faire ? Comme les autres. Simplement se « vider les couilles ». Texto. Pendant ce temps, l’actrice, elle, tombera dans les pommes à la suite d’un « fist » un peu violent…
À noter, si elles sont mieux payées, les femmes ont aussi une « date de péremption » programmée : une fois qu’une actrice a tourné pour les différents producteurs toutes les scènes possibles en termes de gang bang, double pénétration, etc., « généralement, elle a terminé sa carrière, dit-il, parce qu’il faut toujours de la nouveauté ». On parle de six mois à deux ans (sauf exception). Chez un homme, tant qu’il arrive à rester dur, fournit de bons tests de santé, arrive à l’heure (!), la carrière peut s’étirer sur plus d’une dizaine d’années.
La force du vécu
Dur à croire. Mais effectivement, le passé difficile de la plupart des filles qui gravitent dans l’industrie ne leur confère pas qu’un statut de victime. Au contraire. Avec toutes les nuances qui s’imposent, Robin D’Angelo explique : « Oui, la majorité des actrices que j’ai rencontrées ont des parcours cabossés, elles ont connu des enfances très dures, parfois de la violence ou des troubles psychologiques. Mais ce n’est pas ça, le plus important, dit-il. Ce qui est important, c’est que ça leur permet aussi d’assumer leur statut d’actrices pornos. »
Assumer ? Il cite l’exemple d’une fille agressée toute son enfance pour qui aujourd’hui, le fait de coucher avec des inconnus prend une dimension particulière. « Pourquoi pas ? résume-t-il. Et autant obtenir quelque chose en échange… » En un mot, dit-il, « elles transforment leur vécu en une sorte de force ». « Ça peut paraître cynique, concède-t-il. C’est très difficile à comprendre. Mais on n’a pas tous les mêmes subjectivités… »
Les producteurs
Qui, enfin, sont ces hommes qui tirent les ficelles de l’industrie, qui carburent à la nouveauté, à la transgression et à l’éjaculation (dans toutes sortes d’endroits inusités, appareil dentaire inclus), même si leur « matière première » (lire : les actrices) en vomissent parfois de haut-le-cœur et de douleur ?
« Effectivement, il y a de tout », répond l’auteur, qui s’attendait d’abord à voir surtout des hommes « de droite » (voire d’extrême droite), « puisque le porno véhicule une vision assez masculiniste, associée à l’extrême droite ». Encore une fois : erreur. « J’ai aussi trouvé des personnes de gauche. » Ce qui en dit long sur notre société en général et sur les fantasmes en particulier, croit-il.
« Malgré les divergences politiques, cette vision misogyne de la femme est commune à tous les hommes, quelles que soient leurs idées politiques, et commune à moi, malgré mes idées féministes. » Dur constat, d’une troublante sincérité. Sa conclusion l’est tout autant : « Les ressorts du plaisir sont souvent en contradiction avec notre éthique. Mais est-ce qu’on peut contrôler nos fantasmes ? Pas vraiment. Je crois qu’ils sont construits socialement. […] Le porno n’est qu’un reflet de notre société, comme notre société est globalement sexiste, logiquement, nos fantasmes le sont aussi. »