L’avortement au cœur du débat
Pour ou contre le droit à l’avortement : avant même que son nom ne soit annoncé, l’avenir du candidat de Donald Trump à la Cour suprême apparaissait hier suspendu à cette question aux États-Unis, où une poignée de sénateurs auront le dernier mot sur le choix du président.
Objet de tous les regards : la sénatrice républicaine Susan Collins, rare voix à défendre dans son camp le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) alors que le président américain se dit antiavortement.
« Je ne soutiendrai pas un candidat qui a prouvé son hostilité à l’égard de Roe v. Wade », l’arrêt qui a légalisé l’avortement en 1973 dans tous les États-Unis, a-t-elle martelé dimanche.
Elle pourrait donc jouer un rôle déterminant au Sénat, instance chargée de confirmer le candidat qui doit être nommé à vie par Donald Trump. Car chaque vote comptera, les républicains ne disposant que d’une très fragile avance (51 contre 49).
M. Trump a reçu hier en entrevue quatre candidats à la Maison-Blanche et planifie d’en rencontrer d’autres cette semaine.
Selon une source n’étant pas autorisée à parler publiquement de ce sujet, Raymond Kethledge, Amul Thapar, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett, des juges d’appels fédéraux, ont été reçus pendant 45 minutes par le président.
Conscient de l’importance stratégique de Mme Collins, le président a convié la sénatrice du Maine à la Maison-Blanche peu après l’annonce du départ à la retraite du juge Anthony Kennedy.
Ce magistrat jouait depuis 30 ans un rôle d’arbitre au sein de la plus haute instance judiciaire américaine, se rangeant tantôt du côté des quatre juges conservateurs, tantôt du côté des quatre progressistes, notamment sur l’avortement.
S’il le remplace par un ferme conservateur, M. Trump fera basculer l’équilibre de la Cour suprême, qui tranche notamment les grands sujets de société.
Le visage des États-Unis pourrait en sortir transformé pour des décennies.
La Maison-Blanche espère que son nouveau magistrat siégera dès le 1er octobre, soit avant des élections qui pourraient lui faire perdre sa majorité au Sénat.
Conscient de l’urgence, Donald Trump a promis d’annoncer son choix le 9 juillet.
« Il cherche des individus qui ont le bon intellect, le bon tempérament et défendent la Constitution », a déclaré hier sa porte-parole Sarah Sanders.
Rappelant qu’afin de ne pas compromettre leur confirmation au Sénat, Donald Trump ne poserait aux prétendants aucune question directe sur l’IVG, la porte-parole a tout de même pris soin de souligner que « le président est contre l’avortement ».
De quoi faire hurler les démocrates, qui s’inquiètent déjà de voir tous les candidats envisagés venir d’une liste approuvée par une organisation ultraconservatrice, la Federalist Society.
Lors de sa rencontre avec le milliardaire, jeudi, Susan Collins avait exprimé son malaise. J’ai « encouragé le président à élargir sa liste au-delà des 25 noms » déjà connus, a-t-elle expliqué sur ABC.
Elle était accompagnée à la Maison-Blanche d’une autre sénatrice républicaine qui défend aussi le droit à l’avortement, Lisa Murkowski.
Cette dernière a rappelé sa tradition de « vote indépendant » sur la Cour suprême, la semaine dernière. Mais elle est depuis restée discrète.
Ces deux sénatrices détiennent le pouvoir de faire basculer la maigre majorité républicaine. D’autant que le républicain John McCain, luttant contre un cancer, risque de ne pas pouvoir voter.
Mais l’équation n’est pas si simple pour les démocrates. Ils pourraient subir les défections de trois sénateurs faisant face à une réélection difficile en novembre dans leurs États pro-Trump : Heidi Heitkamp, Joe Donnelly et Joe Manchin. Tous avaient voté en faveur de Neil Gorsuch, premier haut magistrat que M. Trump était parvenu à faire confirmer en 2017.
Le choix du successeur d’Anthony Kennedy est « le plus important de notre vie », a averti hier le leader de la minorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer.
Ses troupes démocrates sont déjà mobilisées pour tenter de garder ces trois élus dans leur giron.
Leur stratégie : axer l’argumentaire non seulement sur l’IVG, mais aussi sur la protection du système de santé mis en place par Barack Obama. Un sujet plus aisé à défendre face aux électeurs en terre « trumpiste ».
De leur côté, les associations pro-IVG appellent les Américains à faire pression d’ici aux élections parlementaires de novembre, où un tiers des sénateurs jouent leur siège.
« Nos sénateurs peuvent […] sauver [la Cour suprême] », a lancé hier l’organisation Naral. « Appelez le vôtre MAINTENANT. »
— Avec l’Associated Press