Opinion Alain Dubuc

Les vallées verdoyantes

Ce serait quoi, un budget idéal ? Si on faisait une enquête pour savoir ce que cela pourrait être, dans l’esprit des gens, on n’arriverait certainement pas à un consensus.

Mais on peut supposer que, dans l’ensemble, on voudrait un budget qui repose sur la santé financière – équilibre budgétaire, contrôle de la dette –, qui n’écrase pas les gens par de nouveaux impôts et allège même leur fardeau, qui contribue à une économie florissante, surtout un chômage faible, qui est capable de répondre aux besoins des citoyens, notamment en santé et en éducation.

Eh bien, ce n’est pas loin de ce que proposait hier le ministre des Finances Carlos Leitão, avec le cinquième budget du gouvernement Couillard. Celui-ci peut réaliser le rêve que caresse tout ministre des Finances, celui de goûter aux joies de ce que l’ex-ministre péquiste Bernard Landry appelait « les vallées verdoyantes ».

Personnellement, je m’intéresse à la question budgétaire depuis très longtemps. Jeune journaliste, j’ai même couvert le premier budget de Jacques Parizeau, en 1977. Et de toute ma carrière, je n’ai jamais vu un budget comme celui-ci, capable de tout concilier – santé financière, dynamisme économique, baisses d’impôts et investissements dans les missions de l’État.

Et pourtant, ce budget ne sera probablement pas accueilli dans l’enthousiasme. Cela s’explique par le cynisme et le désabusement qui caractérisent maintenant le débat public. Cela tient aussi à l’usure du pouvoir qui détourne bien des électeurs des libéraux, comme le montrent les sondages, un mouvement que la santé financière et le dynamisme de l’économie ne semblent pas capables d’infléchir jusqu’ici.

Cette insatisfaction s’explique aussi par l’ombre qui plane sur les budgets Leitão, les deux années de rigueur qui ont mené à un ralentissement de la croissance des dépenses en santé et en éducation, surtout en 2015-2016. Les gens ne l’ont pas oublié.

Mais ce qu’ils ont oublié, c’est le contexte de l’époque, la perte de contrôle sur les dépenses et le déficit, qui montrait qu’il fallait un coup de barre.

Sans ce coup de barre, que le chef caquiste François Legault décrit comme du « stop and go », et que la porte-parole solidaire Manon Massé appelle le « yoyo », le retour à l’équilibre aurait été beaucoup plus difficile. D’autant plus que, contrairement à ce que dit un mythe urbain, le poids de l’État n’a pas fondu : la part des dépenses consolidées dans le PIB, à 25,3 % en 2018-2019, est plus élevée que ce qu’elle était avant la crise de 2009. Et c’est cette rigueur, couplée à d’excellents résultats économiques, qui a donné au gouvernement Couillard quelque chose qu’aucun gouvernement du Québec n’a vraiment connu, une véritable marge de manœuvre.

Dans un budget québécois classique, la marge de manœuvre dont disposait le ministre des Finances était en général autour de 200 ou 300 millions, il fallait grapiller un peu partout pour dégager les sommes nécessaires pour financer des besoins. La marge de manœuvre de M. Leitão, cette année, est de 3,714 milliards. Ce à quoi on a droit, c’est donc un budget de riches, où le gouvernement dépense beaucoup, mais où il dépense de l’argent qu’il a. Ça fait toute la différence.

Ce qui fait aussi une différence, c’est une économie qui va bien, avec un taux de croissance de 3 % en 2017, un peu moins en 2018, aussi bien ou mieux qu’au Canada, une baisse spectaculaire du chômage, une très forte croissance de l’emploi, un retour des investissements privés. Et aussi, ce sur quoi les documents budgétaires insistent, une amélioration du niveau de vie et une augmentation du pouvoir d’achat.

Le gouvernement n’est évidemment pas le seul responsable de ce succès réel, mais il y a contribué, par le climat de confiance qu’il a établi et par des politiques qui finissent par donner des résultats, notamment les mesures structurelles de la ministre de l’Économie, Dominique Anglade. Ce budget ajoute quelques éléments porteurs, notamment l’allègement du fardeau fiscal des PME et le vaste programme de formation et d’adaptation de la main-d’œuvre.

Un autre facteur qui fera que ce budget risque de ne pas avoir l’accueil qu’il mérite, c’est qu’on l’a accusé, avant son dépôt, d’être électoraliste. On a parlé de buffet, de bonbons. Ça ne veut pas dire grand-chose. On n’a jamais vu de budget déposé en année électorale qui n’est pas, jusqu’à un certain point, électoraliste.

Dans ce cas-ci, on peut le voir au fait que la croissance des dépenses sera élevée, à 5,2 %, pour 2018-2019.

Mais ce budget ne répond pas au profil du budget électoraliste classique, avec des bonbons, des mesures clientélistes pour aller chercher des votes sous-groupe par sous-groupe, comme Stephen Harper savait si bien le faire.

Ce qui caractérise ce budget Leitão, ce ne sont pas les cadeaux et les bonbons, mais les messages qu’il envoie. On peut le voir, par exemple, au titre des fascicules que le ministère des Finances a multipliés pour mettre en relief ses initiatives – Éducation, Santé, Mobilité électrique, Culture, Justice, Emploi et défis du marché du travail, Bioalimentaire, Jeunesse, Revenu disponible, Changements climatiques, Fonds des générations. Ça ne sonne pas très néo-libéral !

Ces grands thèmes donnent une idée de l’image que le gouvernement libéral veut projeter et des grands axes sur lesquels il entend manifestement insister. Un ensemble de priorités plus sociales, comme le renforcement des grandes missions de l’État, la mobilité durable qui sera omniprésente, l’environnement, ou des initiatives qui ne sont pas immédiatement rentables, comme des investissements en culture ou dans le système de justice, qui suggèrent des sensibilités humanistes.

En ce sens, il serait plus précis de parler de stratégie électorale que de manœuvres électoralistes. Car avec cette orientation du budget, le gouvernement Couillard renoue avec les traditions libérales, que les années de rigueur avaient fait oublier. Cela s’explique peut-être aussi par la reconfiguration de l’échiquier politique, où la perte de pertinence du PQ et la montée de la CAQ poussent sans doute les libéraux à vouloir mieux occuper le centre.

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