COMMANDITÉ

LA LANGUE DU NOUVEAU QUÉBÉCOIS

Bien sûr, il y a ces LOL, FOMO et autres acronymes nés des réseaux sociaux. Bien sûr, il y a cette façon « msg txt » qu’ont certains d’écrire. Bien sûr, il y a ces mots devenus tellement d’actualité qu’on croit, à tort, qu’ils sont tout neufs (« ostentatoire », quelqu’un ?). Mais outre ces exemples bien précis, comment le français québécois a-t-il évolué en 15 ans ?

Dans l’histoire d’une langue, 15 ans, c’est court. « Une langue ne change pas comme telle en aussi peu de temps ; on parle plutôt d’enjeux qui bougent pour le français québécois », nuance Nadine Vincent, lexicographe et professeure à l’Université de Sherbrooke. Parmi les avancées notables des dernières années : une meilleure reconnaissance du français québécois. « Avant, on le caricaturait, explique celle qui est aussi membre de l’équipe de rédaction du dictionnaire Usito (présenté comme le premier à décrire le français standard en usage dans la Belle Province). Maintenant, on reconnaît que c’est un français au même titre que le français belge ou suisse. »

Voici donc quatre particularités de notre langue qui ont caractérisé les 15 dernières années.

ÉCRITURE INCLUSIVE : INSPIRÉ·E·S PAR LA FRANCE…

Le Québec a toujours fait figure de précurseur pour ce qui est de la féminisation des titres : en 1977, Lise Payette est devenue la première femme à se faire appeler « madame "la" ministre », alors que la France accuse toujours du retard à ce sujet. Quant à l’écriture dite inclusive, c’est-à-dire qui assure une égalité entre les représentations hommes-femmes, la position de l’Office québécois de la langue française (OQLF) est on ne peut plus claire depuis des années : on privilégie les formules au long (« les étudiants et les étudiantes ») ou neutres (« le personnel » plutôt que « les employés »), mais on n’isole pas les femmes entre parenthèses — « les client(e)s » —, sauf quand l’espace est restreint (tableaux, formulaires, etc.).

Or, un nombre grandissant de Québécois se laissent tenter par une pratique qui a ses adeptes en France (bien qu’elle y soit aussi vivement débattue) : le point médian, aussi appelé point milieu, lequel donne des formulations comme « les agriculteur·rice·s ». Un non-sens, estime Nadine Vincent : « Ça contrevient au principe de base qui consiste à ne pas tronquer la forme féminine ! » Reste à voir si le Québec emboîtera le pas à la France, qui jongle avec l’idée d’ajouter le point médian à ses claviers numériques…

UNE RÉALITÉ AUTOCHTONE MIEUX REPRÉSENTÉE (ET NOMMÉE)

Ouaouaron, caribou, achigan… On recense déjà de nombreux mots empruntés aux langues autochtones dans notre quotidien de Québécois francophones. Le grand changement, ces dernières années : la réappropriation, pour ces Premières Nations, de leur langue, faisant apparaître de nouveaux mots — ou de nouvelles façons de nommer les choses — en français.

« Les "Montagnais" sont redevenus des "Innus", et les "Hurons" retrouvent l’identité "wendate". Cette capacité pour eux de se nommer désormais dans leur propre langue, c’est quand même une grande preuve de reconnaissance et ça efface des traces du passé », indique Nadine Vincent.

HASHTAG DISTINCTION

Autre tendance marquée au Québec : se distinguer des cousins français lorsque vient le temps de franciser officiellement des mots en anglais. « Depuis 15 ans, les exemples pullulent : "mot-clic" (plutôt que "mot-dièse" en France) pour hashtag ; "baladodiffusion" (au lieu de "diffusion pour baladeur") pour podcasting ; "clavardage" (à la place de "dialogue en ligne") pour chat… », énumère la professeure.

« Dans la francophonie, il n’y a que deux États qui peuvent compter sur des organismes de francisation des anglicismes : le Québec et la France. Les Suisses, les Belges et d’autres peuples francophones se tournent donc vers la France, mais parfois aussi vers le Québec, quand ils cherchent à franciser des termes. »

— Nadine Vincent

LE POUVOIR DU PEUPLE

Au final, une certitude demeure, estime Nadine Vincent : « Il y a un réel désir de faire un pied de nez à l’anglais. » Et pas juste dans les bureaux de l’OQLF. L’exemple classique est le désormais célèbre « égoportrait », invention linguistique purement québécoise — et qui a fait son entrée dans le Larousse en 2015 — pour remplacer selfie. Une trouvaille de Fabien Deglise, journaliste au Devoir.

D’autres néologismes nés en dehors des hautes instances linguistiques ? « Sociofinancement » (création de l’entreprise québécoise Haricot, spécialisée dans ce type de financement) et le tout récent « emportiérage » (qui désigne l’action de percuter un cycliste en ouvrant sans précaution une portière d’automobile). « Des exemples qui montrent bien le pouvoir qu’a parfois la collectivité pour franciser certains termes », se réjouit Nadine Vincent.

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