Brésil

Un géant minier condamné
à indemniser des tribus indigènes

Une cour d’appel brésilienne a ordonné au géant minier Vale d’indemniser à hauteur de 35 millions CAN deux tribus indigènes de l’État du Pará pour les dégâts environnementaux et les atteintes à la santé provoqués par les activités de l’une de ses filiales, a annoncé le parquet hier. La mine Onça Puma, qui extrait du nickel depuis près d’une décennie dans le sud du Pará, est accusée de contaminer la rivière Cateté, pollution qui entraîne des « conséquences sévères » sur la santé des tribus Xikrin et Kayapó et sur leurs récoltes, a précisé le parquet dans un communiqué. Le tribunal a également ordonné la suspension des activités d’Onça Puma.

— Agence France-Presse

Brésil Décryptage

Le règne de Bolsonaro est déjà commencé

Le président désigné du Brésil Jair Bolsonaro ne doit entrer en fonction qu’en janvier. Mais en réalité, son règne est déjà commencé.

Un signe parmi d’autres : dans l’État du Minas Gerais, un juge vient d’ordonner l’expulsion de 450 familles qui exploitaient des terres laissées à l’abandon depuis deux décennies par leurs propriétaires.

Depuis 20 ans, les familles de Quilombo Campo Grande produisaient des haricots, du manioc, du maïs et du café organique sur 1200 hectares de terres qui, autrement, n’étaient tout simplement pas exploitées.

Le jeudi 7 novembre, le juge Walter Zwicker Esbaille leur a donné une semaine pour quitter les lieux.

Pour Daniel Tygiel, militant écologiste et organisateur en économie sociale établi à Pocos de Caldas, une ville de cet État du sud-ouest du Brésil, cette décision, et le climat dans lequel elle a été décrétée, donne une idée de la direction dans laquelle s’en va son pays.

Ainsi, l’audience s’est déroulée en présence d’une rangée de policiers lourdement armés – fait inusité et injustifié, selon Daniel Tygiel.

Pour bien comprendre pourquoi cet événement relativement mineur est révélateur de ce qui se passe aujourd’hui au Brésil, il faut se rappeler qu’au sortir de 20 ans de dictature militaire, au milieu des années 80, la jeune démocratie brésilienne avait adopté une réforme agraire permettant aux paysans de développer des terres inexploitées par leurs propriétaires. L’idée, c’était que ces terres devaient avoir une utilité sociale.

Et c’est ce qui est arrivé à Quilombo Campo Grande, où des habitants se sont installés dans une ancienne usine abandonnée pour se consacrer à la culture de la terre. Quand les anciens propriétaires ont voulu reprendre ces terres, le gouverneur de l’État a d’abord donné raison à ses occupants actuels.

Le 7 novembre, le tribunal a infirmé cette décision et ordonné le départ imminent des paysans, dans un décor hautement militarisé.

« C’était une surprise totale pour nous », dit Daniel Tygiel, qui a assisté à cette audience, et qui est proche du Mouvement des sans-terre, qui milite pour l’accès aux terres cultivables.

Quel lien entre la décision du juge Esbaille et le président désigné du Brésil ?

Ce dernier tient le Mouvement des sans-terre dans sa ligne de mire. Il y a quelques jours, son propre fils Eduardo, qui vient d’être élu député, a affirmé que dès le mois de janvier, cette organisation serait considérée comme un groupe terroriste. La stratégie d’occupation territoriale du Mouvement des sans-terre génère de multiples procédures judiciaires au Brésil. Mais entre traduire certains groupes en justice et les traiter comme des terroristes, il y a un fossé – que le pays semble sur le point de traverser.

Le message est clair. Et il a été en quelque sorte répercuté par la justice.

Signaux inquiétants

D’autres signes inquiétants se multiplient au Brésil, à la veille de l’entrée en fonction de Jair Bolsonaro. Un peu partout au pays, des groupes s’organisent et diffusent des messages haineux ciblant des groupes précis.

« Nous recevons des messages anonymes qui menacent d’en finir avec les homosexuels, qui s’en prennent aux étudiants et aux professeurs, qui annoncent que “la fête est terminée” », dit Daniel Tygiel.

Un projet de loi actuellement à l’étude au Parlement ajoute à cette atmosphère d’intolérance, en visant directement les universités, signale de son côté Julian Durazo Herrmann, président de l’Association canadienne d’études latino-américaines et professeur à l’Université du Québec à Montréal.

En principe, ce projet de loi veut garantir aux élèves et étudiants universitaires un « enseignement non partisan ». En réalité, il est question d’expurger l’enseignement de toute idéologie considérée comme trop « gauchiste ».

Déjà, des étudiants sont appelés à filmer et enregistrer leurs cours, et à dénoncer les professeurs qui, selon eux, dérogent à la ligne politique autorisée.

Cet appel crée un climat de terreur dans les établissements d’enseignement, dénonce Julian Durazo Herrmann. D’autant plus que les étudiants peuvent diffuser leurs enregistrements sur les réseaux sociaux. Et que le projet de loi visant à institutionnaliser cette politique de délation reçoit l’appui des Églises évangéliques, très populaires au Brésil.

Derrière cette campagne ciblant les écoles se profile le mouvement « L’école sans parti », un lobby ultraconservateur qui combat les cours d’éducation sexuelle et qui veut réécrire l’histoire, en présentant entre autres l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet comme un libérateur.

L’une des plus ferventes partisanes de la loi, la députée Ana Caroline Campagnolo, vient justement de lancer un appel à la délation sur les réseaux sociaux.

L’appel a été entendu : un professeur a déjà été pris à partie par les réseaux sociaux après avoir projeté un film sur les crimes commis par la dictature militaire brésilienne…

« La situation est extrêmement préoccupante », dit Julian Durazo Herrmann, selon qui le durcissement politique incite des militants d’extrême droite à passer aux actes en attaquant physiquement les personnes ciblées par les politiciens de droite.

Les actes d’intimidation et de violence sont de plus en plus nombreux dans les rues de Brasilia ou de Rio de Janeiro. « On a vu des homosexuels se faire huer, un leader religieux d’un culte afro-brésilien, le Candomblé, a été battu à mort à Rio », signale Julian Durazo Herrmann.

Cette semaine, la présidente de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) s’est elle aussi dite préoccupée par le climat politique qui accompagne l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro.

« Nous sommes inquiets parce que ces déclarations entrent clairement dans le cadre de ce que la communauté internationale de défense des droits de l’homme qualifie de discours de haine », a affirmé Margarette May Macaulay à l’issue d’une mission d’une semaine de la CIDH au Brésil.

Trois semaines à peine après l’élection de Jair Bolsonaro, « le resserrement du climat social est de plus en plus difficile », dit Julian Durazo Herrmann.

Quant à Daniel Tygiel, il résume la situation ainsi : « La démocratie brésilienne est menacée, on a clairement l’impression de voir naître un mouvement fasciste qu’on n’aurait jamais cru possible au Brésil. »

Et ce n’est qu’un début…

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