Jacqueline Desmarais 1928-2018

Sa vie sur un air de Massenet

C’est comme si sa vie avait été portée par son air préféré, la Méditation de Thaïs.

Comme si ses joies, ses chagrins, ses bonheurs s’étaient déclinés au son envoûtant d’un violoncelle. Et, très souvent, celui d’un grand orchestre.

Car, à la manière de l’héroïne Thaïs, Jacqueline Desmarais aura réalisé ses « aspirations les plus profondes ».

Mais pour y arriver, la grande mécène des arts n’a pas eu à « renoncer au monde pour connaître toutes les ivresses », pour paraphraser l’opéra de Massenet.

De son enfance dans une paroisse francophone de l’Ontario à son mariage avec Paul Desmarais, de la naissance de ses enfants Paul, jr, André, Louise et Sophie à la consécration de l’empire familial Power Corporation, la jeune Jacqueline Maranger aura eu un parcours tout à fait exceptionnel qui a culminé dans le mécénat et la philanthropie.

Celle qu’on appelait affectueusement « Jackie » a mené une vie pétillante, généreuse et inspirée. Et elle a utilisé son influence et sa passion pour amener les gens à se dépasser, comme elle et son mari l’avaient fait.

« Si je lui disais : chérie, je crois que je vais démarrer un service de transport pour passagers vers la Lune demain, elle me dirait : quelle bonne idée, pourquoi pas ? », a déjà raconté M. Desmarais, au journaliste canadien Peter C. Newman, pour illustrer l’enthousiasme de sa femme.

Accompagner les talents

Il faut dire que ce couple hors du commun avait de l’énergie et du flair. Lui, pour les affaires. Elle, pour dénicher et accompagner de jeunes talents promis à un brillant avenir.

Par son engagement et son appui financier, elle aura été leur marraine et leur plus grande ambassadrice.

« Quand tu commences, il faut connaître quelqu’un. Alors, on essaie de les aider. S’ils ont du talent, et on a vraiment de grands talents ici, ils vont faire leur propre chemin. On doit les soutenir jusqu’à ce qu’ils soient autonomes. »

— Jacqueline Desmarais, en entrevue avec le journaliste  Alain de Repentigny, de La Presse, en 2011

Rien ne lui faisait plus plaisir que de voir ses « enfants » sur la scène du Metropolitan Opera (Met), de la Scala ou de l’Opéra Bastille.

Et, dans cet esprit, elle avait vécu sa plus grande « extase », il y a deux ans, quand son « petit Yannick », le maestro Nézet-Séguin, avait été nommé directeur musical du Met, à l’âge de 41 ans.

« Je suis si fière, a-t-elle dit à Luc Boulanger, de La Presse. Il va diriger l’orchestre le plus prestigieux au monde, en plus de celui de Philadelphie. Il sera donc à la tête des deux plus importants orchestres en Amérique du Nord. »

À la même époque, Jacqueline Desmarais était membre du conseil d’administration du Met.

Au Québec, son rayonnement a touché de nombreuses institutions, dont l’Orchestre symphonique de Montréal, l’Opéra de Montréal, l’Orchestre Métropolitain, le Domaine Forget et le Musée des beaux-arts de Montréal, pour n’en nommer que quelques-uns.

Mélomane dans l’âme

La musique et le chant ont bercé la petite enfance de Mme Desmarais, née en 1928 dans la paroisse de Sainte-Anne, à Sudbury. Son père, Ernest, qu’elle adorait, jouait de l’harmonica et lui chantait des chansons de la Première Guerre mondiale.

Dans la vingtaine, elle écoutait Ella Fitzgerald et Frank Sinatra. « Moi, j’étais plus le genre chanteuse de jazz, a-t-elle dit en 2011. Mon heure de gloire est survenue vers l’âge de 20 ou 21 ans quand j’ai chanté avec Duke Ellington [pendant un spectacle à Hull]. »

Attirée par les comédies musicales, elle a joué le personnage principal de Mame au début des années 70, avec les Lakeshore Players de Dorval.

Dans le public, un spectateur deviendra son mentor : le regretté Pierre Béique, fondateur de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM).

« Il a commencé à m’inviter aux concerts de l’OSM, puis il a guidé mes pas vers l’opéra, a-t-elle raconté en 2011. Le premier qu’il m’a suggéré d’écouter, c’est Le trouvère (Il trovatore) de Verdi parce que tout est beau. Ç’a été un coup de foudre pour moi. […] Il m’a tout enseigné. […] Dans un sens, j’ai été son enfant. »

À sa mémoire, Jacqueline Desmarais a doté l’OSM du Grand Orgue Pierre-Béique en 2014.

Sans prétention

Pendant 40 ans, elle aura partagé son engagement auprès de centaines de jeunes talents, particulièrement des artistes lyriques et des musiciens classiques. Elle le fera de façon discrète, sans prétention ni ostentation.

Même l’acquisition d’un légendaire violoncelle signé Stradivarius pour l’usage de l’un de ses protégés, le virtuose Stéphane Tétreault, se voulait anonyme.

Jacqueline Desmarais n’a pas cherché le feu des projecteurs. « Ça n’a jamais été notre fort, vous savez, disait-elle en 2011. C’est dans la famille. […] Quand on fait quelque chose, c’est parce qu’on aime ça. »

De l’avis de ceux qui l’ont côtoyée, sa façon d’être restera celle de la jeune femme qui a décroché un diplôme en sciences infirmières à l’Université d’Ottawa, en septembre 1950.

Toute sa vie, elle aura incarné les attributs de cette profession : discrétion, grande écoute, qualités humaines, aptitudes relationnelles et sens de l’organisation.

Jacqueline Desmarais est aussi restée fidèle à sa nature enjouée et chaleureuse. Élégante et active, elle aimait les gens, les fêtes et elle était toujours partante pour pousser la note.

Des documents d’archives retrouvés cette semaine par l’Université d’Ottawa rappellent qu’elle avait participé avec les « infirmières de 3e année » à un concert annuel. « C’est à cette occasion que nous avons découvert une voix à Gisèle Meloche, Jacqueline Maranger et Mary Moore », peut-on lire.

Impact positif

Son attachement au monde de la santé ne l’a jamais quittée. Avec sa famille, Jacqueline Desmarais a appuyé de nombreuses initiatives. Un pavillon du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine porte même son nom depuis 2016.

Elle croyait aussi en l’importance de l’éducation et des organismes communautaires. Elle a soutenu, entre autres, Centraide du Grand Montréal, l’Université de Montréal et la Fondation Jasmin Roy.

Par ailleurs, Mme Desmarais était attentive aux besoins des femmes. Il y a deux ans, l’organisme La rue des Femmes a inauguré la Maison Jacqueline, qui offre de l’hébergement d’urgence pour les femmes sans domicile fixe.

« C’est une façon pour moi d’avoir un impact positif sur la vie de ces femmes et leurs familles et de les aider à se sortir de l’état de profonde détresse qui les a menées à la rue. »

— Jacqueline Desmarais, lors de l’inauguration de la Maison Jaqueline

Son implication et son mécénat ont été reconnus par de grands honneurs. Elle était notamment grande officière de l’Ordre national du Québec, Officier de l’Ordre du Canada et chevalier de l’ordre national de la Légion d’honneur (de France). Pour sa contribution au monde des arts, l’Université de Montréal lui a décerné un doctorat honoris causa, en 2011, pendant la collation des grades de la faculté de musique. 

« Jamais je n’aurais rêvé qu’un jour, je recevrais une telle marque de reconnaissance », avait-elle dit, émue. 

Les funérailles privées de Mme Desmarais se dérouleront aujourd’hui à Sagard, dans la région de Charlevoix.

Le violoncelliste Stéphane Tétreault nous a confirmé qu’il assisterait à cette cérémonie intime.

Et en guise de reconnaissance et d’affection, le jeune prodige interprétera pour elle, sûrement avec beaucoup d’émotion, la Méditation de Thaïs.

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