Chronique

Le rose est le nouveau vert

Le rose est le nouveau vert… C’est le message qu’envoie la mairesse de Montréal en gardant le cap sur sa proposition phare de ligne rose, en dépit des réticences de la Coalition avenir Québec (CAQ).

On pourrait trouver qu’il y a quelque chose d’irresponsable à investir 1 million dans un bureau chargé de faire avancer un projet de ligne de métro qui, si la tendance se maintient, ne sera jamais construite.

Mais quiconque a pris le métro en classe sardines à Montréal, sacré dans un des mille bouchons de la ville et entendu le cri d’alarme des experts sur le climat sait que ce qui serait vraiment irresponsable, c’est de continuer sur la même voie comme si de rien n’était. Continuer à construire plus de routes pour rouler de plus en plus vite vers la catastrophe environnementale annoncée.

Critiqué par ses opposants comme étant irréaliste, le projet de ligne rose de la mairesse Valérie Plante, qui suscite l’adhésion d’une majorité de la population, n’a rien de farfelu. Ça coûtera cher ? Oui, sans doute. Vingt-neuf stations de métro de Montréal-Nord à Lachine en passant par le centre-ville, il se peut en effet que ce ne soit pas donné.

C’est ambitieux ? Oui, certainement, tout comme l’était le projet du métro de Montréal dans les années 60. À l’époque, le projet du maire Jean Drapeau suscitait aussi de vives critiques d’élus et de citoyens qui croyaient que les transports collectifs étaient un mode de transport dépassé et trop coûteux. Au départ, Jean Drapeau lui-même n’était pas très chaud à l’idée d’un métro.

Alors que Montréal venait tout juste de se débarrasser de ses tramways, le maire était de ceux qui croyaient que la voiture était le mode de transport de l’avenir. Il a changé d’avis en 1960 après avoir vu le métro de Paris, qui utilisait à l’époque une nouvelle technologie de roulement sur pneumatiques, pas encore utilisée en Amérique du Nord. Il rentra à Montréal avec la conviction qu’il fallait à tout prix réaliser ce projet. Ce qui lui semblait fou et dépassé au départ était devenu à ses yeux innovateur et incontournable. Il a promis un métro lors des élections de 1960. Six ans plus tard, le métro de Montréal était inauguré.

Aujourd’hui, alors que l’on sait que notre avenir dépend de notre capacité à changer radicalement nos habitudes de transport, un projet de prolongement du métro devrait en principe sembler moins fou que dans les années 60. Un des scénarios proposés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour s’en tirer suggère que l’on retire la moitié des voitures des routes du globe d’ici 12 ans. Mais pour y arriver, encore faut-il offrir des services de transports collectifs efficaces aux citoyens.

Le projet de ligne rose ne sort pas d’une boîte à surprises. En entrevue avec mon collègue Bruno Bisson, Pierre-Léo Bourbonnais, associé de recherche et chargé de cours à Polytechnique, titulaire d’une maîtrise et d’un doctorat en génie civil – transport, qui a collaboré à la conception de la ligne rose, en soulignait les effets bénéfiques importants, surtout pour désengorger la ligne orange.

Le projet a l’avantage de desservir une population qui n’a pas accès au métro. Il est aussi préférable à un prolongement de la ligne bleue à Anjou, qui amènerait les usagers vers une ligne orange déjà saturée. « Et même si ça coûte cher, une ligne de métro représente quand même la solution la plus économique aux problèmes de congestion », ajoutait-il.

La CAQ n’a jamais caché le fait que ce projet, jugé trop coûteux, ne faisait pas partie de ses plans. Le ministre des Transports François Bonnardel l’a répété encore cette semaine, disant que son gouvernement privilégiait plutôt le prolongement des lignes bleue et jaune et le Réseau express métropolitain (REM).

En campagne électorale, des adversaires libérales avaient affirmé que le rejet du projet de la mairesse de Montréal témoignait du « féminisme de façade » de François Legault. Je ne suis pas de cet avis. À mon sens, cela témoigne plutôt d’un environnementalisme de façade. Car nous voilà devant un premier ministre qui dit qu’il a l’environnement à cœur et qu’il a « bien reçu » le message de la population à ce sujet… mais qui, en même temps, écarte d’un revers de main un projet de transports collectifs d’envergure qui s’inscrit parfaitement dans une logique de lutte contre les changements climatiques.

Il reste à espérer que le bureau de projet de la ligne rose fasse ses devoirs correctement et arrive à convaincre le gouvernement du bien-fondé de sa proposition. Et que, comme Jean Drapeau à une autre époque, François Legault change d’avis.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.