La ferme Cadet Roussel est luxuriante au cœur de l’été. Poivrons mauves, aubergines rondes, choux chinois… une soixantaine de légumes poussent dans les champs de ce domaine installé au pied du mont Saint-Grégoire.
En apparence, la ferme est similaire à toutes les autres de la vallée du Richelieu. Pourtant, elle est l’une des rares à avoir adopté les préceptes de la biodynamie.
« J’aime évoquer les énergies, ce qu’on ne voit pas, ce qu’on ne peut pas toucher, quand je parle de la biodynamie », affirme Anne Roussel, qui a pris la relève de la ferme de ses parents, il y a huit ans, avec son conjoint Arnaud Mayet.
Comme ses confrères qui pratiquent la biodynamie, Anne observe le calendrier lunaire pour effectuer différentes tâches à la ferme. Si la Lune influence les marées, pourquoi n’influerait-elle pas sur le sol et les cultures qui contiennent aussi de l’eau ?, se questionne-t-elle.
Anne Roussel suit le calendrier lunaire développé par Maria Thun, en 1963. Chaque été, la chercheuse sème quotidiennement des légumes et elle observe leur croissance. Après plusieurs saisons, elle arrive à la conclusion que certains jours sont favorables aux légumes racines (carottes, radis, pommes de terre), fruits (tomates, aubergines, poivrons), feuilles (laitue, bette à carde) et fleurs (brocoli, choux-fleurs), selon le passage de la Lune devant les signes du zodiaque.
Mais l’almanach de Maria Thun demeure un outil et non une bible que l’on suit religieusement. Du moins, pas à la ferme Cadet Roussel, qui est néanmoins certifiée biodynamique.
« À ce temps-ci de l’année, on règle les urgences. Si les haricots ont besoin d’être cueillis, on les cueille que ce soit une journée fruit ou une journée feuille », explique Anne.
Anne et Arnaud suivent plus fidèlement le calendrier au moment des semis et ils y ont porté une attention particulière lors des récoltes, l’année dernière. Anne ne peut pas prouver que c’est uniquement grâce à la biodynamie, mais les légumes se sont conservés mieux que jamais. Il y a trois semaines, des clients ont enfin mangé des betteraves cueillies l’été dernier.
Il n’y a qu’au périgée, quand la Lune est la plus proche de la Terre, qu’Anne et Arnaud ne touchent pas à la terre. « Mais les employés n’ont quand même pas congé, s’exclame Anne. Il y a plein d’autres choses à faire quand c’est une journée noire. On peut réparer le tracteur, retaper la grange ou faire des livraisons. »
Une corne de vache sous la terre
La biodynamie, basée sur les études de Rudolf Steiner, repose aussi en grande partie sur les préparations qui doivent être appliquées sur les plantes et qui font partie du cahier des charges permettant d’obtenir la certification Demeter, en quelque sorte l’équivalent d’Écocert pour les produits biologiques. Notons toutefois que Rudolf Steiner est parfois critiqué, car ses recherches ne s’appuient pas sur une méthode scientifique.
La bouse de corne est le plus étonnant de ces mélanges. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une corne de vache, remplie de bouse, enterrée dans le sol. Au bout d’un hiver, le fumier se transforme en riche compost. Les fermiers diluent cette préparation dans l’eau pendant 60 minutes, ni plus ni moins, et l’épandent sur le sol pour aider les mycorhizes, de bons champignons, à se développer et à nourrir les plantes.
La silice de corne – du quartz broyé dans une corne – est plutôt pulvérisée sur les feuilles des fruits et des légumes. « C’est le lien entre la plante et le cosmos », explique Michael Marler, copropriétaire du vignoble Les Pervenches, avec sa femme Véronique Hupin.
Dur de dire si la biodynamie y est pour quelque chose, mais quand les vins des Pervenches arrivent dans les épiceries fines, les gens font la file pour se procurer une bouteille. Celles-ci se vendent littéralement en quelques minutes.
En 2000, Michael et Véronique ont racheté le domaine de Farnham qui était alors cultivé de manière traditionnelle. Rapidement, ils ont mis en doute les manières de faire.
« On a acheté le domaine et il n’y avait qu’un pulvérisateur à dos fait d’une combinaison de style lunaire, d’un masque et d’un sac à dos, raconte Véronique. On lisait les étiquettes de ce qu’on vaporisait et ça disait de ne pas entrer dans le champ pendant les sept jours suivant l’application ou encore 90 jours avant les récoltes. »
Même s’il s’est fait qualifier de « fou » par plusieurs membres de son entourage et par des œnologues de la province, le couple a décidé de se convertir à la biodynamie en 2005. Treize ans plus tard, il ne regrette en rien ce grand changement.
Comme leurs collègues de la ferme Cadet Roussel, les propriétaires du vignoble Les Pervenches sont d’avis que leurs fruits goûtent meilleur que ceux cultivés de manière conventionnelle.
« C’est sûr qu’on y croit. Toutes les heures qu’on passe à récolter les orties, la prêle, à faire des décoctions… Ce n’est pas un boulot à temps plein, mais presque, si on veut bien le faire », dit Véronique.
« On goûte la différence. Sinon, on ne le ferait pas. »