L’ère du « plus jamais »
Elle élargissait l’idée de ce qu’est un agresseur, et de ce qu’est une victime aussi. On n’est pas ensanglantée dans une ruelle. On marche normalement dans la rue. Ce n’est pas écrit dans notre front, ce qui est arrivé.
On est souvent chez quelqu’un qu’on connaît bien. On a peut-être même déjà vécu quelque chose avec cette personne-là. Ce dont il est davantage question dans la pièce.
Ce qui est drôle, c’est que l’auteure, Nina Raine, a écrit ça un peu comme Kim [Lizotte], en clairvoyance de ce qui allait se passer avec #metoo. Avec Les Simone, on voulait vraiment exprimer ce qu’est une relation de non-consentement, alors que dans la pièce, on essaie de cerner ce qu’est exactement le consentement, dans un contexte beaucoup plus flou. La pièce a été créée l’an dernier. Après #metoo, l’auteure se sentait presque mal de l’avoir écrite. Elle craignait de ne pas avoir l’air solidaire avec le mouvement.
Il y a une phrase qui m’a vraiment marquée lorsque j’ai vu la conférence de Michelle Obama. C’est que le pouvoir ne change pas les gens, il les révèle.
J’ai côtoyé plusieurs bullies. Certains dont on a parlé dans les médias et qui ont pu abuser de leur pouvoir. Il y a d’autres profs que Gilbert Sicotte, au Conservatoire, qui auraient pu être mis sous la loupe. Je n’avais pas un traitement différent des autres avec Sicotte. Mais il y avait d’autres profs qui m’adoraient. Et le fait qu’ils étaient si durs avec les autres me donnait l’impression que j’étais au-dessus de la mêlée. Mais je voyais bien que dans mes cours, des camarades qui performaient bien ailleurs n’arrivaient pas, devant ces profs-là, à donner le meilleur d’eux-mêmes, parce qu’ils étaient traumatisés. Quand ces gens-là nous aiment, on se sent spécial. On est faible pour ça. On n’a plus d’éthique.
Le jeu, c’est le jeu. Quand on commence à tourner, il y a un consensus qui se fait avec les autres acteurs. Je n’ai jamais senti d’abus en jouant une scène. Mais ça change tout le reste. Ça change le rapport au pouvoir. Il y a beaucoup de scènes dans ma vie qui ont réveillé de petites choses. Qui m’ont fait revoir des expériences de ma propre vie sous un autre angle. Je pense que je suis quelqu’un qui porte beaucoup la culpabilité. J’ai dû revisiter des événements et me dire : cette fois-là, ça n’avait peut-être pas de bon sens. Tourner la scène des Simone m’a mise dans une place un peu trouble. Même si on ne joue pas notre vie, tout résonne et tout se mélange. J’ai eu de la difficulté à établir une grande complicité avec Normand [Daneau] dans la vie. On est restés un peu en retrait l’un de l’autre, alors qu’il semble super sympathique. C’est bizarre, mais il y a toujours eu cette fameuse scène-là entre nous, je crois.
L’agression sexuelle, c’est vraiment très difficile sur la psyché. Ton rapport à ton estime de soi, à ta valeur, à ton rapport aux hommes, il ne faut vraiment pas minimiser ça. C’est pour ça qu’il y a eu un appel d’air avec #metoo. Je pense à la suite de #metoo, en réfléchissant à ma propre vie. Il y a les « J’aurais donc dû… » et les « Je ne peux pas croire que je n’ai pas… ». À mon avis, ça ne sert à rien. C’est l’ère du « plus jamais ». Tout ce que je me dis maintenant, c’est : « Plus jamais ! » Les chances sont moins grandes que je reste figée si quelque chose du genre, du petit au plus grand degré, m’arrive.
Je pense que ça change. J’ai plein d’amis qui ont fait des examens de conscience qu’ils n’auraient jamais faits sans le mouvement #metoo. Ça, c’est de l’avancement ; ça transforme des comportements. Il y a une part de résilience dans tout ça. Les retombées concrètes, je ne les sais pas, mais dans mon entourage immédiat, je sens une ouverture. Il y a moins de « Revenez-en ! C’est pas si pire ». Il y a plus d’écoute et de dialogue.
C’est tellement salvateur de se faire valider une blessure. De se sentir compris, ce n’est pas banal. C’est important.
Je n’ai pas cette prétention-là. On est une équipe. C’est surtout sur les épaules de Fred [Blanchette], qui est un gars tellement intelligent que je ne suis pas inquiète. Mais au-delà d’être une interprète, je me rends compte que j’ai une portée plus grande. Je reçois les confidences des gens, en raison des rôles que je joue. Je le prends comme un honneur, plus que comme une tâche.
Avec la télé, tu es dans le salon des gens. Oui, j’en ai beaucoup entendu parler. J’ai eu beaucoup de : « C’est exactement comme ça que ça se passe ! » Ce n’est pas juste moi, évidemment. Je suis dirigée, éclairée, il y a une musique qui accompagne cette scène-là. Il y a plein de détails qui font que c’est une scène réussie.
Oui. Il y a peut-être même eu un petit moment « pointe des pieds » par rapport à tout ça. Ce qui est à mon avis bien correct ! Il y aura toujours des bullies, il y aura toujours des colériques, des abuseurs. Ce que ça change, c’est que les gens se font confiance et imposent leurs limites. Les cadres, les producteurs, ne toléreront plus ça. Peut-être que les gens vont être plus solidaires et mettre le doigt sur le bobo plus vite.
Je ne pourrais être plus en désaccord avec cette phrase-là ! J’ai besoin de me sentir aimée, soutenue, comprise…
Le problème, c’est comme avec le sexe : « Some like it rough ! » Il y en a qui ont besoin d’être pris à la gorge pour jouir. Mais dans une relation enseignant-élève ou boss-employé, c’est qu’il n’y a pas une relation d’égalité. Ce n’est pas parce qu’une fille trouve ça excitant d’être fouettée qu’il faut que tu fouettes tout le monde. Quand on n’a pas son mot à dire, ça ne fonctionne pas.
On ne pratique pas la misère, comme disait ma mère ! C’est comme si tes parents te faisaient faire ton lavage à partir de l’âge de 4 ans parce qu’un jour tu vas aller en appartement. On ne pratique pas la misère.