Chronique

Donner la mort, donner la vie

Pareil comme dans les films. Nikolas s’est fait poignarder par ses ennemis, en guise de représailles il a mitraillé leurs maisons à la Kalachnikov, avant de battre et de séquestrer certains d’entre eux. À la tête d’un gang, il a mené des trafics illicites en tous genres, et il a fait du temps dur en pénitencier. Beaucoup de temps dur. Plus de dix ans pour une kyrielle de condamnations, dont plusieurs tentatives de meurtre. On s’est rencontrés en dedans, d’ailleurs, lors d’un atelier de poésie.

L’animal humain m’intéresse toujours, mais certains spécimens sont plus fascinants que d’autres. Quand Nikolas m’a révélé qu’il allait sortir dans quelques semaines, « en conditionnelle », juste à temps pour accueillir son premier enfant et reprendre le droit chemin, j’ai voulu connaître son histoire. Sa prose m’en a révélé un bout, on s’est donné rendez-vous dehors pour qu’il me raconte la suite.

Je me suis intéressé à la criminalité comme romancier, aussi en tant que travailleur social œuvrant auprès des victimes d’actes criminels, mais je ne m’étais encore jamais penché sur la réhabilitation. Selon le site de Statistique Canada, la liberté conditionnelle donne toujours de meilleurs résultats que la libération d’office ; impliquer le détenu dans sa réinsertion sociale serait gage de réussite. Le pire scénario étant la mise en liberté à la fin de la peine, sans encadrement, sans suivi. Nuance importante : contrairement aux délinquants sous une peine de ressort provincial, les détenus fédéraux font toujours l’objet d’une surveillance jusqu’à la fin de leur mandat.

Nikolas m’accueille à sa nouvelle maison, la maison de transition. Très classe, rasé de près, montre chic et foulard assorti. On doit choisir notre restaurant avant de quitter les lieux, le déclarer et signer les registres ; il n’est plus incarcéré, mais ce n’est pas encore la liberté. Le petit resto familial du coin de la rue fera l’affaire.

Salade au poulet pour lui, des pâtes pour moi. Les dames de la banquette voisine nous sourient, on doit avoir l’air de bons gars… « Je suis un bon gars ! » Nikolas ne retournerait pas d’où il vient, mais n’a aucun regret. « Don’t do the crime if you can’t do the time. » Il en a fait en masse, du temps et des délits. Parcours typique, il tombera dedans dès l’adolescence, par appât du gain. « J’ai de bons parents, vraiment, j’étais en programme enrichi au secondaire, je ne manquais de rien. Un jour, j’ai voulu une paire de Nike. Ma mère m’a dit qu’on n’avait pas les moyens. J’ai pas voulu comprendre… »

Nikolas pallie en trafiquant de la dope quelques années durant, mais il n’acceptera pas de se faire arnaquer par des membres plus expérimentés de son propre clan. Il réplique, contre-attaque, s’engage dans une escalade de violences avant de fonder son propre gang. Il sait que le sang coulera, il assume qu’il fera de la prison. C’est la guerre. Il est armé en permanence, porte son gilet pare-balles au quotidien. Il ira au bout de sa vengeance, mais se fera trahir à nouveau, des délateurs de son cercle rapproché passent à table. Il plonge.

Il aura fallu près de 200 jours d’isolement et des transferts dans divers pénitenciers du pays pour forcer son introspection. Après cinq ans de criminalité derrière les barreaux, il décide de changer de voie, de changer de wing, de passer de l’aile des gangs à la population normale, population normale d’un pénitencier à sécurité maximum, quand même !

« Tout ce temps, il y avait juste une agente de programme qui croyait en moi, qui voyait que je voulais m’en sortir, qui ne pensait pas que je magouillais. Je tiens à la remercier maintenant que je suis dehors, j’espère qu’elle se reconnaîtra, j’ai plein de gratitude pour elle. »

L’alliance amoureuse aura survécu à l’alliance criminelle. Sa femme, condamnée pour complicité, n’aura pu le visiter durant quatre ans. Ils auront soufflé sur les braises avec des appels de 20 minutes par jour, puis des visites toutes les deux semaines, des roulottes tous les deux mois. Et maintenant, profitant d’une fragile liberté, ils seront parents, ensemble.

Fier, il me montre la photo de l’échographie sur sa montre high-tech, je lui présente mes enfants sur des photographies floues de mon vieux Samsung ébréché. Les placoteuses de la banquette d’à côté nous offrent un sourire attendri, on doit avoir l’air de bons papas.

La réhabilitation, il y croit, mais affirme dans la foulée que les détenus n’ont pas toujours les outils nécessaires pour y arriver. « Il y a des programmes pour apprendre à gérer ses émotions, mais c’est pas assez. C’est vraiment difficile d’avoir accès à de la formation professionnelle, et les jobs que tu peux faire en dedans, c’est juste des jobs manuelles, rémunérées entre 2 $ et 6 $ par jour. Tu prépares pas ta sortie avec ça ! » Et dehors, vous avez de l’aide ? « Si tu es chanceux, tu as un bon agent de libération conditionnelle en sortant, qui t’aide pour vrai, qui fait pas juste te surveiller ! »

Contrairement aux alarmistes d’une « justice pourrie », force est d’admettre que dans ce système imparfait, plusieurs font un excellent travail. Le rapport annuel 2016 de Sécurité publique Canada nous révèle que depuis 1998, le taux global de criminalité a diminué de 34,0 %, que depuis 2000, le taux de crimes avec violence a diminué de 28,9 % et que le taux de jeunes accusés a aussi sensiblement diminué.

Toute récidive est une récidive de trop, d’accord, mais « en 2015-2016, le taux de réussite des libérations conditionnelles totales parmi les délinquants sous responsabilité fédérale était de 87,6 % ». Plutôt encourageant.

Pourquoi ça marcherait pour toi, Nikolas, avec l’épaisseur de ton dossier et la violence de ton parcours ? « J’ai le soutien familial, j’ai déjà une job, je me sens utile dans ce que je fais. Et notre enfant surtout, qui arrive d’un jour à l’autre. Il portera le nom de mon grand-père, un homme exceptionnel. On en veut cinq ou six, j’ai pas le temps de retourner en dedans ! » Il avale une bouchée de salade, avant de conclure : « Pis je veux prouver à tous ceux qui ne me croyaient pas que j’ai changé pour vrai ! »

Je le crois, moi, cet homme de parole. Nikolas veut garder son emploi, prendre soin des siens, se rapprocher de ses parents, élever son enfant, changer des couches, se lever tôt pour faire ses 40 heures, mériter son salaire et payer ses impôts. Pareil comme dans la vie.

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