Le défi (et le prix) des poids lourds
Une question, toute simple, à Yvon Michel. Plus que sportivement, quelle est l’importance d’Oscar Rivas pour l’entreprise GYM ?
« Il est très important pour moi. »
Aucune hésitation dans la voix du promoteur. Disséquons donc la situation particulière qui consiste à développer un poids lourd puis à l’amener à maturité. Car c’est là qu’est rendu Rivas, à maturité.
Il affrontera en sous-carte du combat entre Adonis Stevenson et Badou Jack, le 19 mai à Toronto, le Belge Hervé Hubeaux, un monstre de 6 pi 4 po et 232 lb. Le bien surnommé Double Hache présente une fiche de 29-2-0. Ce sera, pour plusieurs, le plus grand défi de Rivas, après une succession de combats de faible envergure.
« Pour Rivas, on y est allés pour le meilleur gars disponible, a expliqué son entraîneur Marc Ramsay. Oscar va devoir bien boxer et suivre le plan de match pour l’emporter. Il est dans une bonne condition physique et mentale. C’est un vrai combat de boxe avec de vrais risques. »
Yvon Michel voit loin pour le poids lourd d’origine colombienne. Un autre combat à l’été, puis avant la fin de l’année. S’il conserve sa fiche immaculée, actuellement à 23-0-0, il se battra peut-être en 2019 en championnat du monde.
« Il a été blessé à un mauvais moment, car on avait embarqué sur Showtime et on s’est désintéressé de lui pendant un moment, a reconnu Yvon Michel. Là, il est relancé. Al Haymon le regarde de près. Il m’a dit que potentiellement, il embarquerait avec les autres boxeurs de Premier Boxing Championship (PBC), comme Dominic Breazeale, des classés. »
« S’il reste invaincu, ce n’est pas impossible qu’il affronte Deontay Wilder en 2019. »
— Yvon Michel su sujet d’Oscar Rivas
Voilà le nom qu’il faut retenir dans tout ça : Deontay Wilder. Un combat contre l’exubérant champion WBC des poids lourds serait l’équivalent de gagner à la loterie, explique le promoteur. Une vieille maxime en boxe recommande de ne jamais baisser les bras avec un poids lourd, question d’être là quand l’argent va commencer à rentrer dans les coffres.
Parce qu’à ce jour, Rivas n’a pas rapporté un seul cent à Yvon Michel, même s’il se bat chez les professionnels depuis neuf ans. Michel, pour assurer l’avenir de son entreprise, doit miser sur certains de ses boxeurs. Rivas est du lot.
« Ce sont des dépenses et des investissements. Marie- Ève Dicaire, c’est la même chose. Mais ils arrivent là. Ils arrivent à un moment où ils vont être rentables. Un poids lourd qui se bat en championnat du monde, tu parles de 25, 40, 50 000 $ et tout d’un coup, tu parles de millions. Kubrat Pulev, qui était l’aspirant obligatoire à Anthony Joshua avant de se blesser, aurait reçu une bourse de 5 millions. Il y a une démesure.
« Une invitation en championnat du monde chez les 126 lb, c’est 25 000 $. Chez les poids lourds, on passe de rien au maximum. Oscar a une belle réputation, les qualités athlétiques, la force, la détermination, la vitesse pour se rendre jusqu’au bout. »
Rivas admet sans se faire prier qu’il était impatient d’avoir un adversaire de classe mondiale. Ses derniers duels contre Sergio Ramirez, Gabriel Enguema ou Carl Davis Drummond n’ont pas enflammé les foules.
La raison est simple, et elle est financière plus que sportive. Marc Ramsay explique qu’un adversaire pour Rivas, c’est entre 50 000 $ et 100 000 $. Et on parle seulement de « B+ », comme il le dit, c’est-à-dire des boxeurs à la frontière entre journeyman et ligue mondiale.
Yvon Michel donne un cas de figure. On lui a proposé Eugene Hill comme adversaire pour Rivas, au coût prohibitif de 30 000 $. C’est une fortune sur une carte où plusieurs des adversaires gagnent dans les trois ou quatre chiffres.
« C’est dur, plus dur que d’autres divisions. Les poids lourds ne sont pas nombreux. Il n’y a pas de Mexicains, d’Argentins lourds. Ils sont rares. Même les boxeurs de piètre qualité coûtent plus cher que n’importe qui. Eugene Hill, tu regardes sa fiche, il ne s’est battu contre personne, mais son promoteur a bâti sa fiche pour le vendre quelque part à gros prix. »
Yvon Michel profite donc des grands événements, comme ce gala organisé par PBC et présenté sur Showtime, pour attirer des rivaux de qualité. C’est, après tout, une portion essentielle de la progression de Rivas s’il veut bien paraître sur les plus grandes scènes, au moment opportun.
Bref, il ne faut pas voir ce duel contre Double Hache comme un simple combat. La victoire pourrait ouvrir à Rivas les portes du marché européen, de PBC, des télés américaines, peut-être des championnats du monde. Il deviendrait donc un boxeur rentable pour un promoteur qui a beaucoup misé sur lui.
Surtout que Rivas est un boxeur charismatique, puissant, imposant, qui suit en plus des cours de français pour s’adresser adéquatement à son public québécois.
« Si je gagne ce combat, il y aura de grandes choses après. »
Oscar Rivas comprend très bien la situation. Yvon Michel aussi.