L’avis du nutritionniste

Un Guide bien de son temps

La semaine dernière, alors que nous n’avions que des bribes du nouveau Guide alimentaire canadien, Lise Ravary, dans Le Journal de Montréal, s’est désolée de voir le document gouvernemental mettre l’accent sur les sources de protéines végétales, elle qui « déteste les haricots, pois et autres pousses de soja ». « Et le plaisir, bordel ? », a-t-elle soulevé, devant les recommandations des « nutritionnistes venus écraser de leurs gros sabots nos habitudes alimentaires, reflet de notre culture et de notre histoire ».

Le cauchemar de madame Ravary est finalement devenu réalité mardi matin, lorsque la ministre de la Santé a dévoilé la nouvelle mouture du Guide.

L’outil ne pourrait être plus simple et plus clair. Les légumes et les fruits garnissent la moitié de l’assiette. Les grains entiers en occupent un quart et l’autre quart est réservé aux « aliments protéinés », qui, selon la recommandation, doivent provenir principalement de sources végétales comme les haricots, les pois chiches, les lentilles, le tofu et les noix. Les végétaux y sont donc à l’honneur, ce qui est totalement cohérent avec la science actuelle, sans influence des groupes de pression de l’industrie agroalimentaire.

Autre grande nouveauté, Santé Canada reconnaît l’impact environnemental de nos choix alimentaires. Il est révolutionnaire qu’un guide alimentaire prenne position en ce sens puisque, traditionnellement, ces outils visent d’abord la santé humaine.

Ce changement de philosophie était toutefois inévitable, dans un monde où les ressources naturelles sont déjà exploitées à fond, voire surexploitées. Après tout, les problématiques environnementales d’aujourd’hui risquent de devenir des problèmes de santé publique pour les générations futures. Parler d’environnement, c’est donc se soucier de la santé du futur.

Cette mouvance fait d’ailleurs écho au rapport de l’EAT-Lancet Commission, constituée d’un groupe d’experts internationaux, qui a affirmé, la semaine dernière, que les systèmes alimentaires et la santé publique sont intrinsèquement liés à l’environnement. Pour ces experts, la santé planétaire, définie comme la santé de l’humanité et des systèmes naturels dont elle dépend, nécessiterait un changement radical des habitudes alimentaires. Leurs conclusions ? Plus de végétaux et moins d’animaux dans l’assiette. Selon les auteurs, même une petite augmentation de l’appétit mondial pour la viande rouge ou les produits laitiers rendrait à peu près impossible l’atteinte des objectifs de l’accord de Paris.

Oui, il semble ainsi y avoir consensus entre les experts quant à notre capacité de nourrir tout le monde à l’ère de l’anthropocène, et ce, grâce à une alimentation principalement végétale.

On ne mange pas des chiffres

Pour en revenir à madame Ravary, n’allez pas croire que sa réaction est unique. Au contraire, elle témoigne d’une réalité avec laquelle les professionnels de la santé et les instances gouvernementales doivent constamment jongler. Les données scientifiques et les chiffres ne suffisent généralement pas à convaincre les consommateurs d’emboîter le pas. Oui, les arguments logiques et rationnels peuvent les conscientiser, mais pas au point de modifier les comportements. Après tout, on ne mange pas qu’avec notre tête. Nos papilles et notre culture dictent aussi en (grande) partie ce qu’on mange.

Ainsi, Santé Canada aura comme prochain défi d’atteindre le bassin de la population qui voit le Guide comme un outil développé par et pour des experts, déconnectés de la réalité et se félicitant entre eux. Ce qu’il faut désormais, c’est faire réaliser aux gens que ce qui est bon pour eux et l’environnement a également bon goût. Que les recommandations nutritionnelles ne sont pas l’antithèse du plaisir. Qu’intégrer les légumineuses à notre menu, ce n’est pas nier notre culture québécoise (il y a belle lurette qu’on mange de la soupe aux pois et des fèves au lard dans la Belle Province). Que ces aliments sont locaux et « de saison » à longueur d’année (le Canada est un des plus grands producteurs de légumineuses du monde et celles-ci se conservent toute l’année). Qu’elles sont faciles à cuisiner. Et qu’elles ne coûtent vraiment pas cher.

Parce que si l’on désire un vrai changement de société et de culture alimentaire, ce n’est pas qu’entre convaincus qu’on doit discuter. Il faut aussi apprendre à dialoguer avec ceux qui ont plutôt le réflexe de s’agiter à l’idée de troquer leur steak pour un cari de pois chiches.

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