OPINION SYLVAIN CHARLEBOIS

La doctrine laitière

Depuis des années, le lait et le marketing forment une bonne alliance au Canada. Les campagnes publicitaires du lait frappent l’imaginaire des consommateurs depuis toujours, surtout au Québec.

De la publicité nostalgique utilisant une chanson d’Édith Piaf jusqu’à la toute récente « Y’a-tu du lait icitte ? », adorable publicité diffusée durant le Bye bye et un clin d’œil à une publicité légendaire de Budweiser, ces campagnes sont d’une grande efficacité. Ces publicités coûtent très cher et chacun de nous doit en assumer les frais.

Les producteurs laitiers dépensent plus de 85 millions annuellement en publicité pour faire valoir l’or blanc du Canada. Cela représente presque 3 $ par Canadien chaque année, une somme phénoménale. Peu d’entreprises peuvent se permettre de dépenser autant d’argent.

Cette somme est évidemment assumée par les producteurs laitiers. Avec le régime de la gestion de l’offre, les producteurs sont indemnisés pour l’ensemble de leurs dépenses, toutes leurs dépenses, y compris les coûts liés à la publicité.

Contrairement au secteur privé où l’on espère toujours que des ventes supplémentaires finiront par financer une campagne publicitaire, les producteurs laitiers ne s’en soucient pas du tout. Chaque fois qu’un consommateur achète un litre de lait au détail, une partie du prix servira à financer l’une des machines commerciales les plus influentes au pays. Si le prix du lait au détail augmente, vraisemblablement, le budget publicitaire augmentera. C’est aussi simple que cela.

Mais la doctrine laitière va au-delà des campagnes publicitaires. Le programme du lait-école, des commandites, du financement de recherches universitaires et, bien évidemment, le Guide alimentaire canadien ont toujours mis au premier plan le lait et les produits laitiers. Mais tout cela risque de changer.

Un aliment parmi d’autres

Dans le Guide alimentaire canadien actuel, les produits laitiers occupent une place de choix. Ce guide a toujours été traité comme une esquisse économique de notre agriculture. À l’origine, en 1942, lors de la parution de la toute première édition du Guide alimentaire, l’objectif premier était de stimuler notre économie agricole. En pleine période de guerre mondiale, la sécurité alimentaire était une priorité, avec raison. À l’époque, on catégorisait les aliments en six groupes au lieu de quatre. Mis à part l’amalgame des fruits et légumes, et des œufs avec les viandes, il y a eu peu de changements. Avec le temps, on a ajouté quelques illustrations et quatre couleurs pour former un arc-en-ciel, sans plus.

Le nouveau Guide alimentaire sera dévoilé ce printemps, mais une version préliminaire offre un aperçu de sa métamorphose et devrait permettre au Canada de rattraper les autres pays de l’Occident.

Le lait et les produits laitiers ne profiteront plus d’une catégorie distincte et aucune portion ne sera prescrite.

En effet, les produits laitiers représentent l’un des 28 aliments du prochain Guide, s’il faut en croire la nouvelle esquisse. À vrai dire, dans le monde, les agences publiques qui suggèrent à leurs citoyens quatre portions de produits laitiers par jour se font très rares. Depuis quelques années, plusieurs pays ont opté pour une plus grande pluralité alimentaire. Et tout porte à croire que Santé Canada se propose de rejoindre ce groupe, et c’est tant mieux.

Coup dur

Sans que personne s’en aperçoive, la doctrine laitière influence nos choix depuis des années. Mais le prochain Guide alimentaire canadien risque d’offrir au lait la place qui lui revient. Il s’agit peut-être d’un coup difficile à encaisser pour nos producteurs laitiers, mais les changements au Guide alimentaire offriront désormais une fenêtre pluraliste à notre alimentation.

Un guide modernisé démocratisera notre alimentation afin de respecter une demande alimentaire beaucoup plus fragmentée que par le passé. Que ce soit l’immigration, les préférences diététiques qui éclatent, le vieillissement de la population, les inquiétudes environnementales, le bien-être animal, notre train de vie, la lente disparition des trois repas par jour ou la simple curiosité de découvrir autre chose, les Canadiens méritent un guide qui s’inspire de leur quotidien.

Et si vous croyez que le Guide alimentaire a peu d’importance, détrompez-vous. Ce n’est pas pour rien que sa parution a été retardée à plusieurs reprises.

Depuis que Santé Canada a fait connaître ses intentions de le modifier en octobre 2017, l’industrie laitière exprime ses inquiétudes partout sur les tribunes.

Le lait ainsi que les produits laitiers canadiens occuperont toujours une place dans notre alimentation. Mais notre filière laitière devra admettre que le lait, un ingrédient naturel, fait maintenant partie d’un portfolio d’ingrédients qui s’inscrivent dans un registre alimentaire actualisé et plus ouvert sur le monde. 

Matraquer les consommateurs avec des slogans et des publicités à n’en plus finir ne suffit plus. Dorénavant, pour la majorité d’entre nous, le lait constitue un bon choix parmi tant d’autres.

* Sylvain Charlebois est également directeur scientifique de l’Institut des sciences analytiques en agroalimentaire.

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