ARTS VISUELS

Expo-vente des « trésors » de Gilles Carle

Muse et compagne de Gilles Carle pendant 27 ans, Chloé Sainte-Marie a décidé d’exposer et de vendre la plus grande partie des œuvres picturales du cinéaste mort en 2009. Quelque 450 dessins et peintures seront présentés à l’Arsenal à partir de samedi et jusqu’au 13 avril.

Si l’œuvre cinématographique de Gilles Carle a marqué le cinéma québécois, on a peut-être un peu oublié que le réalisateur des Plouffe et de La postière a étudié aux Beaux-Arts et à l’École des arts graphiques de Montréal. Alfred Pellan a même été son professeur.

On n’est donc pas surpris de constater combien il aura été doué avec un crayon, un feutre ou un pinceau à la main. Gilles Carle a dessiné toute sa vie, s’inspirant de ses dessins pour ses scénarios.

L’expo organisée à l’Arsenal comprend plus de 450 œuvres picturales, créées entre 1977 et 2008. Des caricatures (par exemple d’Einstein, de Marie Laberge, de Victor Lévy-Beaulieu ou d’Hubert Reeves), des tableaux, ici le style Picasso, là l’influence de Klee ou de Marcel Barbeau, des portraits de sa muse, Marie-Aline Joyal qu’il renomma Chloé Sainte-Marie, et beaucoup de dessins érotiques.

Protéger son œuvre

Une partie des dessins de Gilles Carle a brûlé lors d’un incendie et l’artiste en a jeté un grand nombre à la poubelle. « Comme tous les artistes qui doutent, indique Chloé Sainte-Marie. Mais j’en ai récupéré beaucoup. Aujourd’hui, mon devoir est de les protéger. »

L’artiste aurait pu faire don de ces œuvres à un musée, mais elle dit ne pas avoir les moyens financiers de le faire. Elle veut poursuivre sa carrière et continuer à se consacrer à la cause des aidants naturels qu’elle défend depuis qu’elle s’est occupée, pendant 17 ans, du cinéaste atteint de la maladie de Parkinson. « Je réalise que j’ai besoin d’un salaire comme tout le monde », dit-elle.

Dans l’absolu, Chloé Sainte-Marie aimerait vendre la totalité des œuvres picturales à un collectionneur ou à une institution. Elle va contacter plusieurs personnes à cette fin. « Ces œuvres sont mon héritage, mais aussi l’héritage des Québécois, dit-elle. C’était le journal intime de Gilles. Il parlait de nous, de moi, tous les jours avec ses dessins. »

« Je l’aimais à la folie, Gilles Carle. Quand tu te lèves et que tu vois un de ses dessins sur ta table de chevet, comment peux-tu quitter un homme comme ça, qui te réinvente une vie ? Je n’étais pas capable de le laisser partir… »

— Chloé Sainte-Marie

On trouvera donc à l’Arsenal des œuvres très inspirées, voire émouvantes, en ce qui a trait aux dernières que Gilles Carle a créées. Elles se vendront entre 1000 et 35 000 $, prix du même ordre que celui des créations acquises dans le passé par Loto-Québec, Hydro-Québec, la Caisse de dépôt et placement du Québec et les caisses populaires Desjardins.

L’expo-vente sera placée sous le parrainage de Daniel Lamarre, président et chef de la direction du Cirque du Soleil, collectionneur et grand ami de Gilles Carle. « Cette exposition permet au public d’avoir accès aux trésors de Gilles Carle, dit M. Lamarre. J’invite les collectionneurs et les amateurs d’art à découvrir les œuvres picturales de ce légendaire cinéaste. »

« En marge du grand art »

L’historien d’art François-Marc Gagnon fait également l’éloge des œuvres de Gilles Carle dans un texte qui accompagne le catalogue d’exposition. « L’absolu manque de prétention de cette immense production est remarquable, dit M. Gagnon. Elle s’est située en marge du grand art et a tenu à y rester, comme si Gilles Carle avait voulu faire à l’envers la démarche de l’art moderne. Non pas s’inspirer du low art pour en faire du high art, mais s’installer à demeure loin du high art. Rester près de la source quand la communication l’emporte encore sur la création. C’est la raison pour laquelle on aura toujours du plaisir à revenir à ses dessins et tableaux. »

Gilles Carle — Partage et héritage, du 31 mars au 13 avril, à l’Arsenal (2020, rue William, Montréal)

Après l’entrevue, Chloé Sainte-Marie a composé un poème, Dans un grand pan de vie antérieure, qu’elle nous a fait parvenir : 

Dans un grand pan de vie antérieure

qui emportait tout dans son expansion

Tout ce que je peux dire aujourd’hui

Durant près de deux décennies,

j’ai mis ma vie hors de moi

pour sortir un être humain de l’enfer

Pour sortir un être humain de l’enfer

où la maladie l’acculait désespérément

Ne me demandez pas ce que j’ai fait

je l’ai trop fait pour le savoir

J’ai été la plus grande quêteuse du Québec

pour garder un homme dans la vie

au-dessus de la ligne de la misère

Lui permettre chaque jour de regarder le dehors

depuis le grand intérieur

où la maladie s’efforçait de l’engloutir

Aujourd’hui dès que je marche

par les rues quelqu’un s’amène

Pour me dire « oui-oui »

et repartir… revenir sur ses pas

pour ajouter un autre « oui »

Et cela me touche

Maintenant je veux marcher dans la forêt

parmi les arbres devisant autour de moi

Je veux chanter et chanter encore

Chanter mon plaisir d’être

qui respire chaque jour

les confidences de l’espace

— Chloé Sainte-Marie

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.