Tables champêtres

Festin à la ferme

Une longue table nappée de blanc, dans un champ fleuri, non loin des potagers, du verger et de la bergerie : voilà une image qui fait rêver bien des citadins. Par chance, les occasions de manger à la ferme se multiplient, au Québec. Certains chefs quittent même la ville pour s’installer près des pâturages.

UN REPORTAGE D'ÈVE DUMAS

Une longue table nappée de blanc, dans un champ fleuri, non loin des potagers, du verger et de la bergerie : voilà une image qui fait rêver bien des citadins. Par chance, les occasions de manger à la ferme se multiplient au Québec. Certains chefs quittent même la ville pour s’installer près des pâturages.

UN REPORTAGE D'ÈVE DUMAS

De la table à la terre

Que ce soit par pur plaisir hédoniste ou par souci de cultiver les mangeurs, l’acte de dresser une table infinie au milieu d’un champ ou un banquet fleuri dans une vieille grange permet de se régaler de nos belles campagnes. Dans le meilleur des cas, on en sort avec des souvenirs gustatifs marquants et une meilleure compréhension du quotidien à la ferme.

« Entre la fête des Mères et la fête des Pères, il faut cueillir tous les jours, parfois même deux fois par jour, car en temps de canicule, l’asperge peut pousser de six bons pouces en quelques heures », raconte Guy-Louis Poncelet, de la ferme La Macédoine. Il s’adresse à un public d’une trentaine de « tripeux » de bouffe de tous âges et horizons.

Nous nous tenons à l’orée d’un de ses grands champs au repos. Les asperges ont donné toute leur énergie vitale, au printemps, puis sont montées en plantes ornementales et touffues, créant un paysage vert à perte de vue. Mais au-delà de la beauté, c’est l’ampleur du travail de la récolte que nous découvrons avec M. Poncelet, maître incontesté de l’asperge depuis 38 ans, à Papineauville, en Outaouais. La ferme, ce n’est pas une sinécure, comme nous l’ont récemment montré la série Les fermiers, sur Unis TV, et le documentaire La ferme et son état, de Marc Séguin.

Le discours de Valérie Bertrand, qui loue des champs à M. Poncelet pour produire de l’ail biologique, est aussi surprenant qu’inspirant. « Le jardinage, c’est un travail très créatif. Les défis changent d’une saison à l’autre et il faut sans cesse trouver de nouvelles solutions pour les relever », nous raconte celle qui, avec son conjoint Pierre-Paul Ricard, perfectionne sa culture de diverses variétés d’ail depuis 10 ans.

Après la visite de la ferme, on invite les participants à s’initier au tressage des petites têtes et de leur feuillage. Certains urbains sceptiques et peu portés sur le « fait main » se découvrent des talents cachés !

Puis arrive la récompense : un repas en six services cuisiné et servi dans la grange par l’équipe du Bistro Rosie, à Montréal. Le chef Jérémy Daniel-Six avait pour mission de mettre en valeur l’ail et la fleurette de l’Écoferme Paprika. Il s’est aussi servi dans la cressonnière de M. Poncelet, puis approvisionné en légumes, en fruits, en fromage et en bœuf chez les voisins.

Des planches en bois de six ou sept pieds couvertes de légumes d’été, cuits et crus, accompagnés d’une variété de « trempettes à l’ail » repensées, une soupe à l’ail, au maïs et au fromage Tête à Papineau, une brochette de bœuf mariné à l’ail sur pain grillé à l’ail, avec aubergines et cresson, puis un flan d’ail façon crème caramel d’une exquise subtilité : c’était une partie du menu de ce mémorable dîner gourmand à la ferme.

Mais qui donc est à l’origine de cette superbe initiative ? vous demandez-vous. C’est l’œuvre de la nutritionniste, auteure et spécialiste en agrotourisme Julie Aubé. En 2016, elle a publié le livre Prenez le champ !. On peut y lire des portraits d’agriculteurs, d’éleveurs et d’autres artisans gourmands, dont les histoires donnent envie d’en savoir, d’en toucher, d’en goûter plus. Ainsi sont nés les événements Prenez le champ !.

« Des fois, je me décris comme une agence de rencontre entre mangeurs et agriculteurs ! lance la lauréate d’un Laurier de la gastronomie, catégorie Tourisme gourmand. L’idée est de retisser des liens entre les consommateurs et ceux qui produisent leur nourriture. Les rencontres créent un attachement. Et plus l’expérience est intéressante, agréable, instructive, plus le souvenir qu’on en aura sera fort. »

« D’en savoir plus sur la réalité des agriculteurs, ça peut nous mener à consommer différemment, à devenir des mangeurs plus responsables et sensibles. »

— Julie Aubé

Autres tablées champêtres

De toute évidence, les Québécois ont un grand appétit pour les repas à la ferme, par les temps qui courent. La Ferme des Quatre-Temps, à Hemmingford, aura été le théâtre de nombreuses grandes tablées champêtres, cet été.

Peut-être avez-vous vu circuler les photos des repas bucoliques du restaurant Manitoba, qui reçoit une dernière fois – à guichets fermés – au royaume de l’agriculture bio-intensive le 16 septembre ? Mais avant, ce sera au tour de l’entreprise américaine Outstanding in the Field de regagner les champs des Quatre-Temps, pour la troisième année de suite. C’est l’équipe d’Adrien Renaud (Labo culinaire de la SAT) qui s’occupera du repas. Encore une fois, les billets se sont envolés à une vitesse folle, malgré les 308 $ par place demandés !

« Les repas à la ferme, ce n’est évidemment pas une invention nouvelle, mais ça fait trois ou quatre ans que ça prend vraiment son envol, au Québec. Cet été, il y en a partout ! », se réjouit Bobby Grégoire, longtemps président de Slow Food Canada, aujourd’hui conseiller international et cofondateur de L’Atelier du goût. Le chef autodidacte organise lui-même un repas préparé sur feu de bois à la ferme Au gré des champs, à Saint-Jean-sur-Richelieu, en septembre.

« Depuis longtemps, on fait la promotion du mouvement “de la ferme à la table”. Aujourd’hui, les gens sont encore plus curieux. Ils veulent connaître la personne derrière les beaux produits, voir un visage, entendre l’histoire. »

Même s’ils se retrouvent souvent à travailler avec les moyens du bord, façon camping, les chefs refusent rarement une occasion d’aller cuisiner directement à la ferme. Les assiettes finissent souvent par être plus simples que celles qu’on nous servirait dans un restaurant… et ce n’est pas plus mal !

L’appel de la terre

Depuis quelques années, on commence même à voir des installations permanentes à la ferme, comme celle des Faux Bergers, à Baie-Saint-Paul, au cœur des pâturages et des vignes de la Maison d’affinage Maurice Dufour (lire notre dossier « Savourer Charlevoix » dans la section Voyage). Pensons aussi à la cantine Pollens & Nectars, table estivale des Miels d’Anicet à Ferme-Neuve, au restaurant La Monnaguette de la maison Cassis Monna et filles, au Panache Mobile du vignoble de Sainte-Pétronille, à l’île d’Orléans. Il y a même une poignée de nouvelles tables champêtres – aux styles souvent plus traditionnels, certes – parmi les 17 établissements reconnus par l’Association de l’agrotourisme et du tourisme gourmand.

Depuis février dernier, dans la campagne de Mirabel, à 40 minutes de Montréal, le jeune chef Vincent Dion-Lavallée reçoit à la Cabane d’à côté, projet associé à la Cabane Au Pied de cochon voisine. Trop peu de gens encore savent que cette table exceptionnelle de 38 places est ouverte toute l’année et évolue au fil des saisons. La version estivale est une ode aux légumes du potager, aux fruits du verger et aux viandes de la forêt et des bâtiments derrière.

Depuis qu’il travaille « sa » terre, entouré d’une équipe petite mais dévouée, Vincent a retrouvé le feu sacré.

« J’ai tellement de fun à cuisiner. Cueillir un concombre ou une tomate et les servir dans l’heure qui suit, ça n’a juste pas de sens comment c’est satisfaisant. La fraîcheur ne ment pas. Et les clients adorent. Ils redécouvrent des aliments pleins de saveur. »

— Vincent Dion-Lavallée

À la Cabane d’à côté comme aux Faux Bergers, on fonctionne sur réservation, avec un menu fixe. Voilà qui évite en plus de gaspiller. Lorsque les cuisiniers passent des heures au champ ou qu’ils s’approvisionnent chez les meilleurs petits producteurs du coin, ils ont encore moins envie de voir les surplus aller au compost. Lorsque les clients se sont assis quelques fois à la table de ceux et celles qui les nourrissent à la sueur de leur front, ils n’ont aucune envie de jeter leurs choux gras !

Campagne gourmande

Si l’idée d’un repas à la ferme vous fait envie, voici quelques occasions à saisir au cours des prochaines semaines… ou l’an prochain.

Bellechasse au menu

On vous a donné le goût de manger au grand air ? Ce soir, le Domaine Bel-Chas accueille La Grande Tablée bellechassoise, une initiative de Vickie Langlois, propriétaire de la roulotte gourmande J’aime Bellechasse. Pour 90 $, on a un repas en quatre services aux parfums de la région. Le billet comprend un verre de vin. Si on en veut plus, il n’y a qu’à s’approvisionner directement au vignoble !

Cidre et fromage

Le 3 septembre, dans le cadre des événements Prenez le champ !, Julie Aubé vous fait découvrir la Cidrerie Le Somnambulle, à Saint-Henri-de-Lévis. La journée comprend une visite du verger et des installations de la cidrerie, un cours d’initiation à la fabrication de cidre maison, un dîner autour des fromages de Cassis et Mélisse et d’autres produits de la région, en accord avec les cidres du domaine. Ceux qui le souhaitent pourront aussi faire l’autocueillette de pommes.

Raclette dans le champ

Depuis quelques années, la fromagerie Au gré des champs, à Saint-Jean-sur-Richelieu, organise une grande raclette en plein air, le week-end de l’Action de grâce. Les billets seront mis en vente plus tard, sur le site web ou la page Facebook de la fromagerie. Mais avant, le 22 septembre, L’Atelier du goût organise un repas en quatre services, cuisiné sur feu de bois, avec les produits de la ferme et de ses environs. Accords avec vins québécois optionnels. Une trentaine de places seront offertes.

Battuto à Neuville

Katy Richard, des Jardins de la Mescla, à Neuville, livre ses beaux légumes à plusieurs des meilleurs restaurants de la ville de Québec. Deux d’entre eux, Battuto et Buvette Scott, iront cuisiner à la ferme le 9 septembre. C’est dire à quel point les restaurateurs, même les plus occupés, aiment sortir de leur cuisine de ville et relever le défi du low-tech ! Ce premier événement est malheureusement complet, mais il y en aura sans doute d’autres.

Des chefs à Sugaree

Suivez les comptes des réseaux sociaux de la ferme Sugaree, lancée il y a trois ans par le chef Nick Hodge et sa femme Nathalie Doucet, gestionnaire, cuisinière et désormais fermière ! Sans cesse sollicité par ses amis et clients du milieu de la restauration, le couple ne tardera pas à organiser des pique-niques ou tablées gourmandes dans les champs de leur superbe propriété agricole de Sutton.

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