Chronique

La science donne raison à Marc Bergevin

« À la fin de la journée, on ne veut pas la victoire, on veut l’attitude. »

C’était une des bonnes répliques du Marc Bergevin interprété par Claude Legault dans le Bye bye. J’ai ri. Les enfants ont ri. Les adultes ont ri. Même mes tantes qui croient que Ken Dryden joue encore ont ri.

Il faut dire que le Québec entier s’est moqué du DG du Canadien quand il a déclaré en avril qu’avec « une autre attitude, on n’aurait pas eu 40 défaites ».

L’attitude ne marque pas 30 buts par saison. L’attitude ne bloque pas de tirs. L’attitude ne termine pas ses mises en échec. L’attitude n’a pas son nom gravé sur un anneau de la Coupe Stanley.

Sauf que Marc Bergevin a raison. L’attitude fait gagner ou perdre des matchs. Vous ne la voyez pas dans un chandail bleu-blanc-rouge à la télé, mais elle existe. C’est la science qui le dit. Il y a même une formule mathématique pour calculer la chimie dans le vestiaire.

OK, ça fait peur. Je sais, il y a des caractères que vous n’aviez pas croisés depuis votre première année de cégep. Ne vous inquiétez pas. Je vous explique tout ça dans quelques paragraphes. Mais d’abord, un peu de contexte.

Ça fait plus de 30 ans que les entraîneurs et les statisticiens sont en désaccord sur l’existence même de la chimie du vestiaire. Les premiers sont croyants. Prenez Sparky Anderson, légendaire entraîneur des Tigers de Detroit. L’anecdote est racontée dans le livre Astroball. En 1982, soir après soir, il inscrivait dans son alignement le nom d’Enos Cabell, un frappeur incapable de toucher une montgolfière avec un bâton. Le gars n’a frappé que 2 circuits en 484 présences. Mais Cabell était un très bon Jack, capable de faire rire le pape pendant la prière. Sparky était convaincu qu’en confiant le premier but à Cabell tous les matchs, il augmentait ses chances de victoire.

Dans l’autre camp, on retrouve les apôtres des statistiques avancées, menés par leur gourou Bill James. À l’époque, James produisait dans son sous-sol du Kansas des pamphlets acidulés dans lesquels il attaquait sans répit les dinosaures du baseball. « Sparky se concentre tellement sur l’attitude que lorsqu’il regarde Enos Cabell, il ne voit même pas que l’homme est incapable de jouer au baseball », se moquait-il.

Bill James comptait déjà des milliers de disciples. Parmi eux, Billy Beane, DG des Athletics d’Oakland, qui a appliqué dans la réalité les théories de son mentor. Avec un certain succès, relaté dans le best-seller Moneyball. Tous ses adversaires ont volé une page de son grimoire. Bientôt, tout le monde dans le baseball – du stagiaire au propriétaire – étudiait les mêmes données. Et les pionniers comme Beane ont perdu leur avantage.

C’est alors que les DG les plus futés se sont lancés dans la quête d’un nouveau Graal : quantifier les intangibles. Nommément, l’attitude d’un joueur.

C’est ici qu’on revient à la formule mathématique qui fait peur, mais qui tend à donner raison à l’affection de Marc Bergevin pour l’attitude. Elle a été développée en 2017 par trois jeunes chercheurs américains. Deux sont économistes, l’autre est professeur. Vous pouvez consulter la démarche ici. Je vous préviens, on est dans la stratosphère des mathématiques.

Traduite en français, l’équation dit ceci : oui, la chimie entre coéquipiers, l’esprit d’équipe, l’attitude, ça existe. On peut même quantifier leur apport. Au bout d’une saison, un environnement sain peut ajouter quelques victoires à une fiche.

Encore plus étonnant : l’esprit d’équipe permet à des formations de constamment mieux performer que la somme de leurs joueurs. Et certains athlètes se retrouvent presque toujours au sein de ces équipes surperformantes.

C’est notamment le cas de David Ross, ancien receveur substitut qui présente une moyenne à vie de ,229. Un peu l’Enos Cabell des années 2000 et 2010. Réputé pour son leadership, Ross a aidé les Cubs de Chicago à gagner leur première Série mondiale en 108 ans, en 2016.

« Des joueurs comme David Ross sont des diamants bruts, écrivent les auteurs. Tout indique que leur impact total sur la performance d’une équipe passera sous le radar si on ne tient compte que des données traditionnelles. »

Et d’ajouter : 

« L’identification de joueurs comme David Ross représente une source potentielle d’avantage compétitif pour les équipes. »

— Scott A. Brave et coll., In Search of David Ross

Intéressant. Imaginez si le Canadien mettait la main sur la formule secrète permettant d’identifier ces joueurs dans la LNH.

Mais comme souvent, le baseball reste en avance sur le hockey. Au premier rang de la parade, on retrouve notamment trois récents champions de la Série mondiale : les Giants de San Francisco (2014), les Cubs de Chicago (2016) et les Astros de Houston (2017).

Les Giants ont permis à des chercheurs de Berkeley d’installer de petites caméras dans l’abri d’une de leurs filiales. Toutes les interactions entre les joueurs, toutes les expressions faciales ont été captées. Les Giants espèrent que les universitaires trouveront un dénominateur commun leur permettant de mieux cibler ce qu’est une attitude payante.

Dans le fascinant essai The Cubs Way, le journaliste Tom Verducci expose de grands pans de la stratégie des Cubs. L’équipe a produit un manuel de 259 pages dans lequel est définie l’attitude recherchée chez un joueur. « L’attitude des Cubs est positive, puissante, orientée vers l’action et résiliente. C’est une attitude qui dit : “Je suis”, et “Je fais” (I Am, and I Do). C’est une attitude qui dit : “Peu importe ce qui se passe, je vais continuer à progresser, et je vais toujours trouver une solution.” »

Les Astros, qui sont peuplés de fidèles de Bill James, ont développé eux-mêmes un indice chiffré, le STOUT, qui leur permet de combiner les statistiques et les remarques des dépisteurs sur l’attitude d’un joueur. « La chimie [entre les joueurs] est absolument critique. Mais très peu d’équipes, d’entraîneurs ou de directeurs généraux savent comment la créer, ou même ont une idée pour savoir comment la créer », a indiqué au Wall Street Journal le DG des Astros, Jeff Lunhow.

Bref, on peut se moquer de l’expression « ce joueur est bon dans le vestiaire ». Mais l’attitude est en effet importante dans le calcul des variables tangibles et intangibles qui donnent des équipes victorieuses.

La science donne raison à Marc Bergevin. L’attitude compte. Vraiment. Et si le Canadien se qualifie pour les séries, ça pourrait un peu être à cause du sourire de Jesperi Kotkaniemi.

SUGGESTIONS DE LECTURES SUR LE MÊME SUJET

–  Astroball, de Ben Reiter (éditions Crown Archetype) –  The Cubs Way, de Tom Verducci (Three Rivers Press) –  Moneyball, de Michael Lewis (W.W. Norton) –  Soccernomics, de Simon Kuper et Stefan Szymanski (Nation Books)

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