« Le sort de ces gens est entre les mains du gouvernement »
Quand il a appris que le gouvernement turc l’accusait de terrorisme, un crime passible d’une sentence d’emprisonnement à vie, le journaliste Ilhan Tanir avait un avantage : il était hors du pays.
« Je savais qu’ils ne pouvaient pas m’atteindre », dit-il.
Pour 17 de ses ex-collègues du quotidien Cumhuriyet, toutefois, les accusations ont fait basculer leur vie. Trois d’entre eux ont passé plus de 400 jours derrière les barreaux. Suivi par les organisations internationales vouées à la liberté de la presse, leur procès doit reprendre aujourd’hui à Istanbul.
« Le sort de ces gens est entre les mains du gouvernement, pas du système judiciaire, explique M. Tanir depuis Washington, où il réside. Il n’y a plus de séparation des pouvoirs en Turquie. Le gouvernement contrôle tout. »
Hier, un tribunal turc a condamné 25 journalistes à des peines allant jusqu’à sept ans et demi de prison à l’issue de l’un des nombreux procès liés à la tentative de coup d’État de juillet 2016, a rapporté l’AFP.
Les espoirs s’étaient déjà assombris, le mois dernier, quand les frères Ahmet et Mehmet Altan avaient été condamnés à la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. Les deux intellectuels – l’un est journaliste, l’autre, professeur d’économie – étaient accusés d’avoir utilisé des « messages subliminaux » lors d’un passage à la télé afin de motiver les révolutionnaires dans la foulée du coup d’État raté du 15 juillet 2016, mené par une faction des Forces armées turques, qui avait fait près de 300 morts.
Des accusations « complètement absurdes », note Geneviève Paul, directrice générale par intérim d’Amnistie internationale Canada francophone.
« Les frères Altan sont très connus en Turquie. Ça crée un précédent inquiétant pour les autres intellectuels, journalistes et défenseurs des droits de la personne qui vont être jugés pour des accusations de terrorisme qui sont aussi sans fondement. »
— Geneviève Paul
L’Assemblée nationale du Québec a adopté l’an dernier à l’unanimité une motion dénonçant les arrestations de citoyens, de journalistes et d’élus du Parti démocratique des peuples en Turquie.
« Nous travaillons pour que la Chambre des communes fasse la même chose à Ottawa », dit Mme Paul. On voit que la dégradation de la liberté d’expression en Turquie n’arrête pas, alors nous continuons à faire pression. La Turquie est la plus grande prison de journalistes au monde. »
Raids policiers
Depuis le coup d’État raté, le gouvernement Erdoğan a fait fermer des centaines de sites d’informations et de journaux, dit M. Tanir.
La tactique a fonctionné : aujourd’hui, les journalistes turcs ont essentiellement cessé tout travail d’enquête sur la corruption des élus et des membres du gouvernement. Les rares journalistes qui continuent à critiquer le gouvernement « doivent s’attendre à voir les policiers débarquer chez eux à quatre heures du matin pour fouiller leur maison et les arrêter, dit-il. En Turquie, les journalistes sont des proies ».
M. Tanir travaille aujourd’hui pour l’organe de presse Ahval. Il continue de commenter l’actualité turque, notamment sur Twitter, où il compte plus de 133 000 abonnés.
Il note qu’environ 145 journalistes et autres travailleurs de l’information sont actuellement emprisonnés en attente de leur procès en Turquie. Le simple fait de garder des gens en prison aussi longtemps – souvent avant qu’ils ne soient accusés – est une aberration, dit-il.
« Des gens ont passé près d’un an en prison avant même d’être amenés devant un juge. Personne ne prétend que les journalistes sont au-dessus des lois. Mais en étant en prison aussi longtemps, ces gens sont déjà punis avant même d’être reconnus coupables ou non coupables. C’est comme ça que le gouvernement turc fonctionne. »