Biz

Orphelin politique

L’auteur et rappeur Biz publie ces jours-ci son sixième roman, Cadillac (Leméac), ainsi qu’un premier livre jeunesse, C’est Flavie (Duchesne et du Rêve), écrit en collaboration avec sa fille Alice Fréchette Alepin. Discussion postélectorale avec un indépendantiste pur et dur, orphelin de parti.

Il y a quelque chose de profondément politique dans ton nouveau roman. Tu évoques la disparition du français dans des régions des États-Unis où il y a jadis eu une présence française. Ton personnage principal habite le West Island et a des collègues qui parlent le franglais. Tu parles de la menace de l’assimilation…

À partir de la Conquête, la menace de la disparition du français en Amérique est avérée. Elle existe. Il y a eu des avancées, après la loi 101. Ça a changé bien des choses. Tu as beaucoup réfléchi à cette question. Je pense qu’il n’y a aucun des enfants de la loi 101, y compris Sugar Sammy, qui regrette d’avoir appris le français.

Sans la loi 101, on n’en serait pas là…

Comme tu l’as écrit, ça a pris ça pour que le français existe encore et qu’on entende dans toutes les cours d’école de Montréal des gens de toutes sortes de couleurs de peau qui parlent avec l’accent québécois. C’est une grande réussite. Une grande réussite qui a paradoxalement peut-être nui à l’indépendance… Quand je suis avec des amis et qu’on prend une bière, des fois, je pose la question : « Aimes-tu mieux un Québec francophone province ou un Québec anglophone pays ? » À ce jour, je n’ai pas encore répondu à ça. Les deux ont des inconvénients.

Je t’ai entendu dire que tu avais été un orphelin politique pendant cette campagne électorale. Il y a un paradoxe là, dans la mesure où il y avait deux partis indépendantistes et un autre, la CAQ, dirigé par un ancien ministre péquiste.

C’est la première fois de ma vie que j’annule mon vote, que je vote blanc. Que clairement, je signifie mon refus de participer au théâtre démocratique. Parce que la question de l’indépendance a été absolument évacuée. Moi, un Québec province qui me parle d’épicerie et de lunchs, ça ne m’intéresse pas. Rappelez-moi quand il y aura quelque chose dans l’air. Pendant des années avec Loco Locass, j’ai dit aux jeunes d’aller voter. Ma position n’est pas complètement assumée. Je n’en suis pas fier. Mais je n’étais plus capable de voter pour le moins pire. Que les députés du Québec prêtent allégeance à la reine d’Angleterre, ça mine le processus démocratique. Que le président de l’Assemblée nationale ait une couronne et un crucifix au-dessus de sa tête, pour moi, ça ne peut pas fonctionner.

Jean-François Lisée n’a pas parlé d’indépendance pour des raisons stratégiques. Mais est-ce que ç’aurait vraiment été pire pour le PQ s’il l’avait fait ?

C’est une hostie de bonne question ! Rendu là, je pense que ça ne peut pas être pire. C’est l’article 1 de ton programme. Les jeunes ne sont plus là ! Je me promène dans les écoles secondaires depuis 20 ans. Au début, sur 300 ou 400 jeunes que je rencontrais, il y en avait un qui se levait pendant la période de questions pour dire : « L’indépendance, je ne suis pas sûr que c’est une bonne idée. » Et il se faisait huer. Maintenant, la proportion est complètement inversée. Il y en a un qui ose dire que l’indépendance, il y croit encore. Au mieux, il se fait regarder de travers. Pourtant, quand tu parles aux jeunes, ce qui les intéresse, c’est l’environnement. Ils ne sont pas farouchement fédéralistes. Ils veulent qu’on les fasse rêver. Comment ça se fait que le projet d’indépendance n’y arrive plus ? Un Québec indépendant serait, par la force des choses, plus environnementaliste qu’un Canada qui nationalise des pipelines.

Plusieurs de ces jeunes-là ont quand même été enthousiasmés par le projet de Québec solidaire, non ?

Tu l’as vu comme moi, notamment avec Catherine Dorion et Sol Zanetti à Québec. Exactement cette mouvance-là, souverainiste et environnementaliste. Mon problème, c’est que mon pays à moi, il englobe tout le monde, de Jeff Fillion à Jaggi Singh.

Québec solidaire est trop à gauche pour toi ?

Il y a quelque chose que je n’aime pas chez QS, c’est sa prétention à la vertu. Si tu n’es pas d’accord avec eux, tu es avec le mal. Je suis de centre gauche. Naturellement, un Québec indépendant penchera à gauche, comparé au reste de l’Amérique du Nord. Mais n’importe qui en faveur de l’indépendance est dans mon équipe.

Moi, je me considère d’abord comme de gauche, avant d’être indépendantiste. Est-ce que tu es à l’aise avec l’étiquette de péquiste ?

Je suis indépendantiste. Le PQ, c’est une coalition. Dès qu’il se repositionne à gauche, il perd des votes face à la CAQ. Et dès qu’il se replace un peu à droite, il se fait gruger par QS. Ça va être très difficile…

Qu’est-ce que le PQ doit faire, à ton avis ? On voit venir de loin les stratèges de droite qui disent que les élections ont surtout été perdues parce que le PQ courtisait l’électorat de gauche de QS…

Québec solidaire incarne ce que le Parti québécois était au début. Je vais être derrière n’importe quel parti ou n’importe quel mouvement qui va promouvoir l’idée de l’indépendance.

Ce n’est pas devenu une idée romantique ? On parle aux jeunes d’indépendance et on a l’impression d’être déphasé, accroché à nos idées du passé.

Je pense par exemple qu’un livre comme Cadillac peut redonner le goût du Québec aux Québécois, avec des figures historiques plus grandes que nature comme l’étaient Cadillac, Radisson, D’Iberville, etc. Notre passé est riche. Le PQ aurait pu miser là-dessus. Son amour et sa fierté du Québec. Couillard, ce n’était pas clair qu’il aimait les Québécois. Il parlait de toutes les minorités – et c’est important, le droit des minorités –, mais il était le chef de la minorité francophone d’Amérique et il ne s’en occupait jamais. Il a intégré le discours canadien-anglais qui considère les francophones québécois comme une majorité. Quand on sera souverains, ce sera le cas.

Tu ne trouves pas que le discours indépendantiste est devenu ringard ?

Justin Trudeau a été extrêmement habile au niveau de l’image. Il a vendu le Canada comme étant cool. J’ai vu un tweet de Cœur de pirate qui ne se pouvait plus d’avoir rencontré Trudeau. Clairement, on n’appartient pas à la même génération ! Tu peux faire des selfies si tu veux, si la fin justifie les moyens. Mais Justin Trudeau, l’ami des Amérindiens ? Mon cul ! Il fait juste pleurer en Chambre. J’ai des amis autochtones qui sont extrêmement déçus. Ils voulaient y croire une dernière fois, mais c’est l’homme blanc à la langue fourchue, encore une fois. Et c’est la même chose pour l’environnement.

Je te talonne encore un peu à propos du PQ… Je comprends que c’est une coalition, mais on est loin de l’idéal social-démocrate de Lévesque quand on prône le virage identitaire. D’être à contre-courant de l’ouverture à l’autre, de donner l’impression qu’on est fermé, ce n’est certainement pas la meilleure façon de convaincre les jeunes du bien-fondé de son mouvement.

Le PQ venait de se sortir des effets de « l’argent et du vote ethnique » et s’est rembarqué, sur la simple foi de sondages, avec la charte des valeurs, une charte de la laïcité qui n’avait rien à voir avec les « valeurs québécoises ». D’arrimer ça à l’inconscient du Québec était une grave erreur tactique et stratégique. Je tiens responsable l’état-major de Pauline Marois pour ça. Ils auraient dû faire Bouchard-Taylor avec la CAQ. Ce serait déjà réglé et on n’en parlerait plus aujourd’hui. On en a encore pour 15 ans au PQ à traîner l’échec de la charte.

Le PQ est à la croisée des chemins. Il peut aller à gauche avec Véronique Hivon, ou à droite avec Pierre Karl Péladeau, que tu connais bien…

Oui… C’est compliqué. Tu demandes à un parti d’évoluer dans deux dimensions simultanément. Bernard Landry l’a dit souvent : « L’indépendance, c’est ni à gauche ni à droite, c’est en avant. » Il faut que tu puisses parler en même temps aux Beaucerons, qui sont des entrepreneurs, et aux gens de gauche. Si on arrive à rattacher l’indépendance aux préoccupations des jeunes, je ne vois pas pourquoi ils n’embarqueraient pas. Mais ce ne sera pas moi qui vais les convaincre ! Je sais très bien que ma face et ma voix sont usées. Les jeunes ne me connaissent pas et les autres sont tannés de m’entendre ! [Rires]

J’ai peur qu’en désespoir de cause, pour créer des « conditions gagnantes », les nationalistes ne créent de toutes pièces des conflits avec le fédéral sur le dos des populations immigrantes. La CAQ revient avec un Bouchard-Taylor « plus », qui n’est pas le consensus d’il y a 10 ans, et le conflit qui s’annonce avec Ottawa avec un éventuel recours à la disposition de dérogation se fera au détriment de gens issus des minorités.

La politique du pire, je ne crois pas à ça. Je reviens à mon roman : quand on connaît son histoire, on marche la tête plus haute. Et quand on a la tête haute, on est plus accueillants que lorsqu’on se regarde les bottines. On a confiance et les gens qui nous rejoignent savent qui ils rejoignent. Moi, si j’étais dans un ministère de la Citoyenneté québécoise, je donnerais une ceinture fléchée à tous les nouveaux arrivants. C’est un symbole de métissage extraordinaire, multifonctionnel. J’ai un ami haïtien qui se l’est mis en turban quand on était à Winnipeg. Tu peux cintrer ton boubou, tu peux même te le mettre en niqab, hostie ! Bienvenue au Québec. Il fait frette en hiver !

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