Régime de retraite

La nouvelle vague des régimes de retraite

Les travailleurs rêvent d’une rente de retraite. Mais les employeurs ne veulent plus faire ce genre de promesses. Pour réconcilier les parties, Québec planche sur la réglementation de nouveaux types de régimes de retraite qui ménagent la chèvre et le chou. Coup d’œil sur ces régimes hybrides.

UN DOSSIER DE STÉPHANIE GRAMMOND

Chronique
La retraite, la chèvre et le chou

Vous rêvez d’une rente à la fin de votre carrière, mais votre employeur refuse de vous faire ce genre de promesse ? Chers travailleurs, il y a de l’espoir ! Depuis quelques années, de nouveaux types de régimes de retraite qui ménagent la chèvre et le chou ont vu le jour.

Pour l’employeur, finies les mauvaises surprises, car les coûts sont fixes. Si les marchés financiers tournent au vinaigre, les rentes sont réduites en conséquence, à moins que les travailleurs ne cotisent davantage.

En 2016, RioTinto Alcan a fait mentir ceux qui croyaient que ces régimes hybrides finiraient au cimetière des bonnes idées. L’entreprise a mis en place un régime de retraite par financement salarial (RRFS), faisant la preuve qu’une multinationale peut adopter cette formule québécoise qui était jusqu’ici surtout associée à la FTQ.

Parallèlement, les régimes de retraite à prestations cibles (PC) font aussi leur chemin. Certaines provinces, comme le Nouveau-Brunswick, l’Alberta et la Colombie-Britannique, autorisent déjà cette formule. Québec pourrait bientôt embarquer dans le train, comme le souhaitent la CSN et certaines entreprises*.

« Retraite Québec travaille actuellement à l’élaboration d’un cadre pour l’établissement de régimes de retraite à prestations cibles », confirme son porte-parole Frédéric Lizotte. Dans les coulisses, on espère que les premiers régimes cibles verront le jour d’ici le 1er janvier 2020 et qu’ils s’inspireront de ceux lancés dans le secteur des pâtes et papiers, en 2012, en vertu d’une loi spéciale.

De son côté, Ottawa a déposé en 2016 un projet de loi pour ouvrir la voie aux régimes PC dans les sociétés fédérales. Mais les syndicats s’y sont vivement opposés, car le projet permettait aux entreprises de réduire rétroactivement les promesses de rentes des années passées.

Québec devra absolument éviter cet écueil s’il désire que les régimes cibles aillent de l’avant.

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Ces démarches s’inscrivent au cœur du débat sur les « clauses orphelines ».

Depuis la crise du crédit en 2008, beaucoup d’entreprises ont mis en place un régime à cotisations déterminées (CD), moins généreux pour les nouveaux employés, tandis que les anciens employés ont pu conserver leur régime à prestations déterminées (PD) avec une rente garantie à 100 % par le patron.

Cela est tout à fait inéquitable sur le plan intergénérationnel. Rien ne justifie que deux employés aient des régimes de retraite différents pour les années futures. C’est de la discrimination pure.

Après son arrivée au pouvoir, la Coalition avenir Québec (CAQ) a déposé une motion visant à faire disparaître les régimes à deux vitesses, y compris ceux qui existent déjà. Cela touche 97 régimes, soit 14,5 % de l’ensemble des régimes de retraite PD du Québec, qui couvrent plus de 39 000 travailleurs.

Si la motion de la CAQ se transforme en loi, les futurs régimes à prestations cibles ou les RRFS apparaîtraient comme une solution mitoyenne pour ramener tout l’effectif d’une entreprise au même niveau.

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Il faut éviter à tout prix un nivellement par le bas, où l’ensemble des employés tomberait dans un régime CD. Ce type de régime où chacun gère sa petite affaire à sa guise est manifestement moins avantageux que les nouveaux régimes hybrides où les participants bénéficient des immenses avantages de la mise en commun de l’argent et des risques.

Grâce à la taille de ces régimes, leurs frais de gestion sont plus bas et ils peuvent investir dans des catégories d’actifs difficilement accessibles aux investisseurs individuels. Tout cela se traduit par des rendements supérieurs.

En outre, les régimes hybrides sont beaucoup plus efficaces pour gérer ce qu’on appelle le « risque de longévité », car ils versent les rentes en se fondant sur l’espérance de vie du groupe, alors que l’épargnant tout seul dans son coin doit économiser beaucoup plus d’argent, s’il veut être certain de ne pas mourir sans le sou.

Bref, pour les employés, les nouveaux régimes hybrides ont les avantages d’un régime à prestations déterminées. Mais pour les employeurs, ils ont les attraits d’un régime à cotisations déterminées. « La totalité de la responsabilité de l’employeur est limitée aux cotisations », indique Pierre Bergeron, associé chez PBI Actuaires et conseillers.

En cas de déficit, ce n’est jamais le patron qui écope. Bien sûr, le risque se retrouve sur les épaules des participants. Mais au moins, ils peuvent le mesurer et s’y ajuster constamment, tandis qu’avec les bons vieux régimes PD, censés être blindés, le risque peut exploser d’un coup sec au visage des gens qui ne se méfient pas. Parlez-en aux retraités de Nortel Networks ou de Sears Canada dont la rente a été sévèrement réduite à cause de la faillite de leur employeur.

Rendu là, trop tard pour se refaire.

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Bref, les nouveaux régimes hybrides sont une formule d’avenir idéale. Il y a deux semaines, la sommité canadienne Robert Brown a justement recommandé qu’ils deviennent le nouveau « terrain d’entente » dans le monde des régimes de retraite.

Il reste à voir lequel du RRFS ou du régime cible aura le haut du pavé. Chacun a ses avantages. Le PC est plus flexible. Le RRFS est plus blindé, car il impose un plus gros coussin de sécurité. Mais cela a un prix. 

« Pour le même montant de rente, on demande des cotisations plus élevées dans le RRFS. Les cotisations seront de l’ordre de 16 %-17 % du salaire, par rapport à environ 11-12 % avec un régime à prestations cibles », évalue Michel St-Germain, associé chez Mercer.

Cela dit, les deux régimes sont assez semblables en ce qui a trait à leur efficacité pour accumuler l’argent et le redistribuer aux retraités. La plus grande différence est que le RRFS est poussé par la FTQ et le régime à prestations cibles par la CSN. Cette petite guerre de clochers fait en sorte qu’on se retrouve avec deux régimes plutôt qu’un seul, ce qui ajoute une couche de complexité dans notre système de retraite qui en a déjà bien assez.

* La Presse a déjà convenu de migrer vers un tel régime s’il est adopté.

Petit lexique de la retraite

Prestations déterminées (PD)

Avec un régime à prestations déterminées, l’employé sait que ses cotisations et celles de son employeur lui permettront d’obtenir une rente garantie à vie. Cette rente est souvent calculée à partir du nombre d’années de service et du salaire final de l’employé (ex. : 2 % par année durant 35 ans = 70 % du salaire final). Si le régime est en déficit, l’employeur doit faire des cotisations excédentaires pour assurer le paiement des rentes.

Cotisations déterminées (CD)

Dans un régime à cotisations déterminées, l’employeur et l’employé cotisent un certain pourcentage du salaire chaque année. L’employé est responsable des décisions de placement, avec les risques que cela comporte. Puis, à la retraite, il doit se débrouiller tout seul avec la petite cagnotte qu’il a accumulée, ce qui est très insécurisant.

REER collectif

Dans le régime enregistré d’épargne-retraite (REER) collectif, l’employeur met en place un système de prélèvement à la source qui permet aux employés de cotiser dans des fonds communs de placement de leur choix en bénéficiant parfois d’une réduction sur les frais de gestion. Dans certains cas, l’employeur ajoute une cotisation à celle de l’employé.

Financement salarial (RRFS)

Avec le régime de retraite par financement salarial, les cotisations de l’employeur et de l’employé servent à verser une rente de retraite dont le versement n’est pas garanti par le patron. Mais le RRFS est doté d’un coussin de sécurité très important, car les cotisations sont établies en calculant la pleine indexation des rentes, même si cette indexation reste conditionnelle à la bonne performance du régime. Pour que la rente de base soit en danger, il faudrait vraiment une catastrophe. Et alors, ce serait les participants actifs qui compenseraient.

Prestations cibles (PC)

Dans le régime à prestations cibles, auquel l’employé et l’employeur cotisent, la rente n’est pas coulée dans le béton. Il s’agit d’une cible qui varie, à la hausse ou à la baisse, en fonction de l’expérience du régime. L’indexation n’est pas obligatoire, quoiqu’on puisse la prévoir, car le régime cible est plus flexible. En guise de coussin, on doit conserver une réserve qui est d’au moins 15 %. Le risque que la rente diminue est plus important qu’avec un RRSF, surtout parce que les participants actifs ne seront jamais appelés à cotiser davantage pour aider les retraités.

Régime par financement salarial
Une idée folle qui a fait des miracles

Une idée folle

Michel Lizée est un apôtre des régimes de retraite. Il a fait de petits miracles en créant à partir de zéro un régime de retraite pour le milieu communautaire, voilà plus de 10 ans.

« Franchement, c’était une idée folle ! », lance M. Lizée. Mais il ne pouvait accepter que des gens – à 86 % des femmes avec un salaire de 36 000 $ en moyenne – se retrouvent dans la pauvreté à la retraite après avoir passé toute leur vie à défendre les autres.

C’est ainsi qu’a germé l’idée du Régime de retraite des groupes communautaires et de femmes (RRGCF), qui renferme aujourd’hui 69 millions d’actifs, pour 7600 participants qui n’avaient droit à aucune espèce de régime de retraite auparavant.

La création du RRFS

Alors responsable du service aux collectivités de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), M. Lizée a formé un comité de 15 personnes du milieu communautaire pour réfléchir au concept. « Elles me posaient des questions. Je leur fournissais l’information. Elles ont dessiné leur régime », raconte l’expert, qui participait en même temps aux réflexions avec la FTQ visant la création d’un autre régime de retraite par financement salarial (RRFS) qui compte aujourd’hui 12 600 participants et 188 millions d’actifs.

Les deux premiers RRFS ont vu le jour en 2008… en pleine crise du crédit. « J’avais mal au ventre, avoue M. Lizée. Mais en fait, c’était impossible d’avoir un meilleur timing. »

Financement salarial 101

Dans un RRFS, les cotisations sont établies en tenant compte de la pleine indexation de la rente dont le paiement reste conditionnel à la performance du régime. Comme l’indexation représente 50 % de la facture, le régime doit être capitalisé à 150 %, ce qui donne une grande marge de sécurité. « Si nous, on a des problèmes, je ne veux pas regarder le cimetière qu’il y aura autour ! », ironise M. Lizée.

Si la capitalisation baissait au-dessous de 100 %, les participants actifs devraient cotiser davantage pour assurer le paiement de la rente de base des retraités. Mais le RRGCF est loin d’un pareil scénario. Depuis son lancement, le taux de capitalisation a oscillé entre 170 % et 200 %. Jusqu’ici, les rentes ont toujours été indexées.

Plus de 730 groupes au Québec

Désormais, 734 groupes communautaires au Québec adhèrent au RRGCF. Les patrons y trouvent leur compte. « J’ai poussé pour qu’il y ait un régime de retraite. Pour moi, c’était important », insiste Lise Campeau, directrice générale de La Maison du Goéland, organisme communautaire en santé mentale qui compte une douzaine d’employés.

« C’est important d’avoir des avantages sociaux, enchaîne-t-elle. Un intervenant qui est sécurisé n’a pas à avoir de souci. Il est beaucoup plus libre, plus dégagé, pour soutenir les autres. Ça fait un meilleur intervenant. »

Cotisations et extras

Malgré son jeune âge, le RRGCF verse déjà des rentes à plus de 130 retraités, dont Pauline Cournoyer, retraitée du groupe communautaire montréalais Relais-Femmes. Elle reçoit 315 $ par mois, après impôts. « Ce n’est quand même pas beaucoup. Mais ça aide à payer les dépenses courantes », se réjouit-elle. En vieillissant, elle réalisait qu’elle n’avait aucun régime de retraite. « Je voyais l’avenir très sombre », raconte la dame, qui s’est rattrapée lorsqu’elle a eu accès au RRGCF.

En effet, le régime permet de racheter des années de service, de faire des cotisations volontaires et même de transférer des économies du Fonds de solidarité FTQ. Ces outils permettent de bonifier la rente et de compenser le taux de cotisation assez faible : 3 % pour l’employeur et 2,3 % pour l’employé en moyenne. Une part considérable (16 %) de l’actif du régime provient de contributions personnelles, un beau signe de confiance. 

Rendements à la hauteur

Il faut dire qu’avec le RRGCF, les participants ont accès à un régime sophistiqué et sur mesure qui leur donne accès à des catégories d’actifs comme l’immobilier, normalement réservé aux investisseurs institutionnels, et qui leur permet de faire des choix de placements correspondant à leurs valeurs (par exemple : pas de partenariat public-privé, plus d’environnement). Tout cela serait impossible pour un individu gérant son REER seul.

La performance a été à la hauteur. Depuis le lancement du régime, le rendement annualisé brut s’élève à 8,6 %, soit une valeur ajoutée de 0,8 % par rapport à l’indice de référence qui a livré un rendement de 7,8 % au cours de la même période terminée le 31 décembre 2018. 

Frais et formation

Les frais demeurent cependant trop élevés, à 2 % par année, même s’ils sont appelés à diminuer grâce à la progression rapide des actifs.

Ce n’est pas la gestion qui coûte cher. Les frais ne sont que de 0,5 % par année, car la caisse est amalgamée avec 11 autres caisses de retraite dans une fiducie globale qui contient près d’un demi-milliard. Mais les frais actuariels et administratifs font grimper la facture. Le secrétariat compte quatre employés, dont une personne qui se consacre à la formation. « Il y a un manque effarant de littératie financière, on veut améliorer les connaissances de nos membres », explique M. Lizée.

Régime à prestations cibles
« Un très bon coup » chez Résolu

Opération sauvetage

En 2012, l’industrie des pâtes et papiers est en déroute. Produits forestiers Résolu se place sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers, une très mauvaise nouvelle pour les travailleurs et les retraités dont le régime de retraite à prestations déterminées accuse un lourd déficit.

« Au début, ce qui était le plus préoccupant, c’était de sauver l’ancien régime. Sinon, tous les retraités auraient perdu », rappelle Jean-Pierre Lebel, président du syndicat national des travailleurs et travailleuses des pâtes et papiers d’Alma, qui regroupe environ 300 travailleurs de l’usine de Résolu à Alma. 

L’imminence de la potence

« On cherchait une façon de s’en sortir. Si on ne réglait pas la question du régime de retraite, la compagnie ne serait pas passée à travers. Les employés avaient déjà fait des concessions importantes sur le salaire. Si en plus on les avait envoyés vers un régime à cotisations déterminées, ça aurait été dur à avaler », raconte Nathalie Joncas, actuaire à la CSN.

En quête d’une solution, elle a jeté un coup d’œil sur les régimes à prestations cibles qui existaient en Colombie-Britannique. « L’imminence de la potence accélère la réflexion », dit à la blague l’actuaire en reprenant une phrase fétiche de l’ancienne présidente de la centrale syndicale.

Un bon compromis

« Dans un régime à prestations cibles, l’employeur et les employés versent des cotisations annuelles qui sont négociées et fixées à l’avance », explique Claude Lockhead, actuaire chez Aon.

On détermine ensuite une cible de rentes qui peut toutefois varier au fil des ans. Les rentes peuvent être réduites si les rendements ne sont pas au rendez-vous, car l’employeur n’a jamais à renflouer la caisse. Mais elles peuvent aussi être bonifiées quand il y a des surplus qui appartiennent toujours aux participants.

« C’est un très, très bon compromis, même si le “best” aurait été de garder l’ancien régime », estime M. Lebel. 

Une loi spéciale

Cet arrangement obtient le feu vert de Québec, qui adopte une loi spéciale ouvrant la porte aux régimes à prestations cibles dans le secteur des pâtes et papiers. Résolu accepte de renflouer ses anciens régimes (les retraités de Papiers White Birch n’auront pas la même chance) et lance deux régimes cibles qui couvrent environ 1500 travailleurs de deux syndicats (CSN et Unifor).

La loi prévoit notamment que les régimes cibles conservent une marge d’au moins 15 % de leurs actifs. Mais chez Résolu, ce coussin est de 20 % pour offrir davantage de sécurité.

Rentes payées, cotisations relevées

Depuis ce temps, le régime de retraite de Résolu est en santé. Jusqu’ici, les rendements ont été suffisants pour verser les rentes cibles en entier. « Tous ceux qui ont pris leur retraite depuis huit ans reçoivent une rente du nouveau régime, se réjouit M. Lebel. C’est bien ! »

Par contre, les cotisations ont dû être relevées pour refléter la hausse du coût de financement des rentes futures. Ce coût est plus élevé que dans le passé en raison de facteurs démographiques (par exemple : la hausse de l’âge moyen du groupe).

La cotisation des employés est donc passée de 7,5 % au départ à 8,5 %. Celle de l’employeur, qui est de 9,5 %, devrait augmenter de 100 points (1 %) bientôt. 

Moins d’enthousiasme chez les jeunes

« Le régime de retraite à prestations cibles, ç’a été un très bon coup pour nous », affirme M. Lebel, même s’il ne sent pas autant l’enthousiasme des jeunes employés. « On dirait qu’ils sont juste de passage. Ils croient moins au régime de retraite. Ils voient ça comme une dépense sur leur paie », constate-t-il.

« Les mentalités ont beaucoup changé. Moi, ça fait 38 ans que je suis à l’usine. Quand j’ai été engagé, c’était comme si j’avais gagné le gros lot. J’avais un bon salaire et des avantages sociaux, dit-il. Le régime de retraite, c’était très important. »

Petits conseils

Que retenir de l’expérience de Résolu ?

« Il faut prévoir assez d’argent au départ pour avoir un bon coussin dans le régime. C’est plus facile de faire avaler ça au départ que d’être obligé d’en redemander par la suite », estime M. Lebel.

« Il ne faut pas négliger la communication avec les participants, surtout ceux qui bénéficiaient auparavant d’un régime à prestations déterminées qui leur donnait un sentiment de sécurité. Dans un régime cible, la rente n’est pas garantie. Il faut gérer les attentes », prévient M. Lockhead.

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