Scandale Facebook

la pointe de l’iceberg

Jusqu’à 87 millions d’utilisateurs de Facebook, dont 622 161 Canadiens, pourraient avoir été touchés par le vol de données personnelles de la firme Cambridge Analytica, a admis hier la direction du réseau social. L’entreprise de Mark Zuckerberg a avoué du même souffle en avoir pour des années avant de corriger ses erreurs du passé.

Scandale Facebook

« Il faut réévaluer notre relation avec les gens » 

Ce ne sont plus 50, mais bien jusqu’à 87 millions d’utilisateurs de Facebook dont les données auraient été obtenues de façon illégitime par Cambridge Analytica, a admis hier la direction du réseau social. Pire, de façon générale, la plupart de ses 2 milliards d’utilisateurs doivent s’attendre à ce que leurs informations publiques soient entre les mains d’organisations diverses.

Tout le monde y passe

Jusqu’à hier, il n’était même pas nécessaire pour une organisation d’avoir un accès direct à la base de données de Facebook pour récolter des informations sur ses utilisateurs, a admis hier l’entreprise californienne. Facebook a annoncé qu’elle supprimait la fonction qui permettait de rechercher un utilisateur à partir de son numéro de téléphone ou de son adresse courriel. Elle s’est aperçue que des gens s’en servaient pour effectuer des millions de recherches, provenant de milliers d’ordinateurs différents, et ainsi avoir accès aux informations classées « publiques » d’à peu près tous les utilisateurs de la plateforme, ou du moins de ceux qui donnaient la permission d’être trouvés au moyen d’une telle recherche, ce qui est le réglage par défaut. « Il est raisonnable de penser que si ce réglage est activé sur votre compte, quelqu’un a eu accès, au cours des dernières années, à vos données publiques », a résumé le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg.

622 161

Ce ne sont plus 50, mais bien jusqu’à 87 millions d’utilisateurs de Facebook, dont 622 161 Canadiens, dont les données auraient été obtenues de façon illégitime par la firme britannique Cambridge Analytica, a aussi annoncé l’entreprise hier.

Un jeu-questionnaire intrusif

L’estimation de 50 millions ne venait pas de Facebook elle-même, a rappelé hier M. Zuckerberg, en précisant comment son entreprise en était arrivée au nouveau chiffre de 87 millions.

Ces données ont été amassées par le truchement d’une application Facebook qui prenait la forme d’un jeu-questionnaire. Environ 300 000 personnes y ont participé. Chacune donnait aussi, consciemment ou non, l’autorisation à l’application de recueillir les informations personnelles – pas seulement les informations publiques – de tous ses amis.

Selon Facebook, ses données ne remontent pas assez loin pour obtenir le nombre exact de personnes concernées. Le chiffre de 87 millions a été obtenu en additionnant le nombre maximal d’amis dont a disposé chacun des participants au jeu-questionnaire.

« Nous sommes assez certains que ce n’est pas plus, et ce pourrait très bien être moins », a indiqué M. Zuckerberg.

30 millions

De son côté, la firme Cambridge Analytica a réfuté le chiffre de 87 millions. Elle dit n’avoir « reçu » les données que de « 30 millions » de personnes par l’entremise de Global Science Research.

Des nouvelles lundi

Dès lundi prochain, Facebook promet d’afficher au sommet du fil d’actualités de ses utilisateurs un lien vers ses outils permettant d’ajuster les réglages de confidentialité. Elle avisera aussi les utilisateurs dont les données ont pu tomber entre les mains de Cambridge Analytica.

Responsabilité sous-estimée

Manifestement, Facebook n’en a pas fait assez au cours des dernières années pour protéger ses utilisateurs de certains groupes ayant des intentions malhonnêtes, a admis Mark Zuckerberg.

« Nous sommes une entreprise idéaliste et pour la première décennie de notre existence, nous étions très concentrés sur tout le bien qu’amène le fait de relier les gens. Mais il est évident maintenant que nous n’en avons pas fait suffisamment pour prévenir les abus et penser aux manières dont certaines personnes pouvaient utiliser ces outils de façon dommageable.

« Notre façon de penser à l’époque, et je n’essaie pas de la défendre, était que notre travail consistait à offrir aux gens des outils, et qu’il était de leur responsabilité à eux de gérer leur façon de s’en servir. C’était une erreur d’envisager les choses d’une façon aussi étroite. »

Au cours des derniers mois, Facebook a pris conscience de « son rôle dans la société », a ajouté M. Zuckerberg. Il est aussi revenu sur ses déclarations au lendemain de l’élection de Donald Trump.

« J’ai fait une erreur en qualifiant de folle [crazy] l’importance que l’on donnait à l’incidence des fausses nouvelles sur l’élection. Je n’aurais pas dû employer ce mot. »

— Mark Zuckerberg

Malheureusement, Facebook en a pour des années avant de corriger ses erreurs du passé, a-t-il avoué.

« J’aimerais pouvoir claquer des doigts et que tout soit réglé en trois ou six mois. Mais la réalité, c’est que les systèmes de Facebook sont complexes et qu’il faut réévaluer l’ensemble de notre relation avec les gens, ce qui représente un effort de plusieurs années. La bonne nouvelle, c’est que cela fait déjà un an que nous nous y attaquons. »

La collecte ne ralentira pas

Facebook a détaillé hier neuf changements au fonctionnement de sa plateforme pour rassurer ses utilisateurs. Un seul d’entre eux vise à limiter, de façon marginale, la quantité d’information que Facebook elle-même ingère. Les autres se concentrent sur l’accès par des tiers aux données de Facebook.

Dans une conférence de presse téléphonique, M. Zuckerberg a rejeté l’idée que son entreprise et la société seraient moins à risque s’il limitait la quantité d’information absorbée par Facebook.

L’entreprise, a-t-il expliqué, doit faire des compromis entre la vie privée des gens et le désir d’offrir la meilleure expérience possible en affichant des publicités qui rejoignent les goûts de ses utilisateurs.

« Les commentaires que nous recevons penchent très majoritairement, je dirais à 95 %, du côté de la meilleure expérience, a-t-il fait valoir. Je pense que nous faisons la bonne chose pour servir les gens le mieux possible. »

Médias et fausses nouvelles

Il y a trois types de propagateurs de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux, a expliqué hier M. Zuckerberg, en promettant de s’attaquer aux trois.

D’abord, les « acteurs économiques » qui utilisent des titres sensationnels pour attirer des clics et faire de l’argent. Ceux qui « vous envoyaient des courriels de Viagra dans les années 90 », comme il les a décrits, peuvent être encouragés à aller voir ailleurs si on leur oppose des obstacles qui rendent leur opération non profitable, croit-il.

Viennent ensuite les problèmes de sécurité nationale liés à des États, dont la Russie. Dans ce cas, il faut identifier les sources – plutôt que le contenu qui pourrait être légitime s’il ne venait pas d’eux – et les bannir, juge-t-il.

Finalement, il y a des acteurs « médiatiques » qui propagent de l’information biaisée. Ici, Facebook a lancé une initiative de vérification des faits qui peut limiter la circulation des fausses nouvelles les plus populaires, argue-t-il. Mais, surtout, Facebook compte faire la promotion de « sources journalistiques largement jugées crédibles ».

Le tout sera d’autant plus important que 2018 sera une année très importante pour la démocratie à l’échelle mondiale, a-t-il reconnu, avec de nombreuses élections présidentielles et les élections américaines de mi-mandat.

Encore en poste

Tout en admettant que c’était par sa faute que Facebook avait négligé pendant des années de se préoccuper des conséquences potentiellement négatives de sa plateforme, M. Zuckerberg a rejeté hier l’idée de démissionner. Il a par ailleurs confirmé qu’il se soumettrait la semaine prochaine à un interrogatoire du Congrès américain.

— Avec l’Agence France-Presse

Scandale Facebook

Des ajustements qui suscitent peu d’espoir

Facebook fait son mea-culpa et promet de renforcer sa sécurité pour éviter que les données personnelles de ses 2 milliards d’abonnés se retrouvent entre les mains de tierces parties pour être utilisées à mauvais escient. Reste que le géant du web social continuera de se nourrir à même vos clics. Rassurant ? Des experts se prononcent.

Règles strictes de responsabilité

Facebook peut bien continuer de se servir des habitudes de ses utilisateurs pour mieux cibler la publicité, mais il doit en contrepartie renforcer ses règles de responsabilité et les étendre à tous ses partenaires, estime Vincent Gautrais, titulaire de la chaire L.R. Wilson sur le droit des technologies de l’information et du commerce électronique de l’Université de Montréal.

« Que Facebook dise qu’ils veulent collecter autant de données qu’avant, ça ne me dérange pas forcément, dit-il. Sauf qu’ils n’ont pas le choix d’être surveillés et d’être stricts quant à la finalité de ces données. […] Il y a un principe de base en matière de vie privée, et c’est la finalité. On ne peut pas, sans le consentement, changer la finalité de la donnée collectée. »

Selon lui, des organismes « de type étatique », notamment, devraient scruter les acteurs comme Facebook à la manière d’un contrôleur financier, par exemple.

Se priver de son « pétrole »

Facebook, une plateforme gratuite, n’a d’autres choix que de continuer à se nourrir de ses utilisateurs, parce que ces données sont « son or, son pétrole », illustre Guillaume Latzko-Toth, professeur en communication à l’Université Laval et chercheur au Laboratoire de communication médiatisée par ordinateur.

Selon lui, les explications de l’entreprise californienne fournies hier servent d’abord à « arrêter l’hémorragie » et à rétablir la confiance de ses abonnés. « Il y a toujours le risque de désertion, ce sont des géants aux pieds d’argile », dit-il. Par ailleurs, la stratégie de garder les données pour son propre usage et d’en restreindre l’accès aux tiers est « peu crédible » dans le contexte où c’est l’utilisation qu’on en fait qui doit être réglementée.

« Ces données en apparence inoffensives recoupées avec d’autres bases de données peuvent devenir totalement imprévisibles. À mon avis, soit on ferme les vannes, soit on les ouvre. Mais si on les ouvre, ça peut suffire à créer un dégât d’eau. »

« La marchandise, c’est nous »

Pour Madeleine Pastinelli, professeure titulaire au département de sociologie de l’Université Laval, spécialiste des usages de l’internet, le scandale Facebook-Cambridge Analytica n’a rien d’étonnant et démontre plutôt le « décalage extraordinaire » entre ce qu’est véritablement la plateforme sociale et la perception de ses utilisateurs.

« Les gens ont pris l’habitude d’utiliser Facebook et ils ont fini par perdre de vue que ce n’est pas un service public. C’est une entreprise commerciale, explique-t-elle. C’est comme si l’on découvre aujourd’hui ce qu’on aurait toujours dû savoir, c’est-à-dire que la marchandise, c’est nous. Que même lorsqu’on répond à un quiz niaiseux, on fournit des renseignements personnels. »

Elle fonde peu d’espoir dans les nouvelles promesses de Facebook ou dans l’ajout d’éventuelles lois plus restrictives, puisque le problème est généré « à partir [du moment] qu’une donnée existe » parce qu’elle « peut être piratée, appropriée », dit-elle.

Un combat quotidien

Le grand défi de Facebook dans la foulée de l’annonce de ces nouvelles mesures de sécurité, c’est la vigilance que le géant du web social devra exercer au quotidien contre différentes menaces, estime Bruno Guglielminetti, blogueur de moncarnet.com. « La lutte contre la fausse information, c’est un combat de tous les jours », dit-il.

« Ils doivent combattre les gens qui font de la désinformation pour différents intérêts et chercher les faux comptes qui essayaient de faire bouger l’opinion publique. Ça, c’est vrai pour les États-Unis, mais aussi pour toute la planète. Alors, ils doivent être moins naïfs et penser plus sérieusement à ce que les gens méchants peuvent faire de leur outil. »

Selon lui, seul l’avenir dira si les moyens déployés par Facebook porteront leurs fruits, mais pour l’heure, force est de constater qu’ils « mettent des verrous sur toutes les informations que peuvent obtenir des tiers, et c’est assez fascinant ».

M. Guglielminetti rappelle par ailleurs que « nous sommes le premier filtre » en étant « les premiers responsables de ce que nous publions ou pas ».

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