Opinion Marc Séguin

Les patates et le spa

Dans la petite enfance, ma grand-mère me donnait une cenne pour chaque bibitte à patates que je pinçais sur ses plants. « Pincer », ça voulait dire écraser les doryphores. C’est le vrai nom de l’insecte qui pond ses larves sur l’envers des feuilles des plants de pommes de terre. J’ai toujours aimé me baigner et je croyais qu’en ramassant des sous ainsi, je pourrais un jour m’acheter une piscine.

Pas eu de doryphores cette année, chez moi, dans le potager. Une année chanceuse. Un ami à Mirabel s’est battu avec eux tout l’été. Pas de feuilles, pas de patates. C’est simple.

Cette semaine, avec mes enfants, à cinq on est une armée, on a ramassé 220 livres de patates. Sur une surface à peine plus grande que deux ou trois spas de banlieue.

Parlant de spas et de banlieues, on a parlé d’étalement urbain dans l’actualité cette semaine. On a vu l’Union des producteurs agricoles (UPA) s’alarmer dans les médias, avec raison, de ce fait. La ville est pleine. On le voit, c’est verticalement (tours de condos) qu’elle se remplit depuis une dizaine d’années. La banlieue elle, rampe autour du centre, et s’étale. Au détriment des terres agricoles. Ces terres qui nous nourrissent et qui doivent être protégées du « progrès ».

Je n’ai aucune gêne à critiquer l’UPA et son immense pouvoir comme monopole quand des aberrations deviennent des évidences à dénoncer. Mais je sais aussi que cette fois, dans le cas de l’étalement urbain, leur voix porte et on est en droit de s’alarmer. Le territoire agricole québécois rétrécit. Le poids des ruraux baisse. Comment peut-on envisager de se nourrir, chez soi, de faire vivre des familles et des villages, si on perd chaque année des milliers d’acres de terres cultivables ?

C’est à la Commission de protection du territoire agricole québécois (CPTAQ) d’agir. Cette commission doit redéfinir l’occupation du territoire. Interdire l’étalement ? Peut-être. Mais surtout mettre en place des mesures incitatives, d’autres passives. Par exemple : obliger les municipalités à développer trois, quatre ou dix fois les surfaces perdues au profit de l’étalement. Même si c’est dans une autre ville. Même si c’est ailleurs. Même si c’est difficile.

Plus précisément, si on construit un quartier de 200 maisons sur une terre agricole de 100 acres, je suggère que la CPTAQ oblige la municipalité à compenser cette perte de surface en récupérant une terre en friche, ou en transformant une terre abandonnée pour nourrir ces 200 nouvelles familles, en légumes et en patates par exemple !

Pour ceux qui l’ignorent, en ce moment, à peine le tiers (33 %) de la nourriture que l’on consomme est produit ici. Le reste est importé. C’est pathétique.

Ce taux a déjà été au-delà de 70 %. On fait vivre des gens ailleurs, des pétrolières et des grandes filières loin de nos besoins et notre identité.

Autre idée : dans cette perte de surface cultivable, la CPTAQ pourrait morceler une terre de 100 acres en petits lots et ainsi permettre à de jeunes familles, et à des projets sociaux structurants et à une nouvelle agriculture d’exister. Parce qu’un des grands problèmes avec l’agriculture, c’est de croire qu’elle doit se faire uniquement sur de grandes terres de plusieurs centaines d’acres, et avec des tracteurs. Ce qui a eu pour effet de vider les campagnes, au profit de la ville. On revient à notre problème : quand un fermier qui grossit achète tous ses voisins sur le rang, il n’y a plus de familles, moins d’enfants, on ferme l’école, on jumelle des villages, on ferme la maison des jeunes, moins de services sociaux, la caisse pop s’en va…

Et la ville s’étale.

On doit réfléchir à notre territoire et à la manière de l’occuper.

Tiens, dans d’autres actualités cette semaine : paraît que la campagne électorale est commencée. Espérons que tous les partis politiques, qui veulent notre bien, parlent un peu de territoire. Une belle idée par ailleurs, venue du Parti québécois : des repas sains à l’école, à faible coût, pour tous les enfants, et régler le « fardeau des lunchs ». Vous savez quoi ? On pourrait tout produire ici. Même en hiver. Sans grand effort. Avec fierté aussi.

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C’est la saison des moissons qui bat son plein. De grâce, sortez de chez vous. Allez dans les marchés publics, chez les producteurs, les artisans, et achetez ce qui vient d’ici.

Pas besoin de patates qui viennent d’ailleurs cette année. J’ai tout ce qu’il faut. Sur une surface à peine plus grande que deux ou trois baignoires à remous.

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