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OPINION

JUSTICE
Démêler le fouillis des peines minimales obligatoires

Le 10 avril dernier, la sénatrice indépendante Kim Pate a annoncé son intention de déposer un projet de loi qui conférerait aux juges le pouvoir d’imposer une peine « appropriée », que l’infraction soit ou non passible d’une peine minimale obligatoire d’emprisonnement.

Les juges demeureraient assujettis aux principes de la détermination de la peine en fonction de la Common Law et du Code criminel. Tout spécialement, les juges sont liés par le principe de la proportionnalité, disposant que la peine soit représentative de la gravité de l’infraction et de la culpabilité morale de la personne qui l’a commise.

S’il était adopté, ce projet de loi aurait des répercussions profondes et positives, allégeant le fardeau des longues peines inutiles pour les personnes condamnées parce que ces peines ne sont pas adaptées aux circonstances particulières de leur infraction.

Sans les peines obligatoires d’emprisonnement, il y aurait d’autres options pour déterminer la peine qui seraient plus efficaces et moins coûteuses, par exemple, des peines à purger dans la collectivité.

Ce projet de loi offre la possibilité de réagir à d’autres crises dans le système de justice pénale, notamment le recours excessif à l’incarcération des personnes autochtones et racialisées ainsi que des personnes atteintes de maladie mentale.

En outre, ce projet atténuerait le problème des retards systémiques dans le système de justice pénale. En règle générale, en raison des peines obligatoires d’emprisonnement, les accusés sont moins enclins à commencer à négocier un aveu avec la Couronne, étant donné qu’il n’est pas possible de négocier une peine ; par conséquent, plus de causes sont portées devant les tribunaux.

Pourquoi une refonte aussi importante des politiques est-elle proposée par une sénatrice plutôt que par le gouvernement libéral ? Après tout, la ministre de la Justice a annoncé en mai 2017 qu’elle avait l’intention d’évaluer des politiques portant sur toutes les peines minimales obligatoires ; plus de 70 dispositions en ce sens se retrouvent dans notre droit criminel.

Or, le 29 mars dernier, le gouvernement fédéral a introduit le projet de loi C-75 afin de réduire les délais du système de justice pénale et le recours excessif à l’incarcération. La réponse promise depuis longtemps à la prolifération des peines minimales obligatoires ne figure nulle part dans ce projet de loi.

Par conséquent, nous nous trouvons devant une lacune majeure sur le plan politique lorsque les peines minimales obligatoires sont utilisées pour faire des compromis politiques et pour invoquer « la loi et l’ordre » en vue d’obtenir des votes.

Les peines minimales obligatoires sont souvent justifiées par l’argument selon lequel elles dissuadent des personnes de commettre un crime. Mais, en réalité, la documentation démontre de façon convaincante que ce n’est pas le cas.

La plupart des crimes ne sont pas planifiés, mais plutôt commis de façon impulsive, sous l’influence de la drogue ou de l’alcool, ou d’autres pressions systémiques ou situationnelles. La plupart des personnes ne savent pas quelle peine leur serait imposée si elles étaient condamnées.

Pour la société, les coûts de l’emprisonnement sont astronomiques. Il en coûte plus de 100 000 $ par année pour incarcérer un homme dans un pénitencier fédéral et même plus pour une femme, selon l’établissement où elle est détenue. Par ailleurs, l’incarcération fait augmenter plutôt que diminuer la probabilité de récidive et de réincarcération.

On a besoin de leadership devant cet enjeu politique majeur. À l’heure actuelle, 174 contestations constitutionnelles du prononcé de peines minimales obligatoires sont portées devant les tribunaux, selon le ministère de la Justice du Canada. Bon nombre de ces contestations ont déjà été couronnées de succès. À elle seule, depuis 2015, la Cour suprême du Canada a tranché trois de ces affaires (R. c. Nur, R. c. Charles et R. c. Lloyd) et une autre a été ajoutée à son rôle.

Ces poursuites relatives à ces peines au cas par cas donnent lieu à une jurisprudence contradictoire entre les provinces et à de l’incertitude à savoir quelles peines minimales obligatoires sont valides et lesquelles sont vulnérables aux contestations. Le projet de loi de la sénatrice Pate ferait beaucoup pour désinfecter la plaie du recours excessif à l’incarcération et limiter la folie de la réforme fragmentaire du droit par des contestations fondées sur la Charte. Il est temps de faire confiance aux personnes qui disposent de tous les faits – les juges et la Commission nationale des libérations conditionnelles – pour déterminer la durée de chaque peine.

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