Anne-Marie Cadieux et Sophie Cadieux

dans l’amour et la cruauté

Réunies sur scène pour la deuxième fois en carrière Anne-Marie et Sophie Cadieux jouent un couple d’amoureuses à la dérive dans Les larmes amères de Petra von Kant. Toutes deux plongent dans l’univers de Fassbinder avec désir et plaisir, avec violence et passion.

« Deux Cadillac »

Anne-Marie Cadieux et Sophie Cadieux ont joué une seule et unique fois ensemble au théâtre (dans HA ha !… au TNM). Or, ce printemps, elles partagent la scène durant quatre mois : fin mai et début juin, dans Soifs Matériaux, dirigée par Denis Marleau au FTA, et en mars et avril, dans Les larmes amères de Petra von Kant, mise en scène par Félix-Antoine Boutin, au Prospero. Un huis clos beau et cruel écrit par Rainer Werner Fassbinder en 1972, 10 ans avant la mort tragique du cinéaste.

Pour le metteur en scène de 30 ans, travailler avec ces comédiennes est un pur bonheur ! Il les compare à deux Cadillac : « Ce sont des têtes chercheuses, des coureuses de fond en répétition, dit Boutin. Elles plongent dans les défis et les projets avec une passion dévorante. Ici, avec Petra [jouée par Anne-Marie] et Karin [jouée par Sophie], des personnages à la fois magnifiés et foudroyés, Fassbinder montre le côté glamour de l’actrice et aussi son revers. Petra, c’est excessif et casse-gueule ! »

L’étoile Fassbinder

Rainer Werner Fassbinder, l’enfant terrible du cinéma et du théâtre allemands dans les années 70, est plus actuel que jamais. En Europe et au Québec, plusieurs jeunes metteurs en scène découvrent la force et la subversion de son œuvre. Comme Félix-Antoine Boutin, qui s’attaque à la pièce la plus féminine et la plus cruelle du réalisateur du Mariage de Maria Braun

« Je crois que son œuvre résonne avec l’urgence de dire de la génération montante. Avec Fassbinder, la vie et l’œuvre sont intimement liées. »

— Anne-Marie Cadieux, qui incarne Petra dans Les larmes amères de Petra von Kant

« C’est beauté et cruauté, douleur et tyrannie, tout en même temps. Fassbinder s’est consumé avec toutes sortes de substances et en produisant énormément », poursuit-elle.

Monstrueusement, même ! Le cinéaste est mort à 37 ans, en laissant derrière lui une quarantaine de films, sans parler de son travail au théâtre et à la télévision.

Beauté et cruauté

Les larmes amères de Petra von Kant est un texte largement autobiographique, dans lequel Fassbinder découpe au scalpel les sentiments amoureux. (Il a transposé son amour impossible pour un bel acteur, marié et hétéro, dans un couple de femmes évoluant dans le monde de la mode.)

À 27 ans, l’auteur fait ici penser à Jean Genet, avec cette « lucidité cinglante sur les choses de l’amour », que d’aucuns qualifieraient de pessimisme, voire de masochisme, qu’on trouve dans l’œuvre de l’auteur des Bonnes. Et mêmes rapports de domination, de manipulation et de soumission dans le couple. Chez l’un comme chez l’autre, les ravages du désir et l’ambiguïté des rapports amoureux tuent l’amour. Citons Fassbinder : « Je crois que l’homme est ainsi fait, écrit-il. Il a besoin de l’autre, mais il n’a pas appris à être deux. »

Voilà qui est très pessimiste ? 

« Non, c’est réaliste, répond Anne-Marie Cadieux. Dans un couple, la personne qui aime le moins domine l’autre. Mais le thème de la pièce n’est pas l’Amour ; c’est la cruauté et la brutalité des rapports humains. »

Mélodrame

Raison et folie. Vérité et mensonge. Blessure d’ego et humiliation de classes. Le ton est donné. Avec Petra, l’attirance devient dégoût de l’objet du désir quand ce dernier est trop souffrant… D’où ces larmes amères du titre.

Ne risque-t-on pas de trop verser dans le mélo ? 

« Il ne faut pas évacuer le mélodrame. J’aime la poésie et la distance du mélo, je trouve ça esthétiquement intéressant. Xavier Dolan touche au mélodrame et j’adore ça ! »

— Félix-Antoine Boutin, metteur en scène

« La ligne est fine entre le réalisme et le cadre stylisé, ajoute Anne-Marie Cadieux. Dans Petra, les sentiments sont extrêmes, les émotions jaillissent et débordent à tout instant. Le texte a été écrit avec ce jaillissement, cette urgence de vivre. On joue sur la corde raide. »

Jouer Fassbinder à 20 ans

« Quand j’étudiais au Conservatoire d’art dramatique, raconte Sophie Cadieux, Patricia Nolin, qui était ma professeure de jeu en première année, m’a fait découvrir le rôle de Petra. Quel beau cadeau à faire à une jeune actrice de 20 ans que de lui montrer qu’il n’y a pas que des soubrettes qu’elle peut faire à son âge. L’écriture de Fassbinder n’est pas très réaliste ni psychologique, il n’y a pas de morale. C’est abrasif, frontal, radical, subversif, donc très libre et contemporain. Et aujourd’hui, Patricia Nolin fait partie de la distribution de Petra au Prospero, avec Anne-Marie et moi ! »

Comme quoi la vie n’est pas si cruelle, finalement…

Les larmes amères de Petra von Kant

de Rainer Werner Fassbinder. Mise en scène : Félix-Antoine Boutin.

Au Théâtre Prospero, du 19 mars au 6 avril.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.