OPINION

ENVIRONNEMENT
La justice climatique arrive au Canada

Hier matin, ENvironnement JEUnesse (EnJeu) a intenté une action collective au nom de tous les jeunes Québécois de 35 ans et moins contre le gouvernement du Canada pour avoir manqué à son devoir de prendre des mesures effectives pour lutter contre les changements climatiques.

Cette action juridique intervient après plus de deux décennies de promesses brisées de la part du gouvernement du Canada. En 1997, dans le cadre du protocole de Kyoto, le gouvernement Chrétien s’était fixé comme objectif de réduire les émissions de GES à un niveau inférieur de 6 % par rapport au niveau de 1990 durant une période allant de 2008 à 2012. Cependant, en 2012, les émissions de GES du Canada avaient augmenté de 17 % et le gouvernement Harper a pris la décision honteuse de retirer le Canada du protocole.

Dans le cadre de l’accord de Paris conclu en décembre 2015, le gouvernement Trudeau a pris l’engagement de réduire les émissions de GES canadiennes de 30 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030.

Or, cette nouvelle cible n’est pas cohérente avec l’objectif même de l’accord de Paris dans lequel les gouvernements, dont le Canada, ont convenu de limiter le réchauffement de la planète à un niveau bien en deçà de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de viser une augmentation maximale de 1,5 °C. En fait, selon les calculs indépendants de Climate Action Tracker, la cible canadienne actuelle conduirait à un réchauffement de 3 °C à 4 °C.

Appui aux énergies fossiles

En plus de s’être fixé une cible de réduction de GES grossièrement inadéquate, le gouvernement Trudeau continue d’appuyer l’industrie des énergies fossiles en lui accordant des subventions annuelles chiffrées à plus de 2 milliards CAN et en approuvant la construction de pipelines pour distribuer une production accrue du pétrole issu des sables bitumineux. Dans un rapport de mars dernier, le Bureau du vérificateur général a ainsi conclu que le Canada était – encore une fois – loin d’être en voie d’atteindre ses cibles actuelles de réduction de GES.

Le fossé entre les promesses faites par les différents gouvernements et leurs gestes au cours des 25 dernières années est précisément la raison pour laquelle EnJeu a décidé de poursuivre le gouvernement du Canada devant les tribunaux.

Ce faisant, EnJeu suit l’exemple de groupes qui ont intenté des poursuites similaires contre les gouvernements néerlandais, belge, irlandais, britannique, suisse, néo-zélandais et américain. Une de ces poursuites, intentée par le groupe Urgenda, a déjà porté ses fruits, car elle a mené à une décision juridique maintenant portée en appel devant la Cour suprême, qui oblige le gouvernement des Pays-Bas à réduire ses émissions de GES de 25 % par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2020.

Dans son recours, EnJeu demande notamment à la Cour de déclarer que le gouvernement du Canada a failli à ses obligations de protéger les droits des jeunes Québécois à la vie, à la sécurité et à un environnement sain en vertu des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. Les impacts néfastes des dérèglements climatiques sur les droits des jeunes sont déjà évidents au Québec, comme en témoignent les vagues de chaleur et les inondations, qui deviendront plus fréquentes et plus intenses.

Malgré l’urgence d’agir, il est encore possible pour le Canada d’amorcer une transition rapide vers une économie sobre en carbone.

Dans un rapport commandé par Ressources naturelles Canada à l’automne 2016, un collectif de plus de 70 chercheurs dont j’ai fait partie a décrit des mesures qui permettraient au Canada de réduire les émissions de GES du secteur de l’énergie de 90 % par rapport à celles de 2010 d’ici le milieu du siècle – la cible recommandée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. La mise en œuvre de ces mesures permettrait non seulement d’éviter les pires effets des dérèglements climatiques, mais aurait des retombées économiques et sociales positives pour le pays.

La protection des droits fondamentaux des citoyens est une des responsabilités les plus importantes d’un gouvernement. La poursuite d’EnJeu a le mérite de rappeler au Canada qu’il doit respecter et protéger les droits de la jeunesse – un des groupes les plus vulnérables aux dérèglements des changements climatiques.

* Sébastien Jodoin est membre d’ENvironnement JEUnesse et siège à son conseil d’administration.

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