Simon Jolin-Barrette

L’omniministre

On le voit partout depuis des semaines. Simon Jolin-Barrette, 32 ans, leader parlementaire du gouvernement et ministre aux airs de premier de classe. En ce début de mandat, on attend de lui des miracles : réformer le système d’immigration et mettre fin à l’éternel débat sur le port de signes religieux dans la fonction publique. Avant juin. Portrait.

L’élu en mission

Un député se souvient toute sa vie de ce qu’il faisait lorsqu’on l’a appelé pour rencontrer le premier ministre, alors qu’il forme son conseil des ministres. Un moment solennel. Privilégié.

Quand le cellulaire de Simon Jolin-Barrette vibre, un après-midi d’octobre, la fébrilité de la victoire électorale est encore fraîche. Le politicien vient d’être assermenté comme député. Au bout du fil, on l’invite à se rendre à ses anciens bureaux, au 3e étage de l’hôtel du Parlement. François Legault et son chef de cabinet, Martin Koskinen, préparent la transition.

Même s’il ne le dit pas ouvertement, le jeune avocat de 32 ans, titulaire de deux maîtrises (l’une en droit et l’autre en administration publique), n’est pas nécessairement surpris. Visage marquant du « renouveau » promis par la Coalition avenir Québec, il est prédestiné à obtenir un siège au conseil des ministres.

Il ne s’attend toutefois pas à en recevoir deux. Pratiquement trois.

Un mandat difficile

Dans son bureau, le premier ministre François Legault et Martin Koskinen, accueillent le jeune Jolin-Barrette. La mission qu’on lui confie est complexe.

D’ici juin, le député de Borduas doit réformer le système d’immigration, un sujet épineux qui a mal fait paraître le chef lors de la dernière campagne électorale. Mais ce n’est pas tout. On veut aussi qu’il mette fin à l’éternel débat sur le port de signes religieux dans la fonction publique.

Simon Jolin-Barrette est surpris, paraît nerveux. Cette mission, névralgique pour la première année de mandat du nouveau gouvernement, s’additionne au rôle de leader parlementaire qu’il accepte d’assumer.

« Ma première réaction a été de leur dire qu’ils m’en mettaient beaucoup sur les épaules », admet le ministre de l’Immigration, que l’on a rencontré la semaine dernière à son bureau de circonscription dans le Vieux-Belœil.

En acceptant son mandat, « honoré » de la confiance qu’on lui témoigne, Simon Jolin-Barrette est toutefois inquiet, et c’est palpable. Il devient porteur de ballon d’enjeux difficiles à expliquer. Ces dossiers pourraient torpiller le gouvernement s’ils sont mal pilotés.

« On a toujours jugé que ces dossiers étaient [épineux] et qu’il nous fallait quelqu’un qui soit capable de faire le travail, mais aussi de le communiquer. Simon a toujours eu les mots justes. On s’est dit qu’il ne se laisserait pas décontenancer. »

— Martin Koskinen, chef de cabinet de François Legault

« Plus la pression augmente, plus il se relaxe. Simon est un gars qui est toujours en train de bâtir une distance entre ce qui s’en vient et où il est rendu. Il n’est pas un chevreuil perdu le soir qui attend de se faire frapper », renchérit André Lamontagne, ministre de l’Agriculture.

La pression est forte, le mandat est délicat. Simon Jolin-Barrette en a rapidement la preuve.

Quelques jours après avoir déposé son projet de loi 9 réformant le système d’immigration, ce dernier est contesté en cour. Pendant plus d’une semaine, le ministre doit se défendre d’avoir annulé quelque 18 000 dossiers d’immigration qui n’avaient toujours pas été traités sous l’ancien système.

Cette judiciarisation mène le gouvernement à revoir sa stratégie. Avec les délais de la cour, il devra vraisemblablement attendre que la loi soit adoptée avant d’annuler lesdits dossiers. Mais le ministre de l’Immigration ne s’en formalise pas.

« Il faut repartir sur de nouvelles bases », répète-t-il à qui veut l’entendre.

Le premier de classe

En politique, l’image est importante. Toujours bien mis, soucieux de son apparence, Simon Jolin-Barrette le sait probablement trop bien. Mais depuis janvier, il doit se défendre contre l’étiquette que lui a collée l’épisode de fin d’année de l’émission Infoman.

D’un ton humoristique, on compare le député de Borduas à un robot qui maîtrise bien la cassette. Dans cet épisode regardé en direct par près de 2 millions de téléspectateurs, François Legault y ajoute même un clin d’œil. Son ministre est « capable de parler pendant 10 minutes sans donner de nouvelles. Sans rien dire, finalement ».

« Je suis loin d’être un robot », réplique un Jolin-Barrette tout sourire, bon joueur et amusé par la caricature.

Un bon plaideur

Reste que le politicien, avocat de formation, est très doué pour la rhétorique. « Mais ce n’est pas qu’un beau parleur, il traite aussi ses sujets en profondeur », plaide le chef de cabinet du premier ministre, Martin Koskinen.

Quand vient le temps de « faire du temps », comme il faut parfois le faire à l’Assemblée nationale, le jeune politicien connaît la marche à suivre. À ses débuts comme député, alors qu’il venait d’arracher sa circonscription à l’ex-ministre péquiste Pierre Duchesne, défait en 2014, il a été désigné par François Bonnardel pour faire un discours de près d’une heure.

« Tout le monde se demandait comment il allait faire, mais il l’a fait cette heure-là au Salon bleu en ne s’arrêtant jamais », se souvient Mario Laframboise, député caquiste de Blainville.

Ce talent pour parler, et pour parler longtemps, l’ex-ministre libérale Stéphanie Vallée y a aussi goûté. Elle a longtemps eu le jeune député comme vis-à-vis à l’époque où elle siégeait dans le gouvernement de Philippe Couillard.

« Simon, c’est comme le petit fatigant d’une classe qui a toujours la “mausus” de question pointilleuse à laquelle personne ne pense. Il peut gagner du temps sans que ça paraisse. […] Mais il connaît ses dossiers. C’est agréable d’échanger avec lui. »

— Stéphanie Vallée, ex-ministre libérale

Choisir ses mots

Assis dans son bureau de circonscription, chauffé par le soleil qui bat le vent polaire balayant la rivière Richelieu, Simon Jolin-Barrette se décrit comme un pragmatique. Un homme de décisions.

« Quand je me présente devant les médias, c’est sûr que j’ai un aspect rationnel. Je réfléchis à mes arguments. […] On voudrait souvent que ça soit blanc ou noir, un clip de 15 secondes, mais ce n’est pas toujours possible », avance-t-il.

« La pire des choses, dans n’importe quel dossier, c’est de ne pas prendre de décision et de pelleter en avant », poursuit le député, qui déposera dans les prochaines semaines son projet de loi sur la laïcité.

Depuis des mois, les signaux sont troubles quant à la volonté du gouvernement d’inclure ou non une clause de droits acquis pour les fonctionnaires – y compris les enseignants – portant des signes religieux. Pourront-ils rester en poste ?

« Le projet de loi sera déposé au courant des prochaines semaines. C’est tout ce que je peux dire », répond Simon Jolin-Barrette après de longues secondes de silence.

La décision n’est donc pas prise ?

« J’ai toujours dit qu’au plan des modalités d’application, j’étais ouvert. […] J’agirai en collaboration avec l’ensemble des partenaires », conclut-il en maintenant le brouillard.

Le discret nationaliste

S’il sait parler, et s’il sait le faire longtemps, Simon Jolin-Barrette ne traîne pas cette réputation dans son entourage. On le décrit plutôt comme un discret « qui remplace la fréquence par la pertinence ».

Quand il était dans le deuxième groupe d’opposition, le jeune député s’est absenté un jour du parlement. Sa conjointe, qu’il a rencontrée au début de sa vingtaine, accouchait de leur premier enfant.

« On ne savait même pas qu’il avait une blonde ! On l’a appris alors qu’elle donnait naissance », se souvient en rigolant Jean-François Roberge, député voisin de sa circonscription.

Aujourd’hui encore, le jeune papa défend jalousement son intimité. Faire de la politique est un choix personnel. Il protège sa famille en évitant les sorties flamboyantes.

Sortir de l’impasse

Mais être discret ne veut pas dire n’avoir aucune conviction. Simon Jolin-Barrette aime débattre. « Il me semble être là pour les bonnes raisons », affirme à son sujet une adversaire, qui souhaite rester anonyme.

Ses convictions ont pris racine dans les visites qu’il a faites plus jeune à l’Assemblée nationale. La première fois, le jeune Simon était à l’école primaire. Il avait alors rencontré le péquiste Jean-Pierre Charbonneau, qui présidait les travaux du Parlement.

La deuxième fois, il étudiait au cégep Édouard-Montpetit. Il avait alors discuté avec l’ex-ministre libéral des Affaires intergouvernementales canadiennes Benoît Pelletier. Autour de la table, une juriste de l’État l’avait marqué. Une dénommée Véronique Hivon.

Spécialisé en droit constitutionnel, Simon Jolin-Barrette se décrit aujourd’hui comme un fervent nationaliste. En 1995, lors du deuxième référendum sur la souveraineté du Québec, il n’avait que 8 ans. Enfant unique d’un père policier et d’une mère qui travaillait chez Desjardins, il se souvient qu’on l’a amené au bureau de vote pour vivre ce moment historique.

Mais le déchirement entre l’indépendance et le fédéralisme est pour lui du passé, même s’il aimait débattre de cette question au secondaire, selon un ancien confrère.

« Est-ce que je suis réformiste ? Je ne dirais pas [ça], mais je suis quelqu’un de pragmatique qui veut faire des gains pour le Québec à l’intérieur [du Canada]. »

— Simon Jolin-Barrette

« Il est temps d’agir »

Dans son projet de loi 9 réformant le système d’immigration, Simon Jolin-Barrette a d’ailleurs ouvert un nouveau front avec Ottawa. Il veut que le Québec obtienne le pouvoir d’imposer des conditions aux immigrants qui s’installent sur son territoire.

« La nation québécoise est légitimée d’avoir le plus de contrôle possible sur son économie, sur ses institutions, et d’être reconnue comme une société distincte [dans la Constitution] », affirme le député de Borduas, élu sur les terres du célèbre peintre qui a rédigé Refus global.

Pilotant les dossiers épineux de l’immigration et de la laïcité, Simon Jolin-Barrette traverse cet hiver une saison marquante pour sa jeune carrière.

« Le Québec a fait un choix. On en a discuté pendant 10 ans, il est maintenant temps d’agir », conclut-il.

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