Une grande mécène s’éteint

Jacqueline Desmarais, grande mécène du monde des arts, notamment pour son apport exceptionnel au développement de l’art lyrique, s’est éteinte hier à l’âge de 89 ans. Elle s’est distinguée toute sa vie durant par son engagement en matière de philanthropie et son amour de la musique.

Jacqueline Desmarais 1928 – 2018

Philanthrope dans l’âme

Jacqueline Desmarais, grande mécène du monde des arts, notamment pour son apport exceptionnel au développement de l’art lyrique, s’est éteinte. Elle avait 89 ans.

Veuve de l’homme d’affaires Paul Desmarais (1927-2013) qui a mené les destinées de Power Corporation, propriétaire de La Presse, Mme Desmarais est décédée entourée de ses quatre enfants, chez elle, à Sagard, dans la région de Charlevoix.

« Elle a mené une vie heureuse et bien remplie, consacrée à sa famille, à ses amis et au service des arts et de la communauté au Canada et à l’étranger », a souligné sa famille dans l’avis de décès, rappelant que M. et Mme Desmarais « éprouvaient un puissant amour l’un pour l’autre, et ce, du début de leur relation jusqu’au décès de Paul en 2013, en présence de Jackie à ses côtés ».

« Jackie a offert son soutien à Paul tout au long de sa carrière d’homme d’affaires. Au tout début de leurs premiers projets, ils comptaient ensemble, sur leur table de cuisine, la monnaie tirée de la vente de billets d’autobus », ont rappelé ses proches dans l’avis de décès annonçant que Mme Desmarais aura des funérailles privées « dans la plus stricte intimité », à Sagard, au cours des prochains jours. Un service commémoratif aura lieu ultérieurement.

Depuis le début des années 80, Mme Desmarais s’est engagée dans une multitude de causes liées à la musique, à commencer par le Domaine Forget de Charlevoix, région où les Desmarais ont construit et aménagé leur immense domaine de Sagard. Ce premier engagement s’est multiplié et a mené la philanthrope jusqu’au conseil d’administration du Metropolitan Opera de New York, où elle a aussi financé plusieurs œuvres, surtout celles associées à des créateurs et artistes canadiens tels Yannick Nézet-Séguin, Layla Claire et Robert Lepage.

Mais la grande dame a aussi consacré une  partie de ses engagements à d’autres causes comme la santé (hôpital Sainte-Justine) et les affaires communautaires (La rue des Femmes).

« Depuis de nombreuses années, Mme Desmarais est reconnue comme une mécène suscitant l’admiration dans le milieu des arts et de la culture. »

— Louise Roy, chancelière de l’Université de Montréal, le 13 octobre 2011, jour où elle a décerné à Jacqueline Desmarais un doctorat honoris causa lors de la collation des grades de la faculté de musique

« Mécène et philanthrope, Jacqueline Desmarais soutient sans faillir le milieu de la musique depuis la fin des années 70. Son immense générosité nourrit depuis des décennies la vitalité artistique, culturelle et communautaire de Montréal », indiquait le texte biographique rendu public lorsque le maire Denis Coderre l’a faite commandeure de l’Ordre de Montréal le 17 mai 2017, jour du 375e anniversaire de fondation de la ville.

Née Maranger en 1928, à Sudbury, en Ontario, Jacqueline Desmarais a fait des études en soins infirmiers à l’Université d’Ottawa à la fin des années 40. Déjà, nourrie par la passion de son père pour la chanson et l’harmonica, elle adorait la musique et chantait notamment du jazz. Un soir, alors qu’elle se rend voir un spectacle de Duke Ellington à la salle Standish Hall, à Hull, le grand musicien, informé de son talent de chanteuse, la fait monter à ses côtés sur la scène.

« Il [Ellington] m’a demandé ce que j’aimerais chanter. J’ai dit Sophisticated Lady, probablement la chanson la plus difficile qu’il a écrite. Ça s’est très bien passé. J’avais pas mal de voix quand j’étais jeune. »

— Jacqueline Desmarais, en entrevue à Alain de Repentigny dans La Presse, le 11 juin 2011

Le 8 septembre 1953, Jacqueline Maranger épouse Paul G. Desmarais, un jeune homme d’affaires de 26 ans qui gère la Sudbury Bus Lines, entreprise d’autobus de son père sise dans cette ville ontarienne. Le couple aura quatre enfants : Paul Jr, André, Louise et Sophie. Au fil des ans, M. Desmarais construira l’empire que l’on sait. Sa femme Jacqueline, qu’il appelait affectueusement Jackie, sera constamment à ses côtés, donnant un coup de main discret mais toujours efficace.

« M. Desmarais était un homme un peu timide, audacieux mais réservé. Jacqueline organisait sans cesse des réceptions et des dîners pour lui faire rencontrer des gens d’affaires et ça l’a beaucoup aidé dans sa carrière, a déclaré Gilles Loiselle, conseiller et proche ami de Paul Desmarais dans une entrevue accordée à Radio-Canada au lendemain de la mort du financier, en octobre 2013. Elle était toujours là quand il y avait une décision à prendre. Et, pour lui, Jacqueline, c’était sacré. »

La musique

Ses premiers pas dans le mécénat, Mme Desmarais les fait en 1981 au Domaine Forget, dans Charlevoix. Puis, en 1984, elle se joint au conseil d’administration de l’Opéra de Montréal. En mai 1989, elle fonde la Guilde de l’Opéra de Montréal, organisme voué autant à promouvoir les activités de l’Opéra qu’à lui assurer une meilleure assise financière. Un mois plus tard, elle annonce le versement d’un don de 100 000 $ à la Guilde.

Ces engagements ouvrent la voie à plusieurs autres dans le monde musical au fil des ans. En 1997, Mme Desmarais crée une fondation à son nom pour donner des bourses à de jeunes chanteurs d’opéra canadiens. Au fil des ans, plusieurs chanteurs aujourd’hui très connus, parmi lesquels on nommera Marie-Josée Lord, Marc Hervieux et Julie Boulianne, bénéficieront de ces dons leur permettant de parfaire leur art.

Un nouvel engagement de Mme Desmarais survient en février 2004 alors qu’elle participe à la fondation de l’Institut canadien d’art vocal. Elle consacre aussi temps et argent à l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), à l’Orchestre Métropolitain de Montréal et au Metropolitan Opera de New York, dont elle devient membre du conseil d’administration en 2007.

Cette passion pour la musique classique et l’opéra, Mme Desmarais la doit en bonne partie à Pierre Béique (1910-2003), administrateur qui a participé à la fondation de l’OSM et qui était un ami intime des Desmarais.

« Il a commencé à m’inviter aux concerts de l’OSM, puis il a guidé mes pas vers l’opéra, dira-t-elle dans l’entrevue accordée à Alain de Repentigny. Le premier qu’il m’a suggéré d’écouter, c’est Le trouvère [Verdi] parce que tout est beau dans Le trouvère. Ç’a été un coup de foudre pour moi. »

La reconnaissance de Mme Desmarais envers M. Béique s’est exprimée de façon éclatante lorsqu’en 2014 est inauguré le Grand Orgue Pierre-Béique de la Maison symphonique de Montréal. L’achat de ce gigantesque instrument de 6489 tuyaux a été entièrement financé par Mme Desmarais. Le don est évalué à quelque 5 millions de dollars.

Ce ne sera pas la dernière contribution d’exception. On sait que Mme Desmarais a financé, en janvier 2012, l’achat d’un violoncelle Stradivarius fabriqué en 1707 pour l’usage de Stéphane Tétreault, étoile montante (il a alors 18 ans) de cet instrument. Le coût d’acquisition dépassait les 6 millions de dollars.

Discrète quant à la valeur de ses engagements financiers, Mme Desmarais a toujours préféré, dans ses rares entrevues et interventions publiques, évoquer son amour de la musique et de ses protégés, des chanteurs et musiciens d’exception qu’elle appelait parfois ses « enfants ».

« Je n’ai jamais fait cela pour les honneurs, ça ne m’a même pas effleuré l’esprit. Je l’ai fait par amour pour la musique et pour le chant. »

— Jacqueline Desmarais, à la journaliste Caroline Rodgers dans un article de La Scena Musicale publié en février 2013

Son grand intérêt pour le jeune chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin est connu de tous. C’est grâce à elle, à la suite d’une commandite de l’opéra Carmen en 2009, que M. Nézet-Séguin dirige pour la première fois l’orchestre du Met. Au printemps 2016, il en est désigné directeur musical. « C’est l’apothéose de ma carrière de mécène », dira alors Mme Desmarais en entrevue au collègue Luc Boulanger de La Presse.

Autres engagements

Seule ou avec son mari, Jacqueline Desmarais sera une généreuse contributrice dans d’autres domaines.

Ainsi, dans le milieu communautaire, la famille a généreusement contribué aux activités de fonctionnement de La rue des Femmes, organisme offrant un hébergement d’urgence aux femmes itinérantes de Montréal. Le 15 mai 2015, au moment de l’inauguration d’un troisième établissement d’hébergement, il était annoncé que l’édifice porterait le nom de « Maison Jacqueline ».

Depuis le milieu des années 80, la famille Desmarais a soutenu différentes initiatives du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine. Or, en octobre 2016, à la suite d’une autre contribution (12 millions de dollars) de cette famille et de Power Corporation pour la construction du Bâtiment des unités spécialisées (BUS), l’hôpital a attribué le nom de Mme Desmarais à l’édifice.

Pour l’occasion, Maud Cohen, présidente et directrice générale de la fondation CHU Sainte-Justine, a déclaré : « Mme Desmarais elle-même et son défunt mari, Paul G. Desmarais, sont des philanthropes visionnaires, fidèles et convaincus qui ont toujours cru en la mission du CHU Sainte-Justine […] leur confiance a ouvert les portes à une quantité infinie de nouvelles avenues scientifiques, thérapeutiques et technologiques. »

Un engagement reconnu et admiré

L’engagement exceptionnel de Mme Desmarais dans le monde des arts et de la société s’est traduit par l’attribution de nombreux prix, marques de reconnaissance, médailles et autres.

Nous avons déjà mentionné le doctorat de l’Université de Montréal et l’Ordre de Montréal. À cela, on peut ajouter, parmi d’autres, l’Ordre du Canada (avril 1999 ; élevé au titre d’Officier le 28 juin 2013), le Mérite philanthropique 2002 de la Chambre de commerce du Québec (avec son mari le 23 mai 2002), un hommage de la Fondation de la Place des Arts (juin 2011), l’Opera Canada Award (les Rubies, en octobre 2011), l’Ordre national du Québec (faite grande officière en 2012), la Légion d’honneur de la France (novembre 2011), le premier prix pour contributions exceptionnelles aux arts au Canada et aux États-Unis du Council for Canadian American Relations (30 avril 2014).

C’est d’ailleurs avec un extrait de l’hommage que lui a rendu l’ancien président Nicolas Sarkozy au moment de lui remettre la Légion d’honneur que nous terminerons ce tour d’horizon.

« Jacqueline Desmarais, a dit M. Sarkozy, vous faites partie de ces philanthropes qui essaient de rendre le monde meilleur. Celle que beaucoup de grands artistes appellent tout simplement Jackie aurait pu être une grande chanteuse. Elle a choisi d’être une mécène discrète, enthousiaste et pudique. »

Jacqueline Desmarais 1928-2018

« Une personne tout à fait remarquable », dit Jean Chrétien

« C’est une grande, grande dame. » L’ancien premier ministre du Canada, Jean Chrétien, ne tarit pas d’éloges à l’endroit de Jacqueline Desmarais, grande mécène et philanthrope du monde des arts, qui s’est éteinte hier matin. « Elle était une personne tout à fait remarquable. »

« C’est une femme très cultivée, très dévouée et très généreuse, qui a fait énormément pour les arts à Montréal et au Québec. Elle avait beaucoup de personnalité », a déclaré M. Chrétien, joint par La Presse en Californie, où il séjourne. « Je la connaissais très bien avant même que ma fille se marie avec son fils, c’était une très vieille connaissance », dit-il, peiné par la nouvelle de sa mort.

Les familles Chrétien et Desmarais ont été réunies lorsque la fille de Jean Chrétien, France, a épousé André, fils du couple Paul et Jacqueline Desmarais. De cette union sont issus quatre enfants. « Elle était très agréable, il n’y a personne que je connais qui savait recevoir mieux qu’elle. C’était toujours numéro un », confie l’homme politique.

« Pas une façade »

Jean Chrétien témoigne également de l’amour profond que Mme Desmarais vouait à l’art et la culture. « Ses maisons étaient toujours extrêmement décorées de tableaux de grand goût », se rappelle-t-il. « Ce n’était pas une façade, c’était une réalité, l’attachement du couple pour les arts », ajoute M. Chrétien, citant nombre des contributions de la mécène à Montréal, mais aussi en Europe et aux États-Unis.

Par ailleurs, celui qui a été premier ministre du Canada de 1993 à 2003 salue le « don » que possédait Mme Desmarais de miser sur les bons talents. 

« [On lui doit] d’avoir formé le fameux chef d’orchestre Yannick Nézet-Séguin, qui était son protégé, et le violoncelliste [Stéphane Tétreault], qui était un prodige à Montréal. […] Elle a aidé plusieurs chanteurs ou musiciens du Québec. »

— Jean Chrétien

Elle ne faisait pas ça pour la galerie, assure M. Chrétien. « Encourager un jeune qui étudie, ce n’est pas pour faire les manchettes. Elle a eu de grands résultats avec ses protégés et ça prouve son bon jugement. »

Jean Chrétien tenait aussi Paul Desmarais (1927-2013) en très haute estime, le qualifiant de « bâtisseur » et de « modèle en affaires ». Hier encore, il n’avait que de bons mots pour les disparus. « Ce sont des francophones de l’Ontario provenant d’un milieu modeste et qui ont monté les échelons avec beaucoup de classe. Elle avait beaucoup de classe. »

Jacqueline Desmarais 1928-2018

Brian Mulroney salue une femme « exceptionnelle »

« Femme exceptionnelle » et « alliée indispensable » de son défunt mari Paul Desmarais dans la construction de l’empire Power Corporation, Jacqueline Desmarais laisse derrière elle une œuvre philanthropique considérable et d’innombrables souvenirs à des amis répartis partout dans le monde, estime Brian Mulroney, qui entretenait une proche amitié avec elle depuis 53 ans.

« Sans elle, et je vous dis ça avec toute l’admiration que j’ai pour son mari, Paul Desmarais n’aurait jamais connu d’aussi grands succès extraordinaires. Elle était l’inspiration pour lui en tout temps », a fait valoir l’ancien premier ministre du Canada en entrevue avec La Presse.

Brian Mulroney a rencontré Jacqueline et Paul Desmarais (1927-2013) à l’occasion d’un souper chez un ami commun en 1965. La soirée s’est terminée par des chants autour d’un piano. L’amitié avec le couple, elle, s’est consolidée au fil des décennies suivantes, sur plusieurs continents.

« J’ai eu le privilège de les côtoyer partout dans le monde, à l’occasion de plusieurs voyages », raconte M. Mulroney. 

« C’est extrêmement rare qu’on voie un couple aussi dévoué que Jackie et Paul, qui s’aiment autant avec autant de respect et d’admiration l’un pour l’autre. Elle était en outre une mère de famille exceptionnelle. »

— Brian Mulroney

Brian Mulroney, joint à son domicile en Floride, souligne que Jacqueline Desmarais a joué un rôle clé dans « toutes les initiatives » commerciales de son mari. Power Corporation a connu une croissance soutenue pendant leur mariage, pour devenir aujourd’hui une importante société internationale de gestion de portefeuille présente entre autres dans les services financiers, l’énergie et les communications. La société est propriétaire de La Presse.

Coup de fil joyeux

Brian Mulroney, qui a été premier ministre du Canada de 1984 à 1993, a parlé pour la dernière fois à Jacqueline Desmarais il y a une dizaine de jours. Il s’est dit surpris de la vigueur affichée par son amie, qui avait connu des ennuis de santé dans les dernières années.

« Nous étions en Floride, elle était à Sagard, j’étais étonné d’entendre sa voix, dit-il. Je lui ai dit : “Tu as la voix que tu avais il y a 25 ou 30 ans !” Elle s’apprêtait à venir nous voir en Floride, à Palm Beach. Cet appel-là était extraordinaire. Elle était en très, très grande forme, on le sentait par sa voix. J’ai dit à ma femme : “Mon Dieu, quelle transformation !” »

Jacqueline Desmarais, morte hier à 89 ans, laisse dans le deuil des amis répartis un peu partout sur la planète, souligne M. Mulroney. Des proches qu’elle défendait bec et ongles, avec sa verve légendaire, raconte-t-il en riant.

« Elle était loyale et féroce. Si elle était de votre côté, ce n’est pas elle qui aurait toléré les critiques à votre sujet ! Elle n’avait pas la langue dans sa poche, elle avait des opinions sur tout, sur la politique canadienne, la politique internationale, sur les présidents américains, elle en connaissait d’ailleurs plusieurs. Elle était très connue à travers le monde et bien aimée à travers le monde. »

La mort de Jacqueline Desmarais constitue « une très lourde perte pour le Canada et le Québec » et pour une multitude de causes philanthropiques, surtout dans le secteur des arts, conclut Brian Mulroney. « Je peux vous dire ceci : elle a aimé sa vie, elle a eu une vie tout à fait remarquable. Elle a vraiment profité de la vie, et elle a fait le bien autour d’elle. »

Jacqueline Desmarais 1928-2018

Un « stimulant majeur » pour les arts 

Des artistes de tous horizons témoignent de l’apport de Jacqueline Desmarais

Yannick Nézet-Séguin

Au nom de l’Orchestre Métropolitain

« Je suis profondément attristé par le départ de ma grande amie Jacqueline, une femme extraordinairement énergique et inspirante, une mécène passionnée pour la musique sous toutes ses formes. Son amour indéfectible pour les artistes et son flair unique pour le talent en a guidé plusieurs vers la réussite. Son œuvre aura de nombreuses répercussions sur les générations à venir. Le milieu musical et artistique du monde entier, plus particulièrement au Canada, au Québec et à Montréal, est en deuil. »

Lucien Bouchard

Président du conseil d’administration de l’Orchestre symphonique de Montréal

« [Sa disparition laisse] un grand vide. Mme Desmarais était une femme extraordinaire, elle était d’une compagnie remarquable, d’une vitalité exceptionnelle, elle aimait tout le monde. Elle était présente partout, se déplaçait énormément. Elle était une sorte de dynamo. Elle a été de tous les instants de la dernière génération de l’OSM. […] Mme Desmarais faisait partie du conseil d’administration de l’OSM depuis très longtemps – certainement depuis les années 80.

Vous savez, il s’agit presque d’un emploi à temps complet : financement, contacts avec les milieux de la musique, rayonnement de l’orchestre, etc. Dans ce contexte, elle a joué un très grand rôle. Et ça s’est poursuivi du côté de sa famille. Hélène Desmarais joue un rôle similaire, pour le présent comme pour l’avenir ; elle est présidente de la fondation de l’OSM et aussi vice-présidente exécutive de l’orchestre. Le suivi est donc assuré, la famille Desmarais demeure très présente dans le milieu des arts et de la musique. Aujourd’hui, le mécénat n’est pas en danger ! À cet égard, Jacqueline Desmarais a été un stimulant majeur, un exemple à suivre. Des gens qui l’entouraient ont poursuivi la démarche, on peut maintenant compter sur une génération de mécènes. »

Stéphane Tétreault

Jeune violoncelliste québécois de réputation internationale

« Nous nous étions rencontrés pour la première fois il y a huit ans. Mme Desmarais n’était pas à Montréal, mais elle avait visionné une interview que j’avais accordée à la télévision pour un concert que j’allais donner. Son assistante, Margot Provencher, avait assisté à ce concert et Mme Desmarais m’avait rencontré peu après. Nous avions ensuite développé une belle amitié, tant et si bien qu’en 2012, nous avions commencé à discuter d’un violoncelle de grande qualité avec lequel je pourrais jouer. Elle a alors fait l’acquisition d’un stradivarius vendu aux enchères à Boston après le décès de son propriétaire, le grand violoncelliste Bernard Greenhouse.

Grâce à Mme Desmarais, je peux aujourd’hui m’exprimer sur ce merveilleux instrument qu’elle m’a prêté à long terme. [...] Tout le milieu de la musique classique est en deuil. Mme Desmarais était une femme d’une générosité sans bornes. Elle était aussi d’une énergie extrêmement contagieuse. On ne pouvait pas être dans la même pièce qu’elle sans ressentir son énergie et son humanité remarquables. Je m’estime très chanceux de l’avoir connue. Je dirais aujourd’hui encore qu’elle a été une grande amie avec laquelle j’ai vécu de très beaux moments personnels, humains, au-delà de la musique. Des moments que je n’oublierai jamais. »

Peter Gelb

Directeur général du Metropolitan Opera, joint hier à New York

« Lorsqu’elle croyait en un artiste, elle le soutenait vraiment ! Elle avait cette qualité rare de pouvoir établir un réel contact avec les musiciens et les chanteurs. Lorsqu’elle me téléphonait pour me parler de ses protégés, elle les défendait souvent mieux que les agents d’artistes de la profession ! Elle était une véritable boule d’énergie et d’enthousiasme. Chaque fois que nous parlions, je ressentais sa passion et son amour sincère pour l’opéra. Elle exprimait des opinions très affirmées sur nos productions. Elle était l’une de nos plus grandes fans, mais défendait aussi des idées fortes, ce qui nous incitait à relever de nouveaux défis artistiques. »

Robert Charlebois

Chanteur, joint en France hier

« Depuis les années 70, j’ai eu l’immense privilège de connaître Paul et Jackie, deux inséparables qui, tout au long de leur vie, m’ont apporté l’envergure, les fous rires, la joie de vivre, l’enthousiasme, l’énergie, l’amour et l’amitié. Son mari disait d’elle : “Elle est responsable de ma réussite à 75 %.” [...] Jackie Desmarais n’était pas qu’une artiste passionnée d’opéra elle aimait aussi toute musique bien faite, du jazz au country en passant par les grandes chansons françaises et américaines. Je garderai toujours dans mon cœur son dynamisme, son enthousiasme et sa voix unique sur quelques disques plus que discrets que j’ai eu l’honneur de réaliser avec elle. [...] Souvenirs inoubliables et immense chagrin… Le gars ben ordinaire que je suis se sentait toujours extraordinaire à ses côtés. Laurence et moi partageons la grande tristesse de Sophie, Louise, Paul et André et de tous leurs enfants. »

Erik J. Ryan

Président du conseil d’administration de l’Orchestre Métropolitain 

« La générosité de Madame Desmarais a contribué à la vitalité artistique et culturelle de Montréal et bien plus encore. Son apport à la culture est exemplaire. Avant d’être une grande mécène, Madame Desmarais était d’abord et avant tout une grande amoureuse de la musique, des musiciens, de la voix, de l’opéra. De nombreuses organisations liées à la musique sont reconnaissantes envers son engagement, notamment l’Orchestre Métropolitain, qui a pu compter sur sa générosité de longue date et encore récemment lors de sa première tournée européenne en novembre dernier. En mon nom et en celui de tous les membres de l’équipe de l’Orchestre Métropolitain, nous souhaitons offrir nos plus sincères condoléances à la famille et aux proches de Jacqueline Desmarais. »

Alain Lefèvre

Pianiste de concert reconnu, joint hier à Victoria

« Pour notre culture francophone au Canada, c’est une grande perte. Car les francophones n’ont pas encore une grande tradition de mécénat, comme on en trouve au sein de certaines communautés ou certains pays d’Europe et d’Amérique. Mme Desmarais a été une femme très importante dans le milieu artistique. En toute franchise, je n’ai pas été aidée par elle, mais ça ne change rien à mon admiration pour elle. Lorsque la Place des Arts avait créé un premier événement pour remercier les mécènes, il y a quelques années, c’est moi qui faisais l’hommage à Mme Desmarais, que j’avais connue il y a 25 ans, à l’époque où Pierre Béique était encore vivant. Son soutien à mes collègues musiciens ou chanteurs a fait une vraie différence dans leur carrière. Lorsque j’ai fait un concert-gala à la Place des Arts, il y a au moins sept ans, j’avais présenté Thierry Perron, un jeune pianiste très talentueux de Québec. Tout de suite, elle était venue me voir pour proposer son aide. Les musiciens espèrent toujours compter sur des personnes comme Mme Desmarais. »

Julie Boulianne

Mezzo-soprano québécoise de renommée internationale, originaire de Dolbeau-Mistassini

« Mon succès est certainement lié en grande partie à l’aide que Mme Desmarais m’a apportée au fil des ans. Je lui dois énormément. Au-delà de la mécène, je me souviendrai de son charme et de son magnétisme, de son énergie intarissable et de sa force de caractère, de sa capacité à illuminer une pièce et à mettre tout le monde à l’aise autour d’elle, de sa simplicité et de son enthousiasme. Je me souviendrai surtout de son amour infini pour la musique. Elle partageait chacune de nos victoires. Elle s’en nourrissait presque autant que nous, les artistes. Le soir de mes débuts au Metropolitan Opera, il y avait un unique bouquet dans ma loge… de Mme Desmarais. »

Michel Beaulac

Directeur artistique de l’Opéra de Montréal

« Lorsque je suis arrivé à la direction artistique de l’Opéra de Montréal, il y a 11 ans, elle m’a tout de suite donné son appui moral et financier. Elle m’a soutenu dans toutes les démarches que j’ai entreprises, je lui dois cet appui incroyable. Je la considérais comme une amie de l’Opéra de Montréal, de l’art lyrique et comme une amie personnelle. Je suis donc très peiné, profondément bouleversé, d’avoir appris la nouvelle de son décès. Nous nous en doutions tous un peu, car Mme Desmarais assistait à toutes les premières de l’Opéra de Montréal, et elle ne venait plus depuis plus d’un an… C’est non seulement une perte immense pour tout l’univers de l’art, mais aussi une grande perte pour les gens qui l’ont aimée et qu’elle a aimés. »

Joseph Rouleau

Chanteur légendaire du Québec (basse), ex-président des Jeunesses musicales du Canada

« Jackie était une grande amie de la musique, une grande dame. Elle nous a toujours aidés, nous les musiciens ; elle était d’une générosité extraordinaire, d’une grande bonté, d’une grande simplicité et d’une grande discrétion en tant que personne publique. Je l’ai bien connue, comme Paul, son mari. Nous sommes de la même génération, j’ai le même âge que Jackie, 89 ans. Je me rappelle que nous étions heureux ensemble, son sourire rencontrait le mien.

Elle a su aider la communauté artistique jusqu’à la fin. Elle l’a fait pour les Jeunesses musicales du Canada dont je fus président pendant 25 ans. Elle l’a aussi fait pour le Domaine Forget dont je suis membre du conseil d’administration, ou encore pour le Concours musical international de Montréal. Lorsque le pavillon de l’hôpital Sainte-Justine qui porte son nom a été inauguré, je lui ai rendu personnellement hommage avec grand plaisir. Elle a tellement donné ! C’était un remerciement fraternel. Il est rare que l’on rencontre des personnes de cette qualité. Pour moi, ce fut un honneur d’être considéré comme l’un de ses amis, non seulement pour ce qu’elle a fait, mais aussi pour ses qualités humaines. On m’a indiqué [hier] matin qu’elle n’avait pas souffert, mais je suis vraiment attristé. »

Paul Fortin

Directeur artistique du Domaine Forget

« Le Domaine Forget a vu le jour en 1978. Mme Desmarais y a été très impliquée dès la fin des années 70. Au fil des ans, elle a activement participé aux campagnes de financement du Domaine Forget. Notre fonds de bourses du Domaine Forget porte d’ailleurs son nom et celui de son défunt mari, car ils en furent les instigateurs, de concert avec notre organisation. Depuis, d’autres donateurs ont consolidé ce fonds de bourses, qui permet au Domaine Forget d’accorder une aide financière aux élèves qui veulent y acquérir une formation. Ainsi, Mme Desmarais nous a toujours aidés. Elle était aussi très proche des artistes qui sont venus chez nous. Elle assistait régulièrement à nos concerts et événements, notamment les projets menés conjointement avec l’Institut canadien d’art vocal (ICAV). Jusqu’à la fin ou presque, elle a été très présente. Son décès nous remplit de tristesse. Elle nous manquera, car elle a été très importante pour le Domaine Forget. »

Marianne Fiset

Soprano québécoise réputée mondialement

« Mme Desmarais était une personne plus grande que nature. Pas seulement pour son amour des arts, de l’art lyrique, de la musique ou du domaine communautaire, car au-delà de son implication, elle était extrêmement flamboyante. Outre le fait qu’elle a été déterminante dans ma carrière, je retiens son amour authentique pour la musique. Un amour profond, vrai, qu’on observe assez rarement, même chez les personnes qui s’intéressent de près à l’art lyrique.

Ce fut pour moi un privilège d’avoir son soutien parmi les nombreux chanteurs qu’elle a aidés et carrément mis au monde. En fait, elle avait un flair extraordinaire pour repérer le talent à son bourgeonnement, elle savait identifier le potentiel des artistes bien avant leur ascension et leur reconnaissance. Yannick Nézet-Séguin en est un très bel exemple. En ce qui me concerne, elle m’a donné plusieurs occasions de m’illustrer au début de ma carrière, soit au stade où j’avais le plus besoin de soutien. Il me fallait me rendre à ces auditions partout dans le monde, me loger, me nourrir, m’habiller… J’ai pu bénéficier de son aide matérielle, de son appui moral et de ses encouragements. J’en suis vraiment honorée. »

Marc Hervieux

Ténor vedette au Québec, connu internationalement

« Elle a eu une importance capitale dans ma carrière, comme dans celle de bien des chanteurs d’opéra. Quand j’ai terminé mes études de chant dans les années 90, c’étaient les débuts des concours de la Fondation Jacqueline Desmarais. Pendant les premières années, j’ai eu l’honneur et la chance de remporter des bourses. Ça a fait une grande différence, ça m’a permis de rencontrer des professeurs extraordinaires à travers le monde, auxquels je n’aurais jamais eu accès. Pendant toutes ces années où je ne faisais que de l’opéra, j’ai gardé contact avec Mme Desmarais qui m’a invité à donner des concerts privés. Il n’y a aucun doute qu’elle a été un personnage central dans le milieu de la musique classique et des arts.

Je me souviens d’avoir été témoin du fait que l’Orchestre Métropolitain était sur le point de fermer, dans les années 2000, et qu’un coup de téléphone à Mme Desmarais avait suffi pour régler le problème en toute discrétion. Si tant de chanteurs, de musiciens et d’artistes québécois du milieu classique font un tabac à travers le monde, la plupart ont eu droit à l’aide de Jacqueline et de la famille Desmarais. Sans eux, ces artistes n’auraient jamais eu accès à une formation de grande qualité pour atteindre les standards internationaux. »

Jacqueline Desmarais 1928 – 2018

Des réactions unanimes

Ce qu’ils ont dit sur la Toile ou à nos journalistes

« Jacqueline Desmarais, philanthrope profondément dévouée aux arts et à la culture pendant toute sa vie, nous laisse à tous un immense patrimoine. Sophie et moi offrons nos plus sincères condoléances à sa famille et à ses amis. »

— Justin Trudeau, premier ministre du Canada, sur Twitter

« Mme Jacqueline Desmarais était une grande philanthrope québécoise. Mes condoléances à sa famille et à ses proches. »

— Philippe Couillard, premier ministre du Québec, sur Twitter

« Je salue la mémoire de Mme Jacqueline Desmarais, commandeure de l’Ordre de Montréal et grande mécène qui a tant fait pour la scène culturelle montréalaise. Mes sympathies à ses proches. »

— Valérie Plante, mairesse de Montréal, sur Twitter

« Jacqueline Desmarais a marqué notre milieu de la culture par sa grande passion pour les artistes et sa grande générosité. Ses contributions auront amélioré nos infrastructures culturelles et la programmation de nos institutions. Merci du fond du cœur pour ces actions et ces legs. »

— Mélanie Joly, ministre du Patrimoine canadien, sur Twitter

« On parle souvent de leur engagement financier [celui des héritiers Desmarais], mais ce sont des gens qui s’investissent au-delà de l’argent. Sophie [fille de Jacqueline], elle s’implique, elle a des idées pour la Fondation Jasmin Roy, elle a une vision. Elle suit les traces de sa mère. Ses frères aussi supportent plein d’organismes. Ils donnent tous beaucoup et c’est un véritable engagement humain qu’ils font. »

— Jasmin Roy, qui se souviendra de « Jackie » comme d’une femme avec « beaucoup de classe » et « de bonnes valeurs »

« Je salue la mémoire de Mme Jacqueline Desmarais, grande mécène du monde des arts qui a tant fait pour notre scène culturelle. Nos sincères condoléances à ses proches. »

— Marie Montpetit, ministre de la Culture et des Communications du Québec, sur Twitter

« Au départ, Paul Desmarais était très impliqué auprès de l’hôpital Sainte-Justine. Madame a poursuivi son œuvre après son décès. Aujourd’hui, la famille Desmarais croit profondément en cette institution, aussi dans la recherche et l’enseignement pédiatriques. On peut dire que cette famille a permis à Sainte-Justine d’atteindre l’excellence. Ses membres sont des visionnaires qui croient fondamentalement à leur implication dans la communauté pour la faire rayonner et aller plus loin. Ce qui était aussi très impressionnant chez M. et Mme Desmarais, c’était la fibre philanthropique, les valeurs de solidarité et d’entraide, d’ailleurs transmises à leurs enfants qui sont impliqués dans de multiples causes. »

— Maud Cohen, présidente et directrice générale de la Fondation CHU Sainte-Justine

« C’est avec regret que je viens d’apprendre le décès de Mme Jacqueline Desmarais, l’une des plus grandes femmes mécènes et philanthropes que le Québec a connues. Je tiens à exprimer mes plus sincères condoléances à sa famille et à ses proches pour cette grande perte. »

— Hélène David, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Condition féminine du Québec, sur Twitter

« J’ai rencontré cette grande amoureuse des arts à plusieurs reprises lorsque j’étais ministre de la Culture. Mes plus sincères condoléances à toute la famille et aux proches de Jacqueline Desmarais. »

— Christine St-Pierre, ministre des Relations internationales et de la Francophonie du Québec, sur Twitter

« La grande mécène Jacqueline Desmarais s’éteint. Une grande perte pour le Québec. Sincères condoléances à toute la famille Desmarais et à ses proches. »

— Kathleen Weil, ministre responsable de l’Accès à l’information et de la Réforme des institutions démocratiques à Québec, sur Twitter

Propos recueillis par Fanny Lévesque, Audrey Ruel-Manseau et Alain Brunet, La Presse

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