Chronique

Trop, c’est comme pas assez

Chaque année, le retour de la saison des assemblées annuelles d’actionnaires ramène au premier plan le dossier de la rémunération des hauts dirigeants des sociétés cotées en Bourse, rémunération qui est abondamment expliquée et documentée dans la circulaire qui est envoyée aux actionnaires avant la tenue de leur rencontre annuelle.

Et si, d’année en année, il y a une constante qui se confirme de façon quasi systématique, c’est que la rémunération des PDG ne va qu’en augmentant, et à un rythme qui n’a plus aucun rapport avec l’enrichissement des employés qu’ils dirigent ou des actionnaires pour lesquels ils sont censés travailler.

Yvan Allaire, président exécutif du conseil de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), l’a très bien expliqué dans un rapport qu’il a publié sur le sujet l’an dernier et dans lequel il déplorait la trop grande complaisance des conseils d’administration qui ont décidé d’adopter des formules standards pour établir la rémunération des dirigeants.

On a pris l’habitude d’établir la rémunération des PDG comme un moyen pour attirer ou conserver un talent qui pourrait être facilement appâté par une entreprise concurrente ou de taille équivalente, et on en a fait une norme.

On a mis en place des modèles qui comparent la rémunération des PDG d’entreprises du même secteur ou dans un domaine connexe pour être bien certain d’offrir un environnement concurrentiel pour l’individu sans nécessairement tenir compte de la performance économique de la société.

On a surtout établi et normalisé à l’excès les systèmes de primes et de bonification par octroi d’options ou d’actions qui font qu’aujourd’hui, le salaire de base d’un PDG ne représente que de 15 à 18 % de sa rémunération réelle.

Les primes comptent pour 20 à 25 % de la rémunération totale, les options, entre 15 et 20 %, et l’octroi d’actions, plus de 35 % des émoluments d’un PDG.

Et ce qui peut méduser l’investisseur ordinaire qui voit les salaires des dirigeants exploser alors que l’entreprise affiche des résultats ordinaires ou même décevants, c’est que l’attribution de ces bonifications en nature ou en actions est basée sur des indicateurs de performance qui n’ont souvent rien à voir avec le rendement économique ou financier de l’entreprise.

Des multiples injustifiables

On a eu un exemple éloquent de cette dichotomie entre la performance financière et la hausse de la rémunération de la haute direction lorsque Bombardier a consenti, l’an dernier, des hausses de rémunération spectaculaires de 50 % à ses principaux dirigeants alors même que l’entreprise affichait toujours des pertes de 1 milliard, qu’elle venait de procéder au licenciement de 14 500 employés et qu’elle avait bénéficié de l’aide financière du gouvernement du Québec pour se maintenir en vie.

Résultat des courses, les PDG des grandes sociétés publiques canadiennes ont gagné en moyenne 8 millions en 2016, et cette rémunération représentait 140 fois le salaire moyen de leurs employés. Chez les banquiers, où ce type de ratio existe depuis longtemps, les PDG ont gagné 185 fois le salaire de leurs employés.

Vous pouvez constater, à la lecture du tableau sur la rémunération des PDG québécois qu’a préparé mon collègue Martin Vallières, que les multiples des gains annuels de nos patrons pour l’année 2017 sont inférieurs à la moyenne de 140 fois le salaire de leurs employés.

Il y a, bien sûr, des aberrations comme la rémunération totale de 10,2 millions qu’a obtenue le PDG de Gildan et qui représente 738 fois le salaire moyen des 50 000 salariés de l’entreprise. 

Il faut dire que le salaire moyen des employés de Gildan au Honduras vient gonfler le multiple, mais il illustre tout à fait la réalité du clivage.

Tout comme le PDG de Couche-Tard, Brian Hannasch, et sa rémunération de 9,9 millions qui équivaut au salaire annuel moyen de 513 employés de l’entreprise dont la grande majorité travaillent au salaire minimum.

Il n’en reste pas moins que le dicton populaire « Trop, c’est comme pas assez » s’applique à la rémunération des dirigeants d’entreprise. Il y a 20 ans, les PDG des grandes entreprises canadiennes gagnaient 62 fois le salaire moyen des travailleurs du secteur privé. Aujourd’hui, c’est 140 fois. Dans 20 ans, ce sera combien ?

À quel niveau de rémunération un PDG devient-il pleinement heureux et capable de se réaliser dans l’entreprise ? Chose certaine, il y a plus de PDG qui gagnent trop que de patrons qui ne gagnent pas assez.

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