LEADERSHIP

DES CONDITIONS QUI CHANGENT CHAQUE JOUR

Alain Arseneault
Capitaine et président de la Corporation des pilotes du Saint-Laurent central (CPSLC)
Fait d’armes : Le pilotage des navires commerciaux sur la voie maritime du Saint-Laurent est entièrement le fait de capitaines québécois qui connaissent le fleuve comme le fond de leur poche. Les membres de la CPSLC, comme le capitaine Alain Arseneault, prennent la direction d’équipages de toutes les nationalités et sont considérés comme les maîtres de l’une des navigations les plus périlleuses au monde.

Ils dirigent à leur façon, et pas nécessairement des entreprises. Voici leurs conseils.

1. La formation comme outil de gestion

Les situations qu’affrontent les capitaines sont souvent très changeantes en matière de météo et d’environnement. Ainsi, lorsqu’on se présente à bord d’un navire, on ne sait jamais de quelle taille ou de quelle qualité il sera, de quelles nationalités sera l’équipage, etc.

Le pilote doit donc posséder sa matière sur le bout des doigts. Ses connaissances doivent être profondément ancrées en lui afin qu’il soit en mesure de s’adapter rapidement à des changements imprévus.

Ce n’est pas le moment, lorsqu’on arrive sur un navire, de commencer à se creuser la tête et à revoir ses notions de base au sujet des courants ou des hauts fonds, par exemple.

La formation des pilotes du Saint-Laurent leur permet d’éviter le phénomène de la « vision en tunnel », qui fait en sorte que lorsqu’on se retrouve en situation critique, le cerveau a tendance à éliminer toute information non pertinente pour permettre de se concentrer sur les aspects vitaux.

Mais dans le pilotage, il y a tellement d’éléments à traiter qu’on ne peut pas permettre à son esprit de gérer tout ça en silo.

2. Connaître la culture de ses employés

Un pilote est appelé chaque jour à travailler avec des cultures différentes, sans pouvoir vraiment s’y préparer. Avant même de monter dans un navire, le pilote ne sait même pas à quelles nationalités il va avoir affaire. Il y aura souvent plus d’une dizaine de nationalités différentes représentées à bord d’un navire.

Les niveaux de compétence des équipages varient également ; ils n’ont pas tous les mêmes brevets. Ce n’est pas uniforme à l’échelle internationale.

Le pilote doit donc être en mesure de s’adapter rapidement à différentes cultures de travail.

Par exemple, un Ukrainien ne réagira pas de la même façon à des consignes assez strictes qu’une personne d’origine latino-américaine ou asiatique. Tous ne réagissent pas non plus de la même façon au stress.

Il faut aussi bien connaître la culture des gens pour éviter de commettre des impairs et pour gagner la confiance de l’équipage. C’est essentiel.

3. Écouter son corps

Le pilotage sur le Saint-Laurent, c’est 24 heures sur 24, tous les jours de l’année : les navires n’arrêtent jamais de transiter.

Aussi, les horaires des pilotes ne varient jamais tout au long de leur carrière, qu’ils débutent ou soient près de la retraite : ils travaillent de jour et de nuit, sur appel à quatre heures d’avis avec une période de repos minimum de dix heures entre deux affectations.

Le capitaine, comme un pilote d’avion, combat le sommeil de façon continue lorsqu’il est en période de travail prolongé.

Dans un horaire de travail qui dure en moyenne de 14 à 18 jours, il devient doublement important pour le pilote de bien gérer son sommeil et de connaître son cycle circadien.

Les pilotes reçoivent de la formation qui leur apprend à écouter leur corps lorsque celui-ci leur indique qu’il a besoin de repos et de tirer le maximum des périodes de sommeil. C’est essentiel pour leur santé et la qualité de leur prise de décisions.

4. Recruter par les médias sociaux

La Corporation des pilotes du Saint-Laurent central dont je fais partie est une entreprise privée qui existe depuis près de 150 ans. C’est une entreprise aussi vieille que la Confédération, détenue à parts égales par les pilotes. On a un contrat de service avec Transports Canada dans un contexte de monopole réglementé.

Même si c’est une entreprise perçue dans le domaine maritime comme un standard en matière de compétence, il reste difficile de trouver des candidats. Il y a de moins en moins de Canadiens qui naviguent, et de moins en moins de jeunes qui sont attirés par la navigation, par le fait de s’expatrier plusieurs mois à l’étranger sur des navires, etc.

Notre bassin de candidats tend donc à diminuer.

On a réussi à ramener la moyenne d’âge des pilotes à 48 ans. Elle était de 54 ans lorsque j’ai commencé à naviguer voici 13 ans.

Pour attirer des candidats plus jeunes, on tente d’être créatifs. On publie notamment sur les médias sociaux des vidéos impliquant la manœuvre de gros navires, pour faire réaliser aux jeunes que les navires qu’ils voient passer sur le fleuve sont dirigés par des Québécois.

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